Daniel Levin, Steve Lantner, Theo Jörgensmann dans l’univers de Werner X. U..

Photo noir et blanc, typo orange, pochette cartonnée trois volets : il y a une identité graphique chez Hat Hut pour la série HatOLOGY. On n’en est plus aux "30 cm" proposés dans une pochette en carton ondulé savamment pliée mais la marque de fabrique est toujours marquée. Werner X. Uehlinger reste et demeurera un défenseur des musiques les plus créatives et les moins facilement populaires. Un gardien du temple, en somme, au milieu de ses montagnes suisses, comme un rempart à la futilité et au "tape à l’oeil" qui règnent actuellement !

Les trois disques publiés en France pour ce début 2008 présentent trois facettes de l’esprit Hat Hut : la sensibilité créatrice à fleur de peau de Daniel Levin (OUI, on aime !), l’ancrage dans une certaine tradition moderniste du piano jazz pour Steve Lantner et le militantisme free le plus direct pour Theo Jörgensmann.

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  Daniel Levin quartet : "Blurry"

Daniel Levin Quartet - "Blurry"
HatOLOGY - dist. Harmonia Mundi - 2008

> HatOLOGY 653 - distribution Harmonia Mundi

Daniel Levin : violoncelle / Nate Wooley : trompette / Matt Moran : vibraphone / Joe Morris : contrebasse.

Lors de la parution du précédent disque de Daniel Levin sur le même label (Some trees chroniqué dans ces pages), la spécificité de ce quartet nous avait semblé relever à la fois d’une instrumentation atypique mais aussi d’un travail sur la matière sonore qui s’apparente à la musique de chambre.

Blurry vient renforcer ce caractère en révélant de manière plus saisissante encore la beauté de cette musique. Même dans les passages les plus improvisés et les plus aventureux, on conserve une impression de profonde sérénité (Improvisation II). En incluant dans cette formation l’excellent contrebassiste Joe Morris, Daniel Levin se libère des fonctions rythmiques et privilégie le jeu à l’archet, prenant le temps de développer ses idées en créant des espaces sonores très poétiques. A ce titre, l’exposé du thème de Law Years par le violoncelle permet de percevoir la qualité du toucher de Daniel Levin.

on aime !

Enregistré un an après Some Trees, Blurry permet de constater combien cette formation a gagné en maturité, a renforcé les spécificités de son univers en trouvant un juste équilibre dans les alliages de timbres (l’apport remarquable du vibraphone de Matt Moran). Une fois encore chez Hatology, la qualité de l’enregistrement, totalement neutre et respectueux des couleurs ne fait que renforcer la valeur de ce disque.

On attend maintenant que cette formation soit invitée en France pour la découvrir sur scène !


Compositions de Daniel Levin sauf indication contraire

1. Law Years (O. Coleman) / 2. Improvisation II (Levin, Wooley, Morran, Morris) / 3. 209 Willard Street / 4. Cannery Now / 5. Untitled / 6. Relaxin with Lee (C. Parker) / 7. Sad Song / 8. Blurry

Enregistré le 3 juin 2006 à Firehouse.

> Liens :

  • Lire aussi la chronique de Jean Buzelin à propos de ce disque dans le numéro 143 de la revue "Jazzman" (février 2008).

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  Steve Lantner Trio : "What you can throw"

Steve Lantner Trio - "What you can throw"
HatOLOGY - dist. Harmonia Mundi - 2008

> HatOLOGY 641 - distribution Harmonia Mundi

Steve Lantner : piano / Joe Morris : contrebasse / Luther Gray : batterie

Le pianiste Steve Lantner (né à Cleveland en 1962) possède une solide culture pianistique bien perceptible dans ce disque qui défend sa spécificité dans la foule actuelle des trios "piano-contrebasse-batterie".

À la première écoute, on croirait avoir à faire à une réédition venue des années charnières 50-60, entre Thelonious Monk et les débuts de Cecil Taylor. C’est que Steve Lantner revendique un ancrage fort dans le (piano) jazz : Fats Waller, Willie "The Lion" Smith, Bud Powell, Paul Bley, Andrew Hill figurent parmi ses références. Du côté des saxophonistes compositeurs, il puise sa matière chez Anthony Braxton et Ornette Coleman en inscrivant au programme de ce disque la Composition 23 J du premier et en concluant avec Broken Shadows pour le second.

Au fil de ces cinq titres développés pendant plus de 10 minutes pour quatre d’entre eux, on perçoit le goût du jeu collectif, chacun s’exprimant dans des cadres rythmiques solides et ce, dès l’introduction de New Routine où la pulsation s’installe avec la contrebasse de Joe Morris (point commun avec le quartet de D. Levin), suivi par le "chabada" fluctuant de la batterie de Luther Gray. L’entrée du piano en courtes phrases hachées laissant s’exprimer une main droite volubile rappelle les préoccupations ornithologiques d’Olivier Messiaen.

On comprend vite que le swing même traité de manière très élastique est toujours au cœur des préoccupations de Steve Lantner. Il aime à laisser chanter le piano sur le drive de la batterie et de la contrebasse. Étonnamment peut-être, c’est sur la composition d’Anthony Braxton que la force de ce swing moderniste est la plus perceptible.

Un disque à conseiller à tous ceux qui regrettent la sophistication recherchée par nombre de trios actuels, comme un effet de mode. Ici, on revient au cœur même de cette formule, sans fard.


> Liens :

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  Theo Jörgensmann & Oleś Brothers : "Alchemia"

Theo Jörgensmann & Oles Brothers - "Alchemia"
HatOLOGY - dist. Harmonia Mundi - 2008

> HatOLOGY 646 - distribution Harmonia Mundi

Le clarinettiste allemand Theo Jörgensmann fêtera son soixantième anniversaire en septembre (2008). Il fait donc partie de cette génération de musiciens de jazz qui a largement contribué au développement de la free-music dans les années 70 en Europe. Il est resté fidèle à ses choix esthétiques en associant la forme traditionnelle du jazz (thème et développement) avec une grande fluidité des improvisations libres, des espaces ouverts (Perrata) jusqu’au déluge de notes (Menace).

Une musique qui fait alterner les climats : fièvre et tension, calme et recueillement, et parfois la transe. Un jeu auquel se prêtent avec enthousiasme et une grande qualité d’écoute les deux frères Oleś, jeunes et brillants musiciens polonais qui collaborent avec Jörgensmann depuis 2003.

Ce disque, enregistré en concert à Cracovie en mai 2006, est un bon témoignage du travail d’un clarinettiste qui, sans renier l’influence de Jimmy Guiffre (en témoigne sa composition Guiffree), se situerait plutôt entre John Carter et les "purs et durs" du free européen (du côté Hollande et de l’Allemagne).

L’alchimie (Alchemia) réalisée dans ce nouvel album repose sur la rencontre réussie des générations dans le cadre du concert, sans doute le meilleur contexte pour goûter cette musique contrastée.

> Lien :


Pour conclure, sachez que vous ne trouverez pas ces disques en téléchargement légal. Werner X. Uehlinger continue à défendre âprement la diffusion de la musique sur CD. On le comprend et cette position est toute à son honneur.

Gardien du temple disais-je !