une autobiographie à ne manquer sous aucun prétexte.
(préface d’Alain Gerber)
160 pages
Frémeaux & associés
Une autobiographie d’à peine 150 pages, pour moi c’est une aubaine. Quelques longs fleuves égotistes et intranquilles débordent de mes étagères et tous ne m’ont pas convaincu, loin s’en faut, et certains m’ont suffisamment ennuyé pour que l’envie de sauter un ou deux paragraphes soit irrépressible. Je remercie Martial Solal d’avoir su écrire un livre de mémoire(s) dense, virevoltant, précis, délié du fil temporel, piquant, humoristique, honnête et surprenant. Viens-je de décrire le livre ou la musique du pianiste et compositeur ? Les deux mon capitaine car l’un ne va pas sans l’autre. Pour celles et ceux qui ne sont pas familier de l’univers de l’artiste, ce petit livre est une porte d’entrée nécessaire. Le point fondamental, la clef de son siècle de jazz, est sa peur de l’ennui. Elle n’a jamais cessé de le faire progresser, quels que soient les écueils et les vicissitudes de la vie. Elle l’a poussé et lui a donné une forme d’indépendance qui l’a mené à chaque épisode musical de sa vie là où il devait être. Martial Solal a également su provoquer la chance, mais cet état de fait est consubstantiel à son aversion pour la monotonie. Sa force est aussi d’avoir su s’entourer de musiciens qui convenaient à son art, un art authentique qui en a dérouté plus d’un dans le landernau jazzy. Et alors ? Je crois qu’il s’en est toujours moqué, non pas qu’il soit prétentieux, ce que certains ont pu lui reprocher alors qu’ils étaient juste jaloux de son talent, mais plus simplement qu’il suivait son chemin personnel à l’écart des chapelles. Rien n’énerve plus les maîtres de chapelle que les affranchis indociles. Le dernier fait que je noterai dans ce bref résumé d’un petit ouvrage captivant est la place de la famille tout au long de sa carrière. Il est clair qu’elle fut l’un des moteurs de sa progression. Quand on a charge d’âmes, il faut savoir les faire grandir et s’en donner les moyens. Martial Solal a réussi ce tour de force : mener de front une carrière musicale exigeante, parfaitement buissonnière, et une vie d’homme, riche d’une descendance qu’il aime et qui aujourd’hui illumine son grand âge. Est-ce à dire que les immenses artistes ne doivent pas à coup sûr être, drogués, paumés, maudits ? Oui. Je l’ai peut-être compris le jour où je l’ai vu jouer, accompagné des frères Moutin, avec Hank Jones, un autre non-conformiste dans un genre différent (moins brasillant mais tout aussi éloigné des calamités qui nourrirent nombres de légendes du jazz) que j’affectionne depuis la nuit de mon temps et qui jamais ne dérogea à ses désirs en menant son petit bonhomme de chemin jazz tout au long du siècle passé avec une rare élégance. Élégance, ce mot les réunit. Je vous laisse là en espérant que vous ne manquerez pas de lire ce siècle de liberté grande, aussi frais qu’une virevolte à la Martial Solal…