Le pérégrin à découvert un festival au creux des Vosges et il s’en est très bien porté.
Vendredi 19 juillet 2024
Rambervillers est une bourgade vosgienne d’environ 5000 âmes. Comme nombre de communes françaises éloignées de tout ou presque, elle a subi en son temps, comme tout l’Est de la France, une désindustrialisation sévère qui l’a laissé sur le flanc, presque exsangue. Comme en sus cette région a vu passer trois guerres, l’on y croise régulièrement des nécropoles nationales (une dizaine dans le seul département des Vosges), histoire de donner le sourire aux neurasthéniques de tout poil. Il est heureux qu’alentour la nature soit belle, cela soulage (comme dirait Pierre). Alors qu’allais-je donc faire là-bas, je vous le demande ? Le pérégrin que je suis allait tout simplement découvrir un festival de jazz à taille humaine, convivial, avec une programmation de caractère, créé il y a quatre ans par Claire et Benoit Brunner avec Cédric Bonmarchand. Un pari osé et réussi en des lieux où la culture est omni absente. La programmation a chaque année une couleur différente ; par le passé vinrent Rhoda Scott, Chris Potter ou encore Donny McCaslin et j’en passe. Pour cette édition 2024, la note était atmosphérique aux confins du jazz, articulée autour de Nils Petter Molvaer dont c’était d’ailleurs la seule date en France cet été. Ajoutez à cela que les premières parties de soirées sont volontairement réservées à la jeunesse émergente du jazz et des musiques connexes et vous obtenez un festival atypique (comme je les aime) qui possède une dernière particularité étonnante, celle d’être accueilli dans le beau jardin d’une demeure privée, le Château des Capucins, par des propriétaires amoureux des arts. Ça vous en bouche un coin, n’est-ce pas ? Laissez-moi en venir aux faits musicaux de la soirée.
Melissa Weikart ; chant, clavier
Gabin Henry : synthétiseurs
Emmanuel Szczygiel : basse
Arrivé pour la deuxième soirée du festival (je fais ce que je peux), je ne découvris pas Melissa Weikart puisque je l’avais écoutée en solo au printemps dernier à Jazz en Avril (Loire). Cette fois-ci elle présenta, pour la première fois sur scène, un nouveau programme, en trio, clavier, synthés et basse pour être précis ; je retrouvai donc son univers original sous un angle différent. Moins organique du fait de l’instrumentation, sa musique se développa autrement, dans une ambiance plus éthérée et plus ronde à l’oreille. La musicienne laissa comme à son habitude une place pour l’improvisation et cela me convint, le contraire vous aurait étonnés. Tant que j’y pense, je ne crois pas avoir parlé par le passé de la précision de son travail, une précision, un art du détail, qui se cache derrière une apparente simplicité mais qui fait pour une part le sel de son monde musical atypique. C’est fait, et pour le reste je vous renvoie à cet article. Ceci dit, je conserve une préférence pour l’expression solitaire de son talent où voix et piano se complètent à merveille dans une forme alchimique inclassable. C’est ainsi et cela n’enlève rien à la qualité du set qu’elle offrit en partage à un auditoire très à l’écoute qu’elle et ses talentueux musiciens apprivoisèrent sans peine.
Laurent Bardainne saxophone
Laetitia N’Diaye : chant
Arnaud Roulin : claviers
Sylvain Daniel : basse
Fabe Beaurel Bambi : percussions
Philippe Gleizes : batterie
En seconde partie de soirée, le tigre d’eau douce de Laurent Bardainne enflamma le public. Le groupe sévit avec un succès commercial non négligeable depuis 2018 et c’est une formation en pleine maîtrise de ses moyens qui déclina le projet et l’éclectisme musical qui le constitue. Groove et soul à la fois, dotés d’une énergie percussive capable de captiver un sourd, les titres s’enchaînèrent sans bavure. Il faut dire que le sextet est rodé et que cela sembla couler de source. Chacun fut à sa place au service du collectif dans une machine parfaitement huilée. De mon point de vue, et cela n’engage que moi, l’ensemble manqua un peu d’audace et j’aurais aimé que le bride fut plus lâche et permette quelques ruades impromptues et de savants dérapages, de ces surprises qui allument les regards dans la foule. Mais si vous vous foutez de mon avis, je n’y vois aucun inconvénient. Soyons libre d’aimer, de dire nos ressentis, pourvu que l’entente cordiale soit la base de l’échange. Et tiens, à propos d’entente cordiale, ces concerts se déroulèrent le 19 juillet, jour qui vit en 1870 le début de la guerre franco-allemande qui en appela deux autres bien pires au siècle dernier. Vu le préambule de cette chronique, puis-je encore croire au hasard ?
https://boplicity.fr/
https://melissaweikart.bandcamp.com/album/here-there
https://laurentbardainnetigredeaudouce.bandcamp.com/album/eden-beach-club