Mardi 17 octobre 2023

Le 17 octobre en soirée, dans le cadre du Rhino Jazz Festival et totalement préparé pour une soirée récurage de pavillons avec Farida Amadou et, surtout, Ava Mendoza, j’arrivai au Périscope quand un pote me dit sèchement que Carla Bley n’était plus de ce monde depuis ce matin. Flottement soudain, pas de stupeur, mais le ressenti d’une absence furieusement présente, impossible à balayer d’un revers de main. Elle fut la première femme à s’imposer dans le monde du jazz sans être chanteuse. Sa musique, personne ne l’avait imaginée avant qu’elle la crée, et personne ne sera capable de la prolonger. Libre créatrice d’un univers musical à l’authenticité atypique, elle traversa les décennies avec une exigence et une indépendance que rien, jamais, n’altéra. L’avantage avec nos petites vies, c’est qu’elles s’achèvent ; nous aurons donc un jour, le plus tard possible merci, l’éternité pour l’écouter encore et encore. Alors quand vint sur scène la jeune Farida Amadou, il me fallut quelques minutes pour changer d’espace temps et me concentrer. La guitare basse posée sur les cuisses, la musicienne développa un solo plutôt bruitiste, à tendance post-industrielle où il me fut difficile de glaner quelques bribes mélodiques. De facto, elle instrumentalisa son instrument, en usa comme d’un élément majoritairement percussif avec des approches à la variabilité bienvenue. Sur la durée, une ligne directrice vit le jour, entrecoupée d’éclats rageurs semblables à des points d’acmé dont les graves résonnèrent dans ma carcasse sans engager de dommages. Elle usa de son matériel au mieux pour échafauder un univers expérimental, musical pour certains, qui ne me toucha pas autant que je l’aurais souhaité. La prochaine fois peut-être. Sait-on jamais pourquoi on passe à côté du moment ? Sait-on pourquoi on aime ou pas ? Vaste question que je ne me pose plus depuis fort longtemps.

Après l’entracte, Ava Mendoza monta sur scène avec sa guitare pour un pur solo que j’attendais avec impatience et qui ne me déçut pas le moins du monde. Je dirais même qu’elle relégua le trépas de Carla au second plan, c’est vous dire. D’aucuns disent de sa musique que c’est du free rock. Pourquoi pas ? Ce qui est sûr, c’est que sa musicalité emporta tout sur son passage. Son phrasé fut impeccable en toute circonstance, ses lignes, gorgées de vibrations, palpitèrent. Son inventivité fut le support d’un voyage à travers le genre americana dont elle parcourut, l’air de rien, les différents aspects avec une créativité sereine. Elle chanta peu mais, quand elle le fit, sa voix enrichit encore un propos déjà dense et inspiré. Au-delà des dérapages contrôlés et des cahots rugueux, je retins le caractère hautement mélodique de son travail, caractère jamais minimisé et qui donna à la dramaturgie installée une épaisseur organique, une chair vive qui nourrit mes émotions, auditives ou non, et me laissa conquis (comme l’ensemble du public présent d’ailleurs). Sur le chemin du retour, je pensai qu’il serait bon qu’à l’occasion je goûte à nouveau une tranche de Sonic Youth tartinée de Fred Frith et marinée ans dans du Bill Frisell. En attendant, je dégustai quelques New spells d’Ava Mendoza… Un bon choix.


https://avamendozamusic.bandcamp.com/