Où le pérégrin s’intéresse à une figure du jazz des années trente par le biais de son autobiographie
LA RAGE DE VIVRE
Really the blues
Mezz Mezzrow
Traduit par Marcel Duhamel & Madeleine Gautier
Editions Buchet Chastel, 26 euros. [1]
Mezz Mezzrow (1899-1972) fut tout au long de sa vie un drôle de type, un musicien pas forcément parmi les meilleurs, mais animé par un goût immodéré pour la musique afro-américaine à une époque où blancs et noirs évoluaient dans des mondes strictement distincts, et un fumeur invétéré de marijuana avec, pour faire bonne mesure, quelques années dédiées à l’opium qui manquèrent de le faire passer l’arme à gauche. Vivant à Harlem au sein de la communauté noire dont son épouse était issue, il donna sa vie au jazz noir tel qu’il était alors et ne voulut jamais entendre que cette musique pouvait évoluer. Tenant d’une soi-disant pureté formelle originelle, le jazz des années vingt et trente, il fut un grand ami de Hugues Panassié. Rien d’étonnant me direz-vous. Il apprit le saxophone durant son premier séjour en prison, puis se focalisa sur la clarinette. En 1933, il fut l’un des premiers à monter un orchestre mixte, ce qui à l’époque n’allait pas sans poser quelques problèmes. Mais de fait, il s’en foutait royalement et avançait en fonction des possibilités offertes, côtoyant selon les époques Red Nichols, Teddy Wilson, Lionel Hampton, Eddy Condon, Sidney Bechet (ils ont réalisé ensemble quelques enregistrements de référence pour qui est intéressé par ce jazz-là) et bien d’autres. Aussi célèbre comme musicien et producteur que comme dealer de cannabis, il eut, entre autre, un gros client célébrissime auquel il voua toujours une immense admiration, Louis Armstrong pour ne pas le citer. De 1952 jusqu’à sa mort il résida en France et connut quelques succès en Europe. Doué pour la mélodie, il composa quelques morceaux qui sont entrés depuis dans le répertoire mais n’en demeura pas moins un musicien très inégal, avec de sérieuses lacunes techniques, et son héritage est aujourd’hui fort mince. A titre personnel, je m’en passe volontiers. Mais alors, pourquoi vous en parler ? Parce son autobiographie, « Really The blues » écrite en 1946 avec l’aide de Bernard Wolfe et traduite en français en 1950, montre une vie de bâton de chaise, faite de rebondissements en tout genre, où les périodes d’euphorie et les trous dépressifs alternent avec une constance épatante. En sus, l’ouvrage baigne dans un vocabulaire argotique agréablement suranné, voire oublié, qui plonge le lecteur dans le jus d’une Amérique fortement racisée et marquée par l’invraisemblable pauvreté des couches sociales les plus basses. Au-delà du moment de jazz passé dépassé qu’il vous donnera, le bouquin de Mezz Mezzrow possède aujourd’hui une dimension quasi ethnologique, ce qui n’est pas négligeable.
[1] On peut le trouver d’occasion en poche ou dans d’autres éditions