Samedi 11 novembre 2023

En 1887, le Black Friday eut lieu un 11 novembre. Il fut ainsi nommé car il vit l’exécution de quatre militants anarchistes à la suite des émeutes de Haymarket square, à Chicago. En aucun cas il ne s’agissait alors de vendre des merdes au rabais pour engraisser les gras, les gros et les graisseux, mais juste de réduire les libertaires au silence. Après tout, ils osaient demander la journée de huit heures au boulot. Une honte, vous dis-je. Une treizaine de décennies plus tard, je suis au Crescent, toujours un onze novembre, et l’Afrique de l’ouest s’invite dans le jazz avec African Jazz Roots, quintet emmené par le griot Ablaye Cissoko et Simon Goubert. Ajoutez pour faire bonne mesure Sophia Domancich et Jean Philippe Viret du côté du jazz, un jeune percussionniste du côté du Sénégal (là où on s’éclate…) Ibrahim "Ibou" Ndir et vous obtenez un combo de luxe qui fait vivre le métissage culturel et musical en deux sets, gagnants bien évidemment. Le Crescent était bondé et personne ne fut déçu, bien au contraire. D’entrée, cela pétarada sec (ah tu voulais du rythme ?!) et, comme le groupe existe depuis une douzaine d’années, je vous laisse imaginer la cohésion d’ensemble. Une composition originale ici, un chant traditionnel par là, des soli en veux-tu en voilà, des dialogues féconds entre piano et kora, entre les calebasses et la batterie, des points d’acmé fricotant avec la transe, de quoi faire oublier le temps qui passait. Il fila d’ailleurs et je n’y vis que de feu. En clôture de premier set, lors d’un de ces soli dont il a le secret, le gars de chez Breizh mis la salle sur des braises ô combien ardentes (le solo de batterie, ça marche toujours, sauf avec un manchot, avec un pingouin je ne saurais vous dire). À l’entame du second set, le batteur piqua le piano pour un duo avec Ablaye Cissoko (un joueur de kora, est-ce un Koriste ?) assez apaisé. Mais mettez la joie à la porte et elle revient par la fenêtre. Allez hop ! Qu’ils embrayent et que ça repart. L’Afrique c’est chic, surtout quand Nile Rodgers n’y est pour rien. De facto, le mélange opéré par le quintet est pour le moins séduisant, avec du vrai jazz dedans (pas un médiocre ersatz), et cela tient à la qualité intrinsèque du trio piano, basse, batterie, autant qu’à la capacité d’adaptation des musiciens africains. Un véritable jazz fusion quoi. Et comme les uns et les autres étaient par nature respectueux de chaque univers musical, ce n’en fut que plus joyeux, suffisamment pour mettre le public debout. Fichtre, ce n’est pas tous les jours. Ce fut presque l’été, mais l’été de la Saint-Martin dure trois jours et un brin, comme on dit dans les campagnes, je ne parle pas des campagnes imbéciles que l’on célèbre au pied des monuments à travers leurs morts, de pauvres gars qui n’avaient rien demandé, qui auraient préféré courir la prétentaine et faire de la vie une fête. Place Saint Pierre, dans l’antre du Crescent, l’African Jazz Roots fit une belle cérémonie, joyeusement festive, à la gloire du vivant.


Simon Goubert : batterie
Ablaye Cissoko : kora
Sophia Domancich : piano
Jean-Philippe Viret : contrebasse
Ibrahim "Ibou" Ndir : calebasses


https://www.lecrescent.net/