Après le concert du groupe "Antiloops" à Caen fin novembre, Jean-Louis Libois a retrouvé la flûtiste Ludivine Issambourg fin décembre pour un entretien...
Antiloops au Jazz Café du théâtre de Caen, mardi 24 novembre 2015.
Un célèbre producteur d’un certain "jazz-club" évoquait le renouveau de la flûte jazz en France en citant trois noms de flûtistes au féminin parmi lesquels Ludivine Issambourg. Ceux qui n’avaient pas eu l’occasion de l’entendre dans la région aussi bien lors de la dernière édition de Jazz sous les Pommiers à Coutances (2015) qu’à La Fabrique à Lion-sur-Mer (Calvados) ont pu la découvrir dans l’enceinte du théâtre de Caen et son Jazz Café fin novembre dernier. Le café Côté Cour avait, pour l’occasion, fait le plein et le public à son tour le plein de musique et d’énergie en compagnie de sa formation Antiloops.
Sa présence en Normandie ne saurait étonner ceux qui se souviennent de la jeune musicienne de 14 ans du big band Klaxton dirigé par Jean-François Millet et plus tard de la Grande Pérezade de Jean- Baptiste Perez. A l’âge de 18 ans, Ludivine crée son premier groupe le sextette H.Nod sur le modèle de celui de Julien Lourau (déjà !) qui se produira au festival Jazz Sous Les Pommiers en 2006. Le Conservatoire Régional de Caen est une étape avant celui de Cergy-Pontoise ; années au cours desquelles Ludivine apprend la technique de la flûte classique et celle de son émancipation vers les musiques dites actuelles. De formation en contacts, d’expériences en rencontres naît son groupe, Antiloops, avec ce cri du cœur : « Je suis enfin reconnue, après des années, des années de travail ». Ceux qui ont eu le plaisir de la voir et de l’entendre comprennent ce que cela signifie tant ce plaisir de la reconnaissance et de jouer « sa » musique » crève les yeux et fait plaisir à voir.
Jean-Louis Libois : Alors les deux autres flûtistes qui renouvellent le jazz à part vous ?
Ludivine Issambourg. (sans hésitation) : Naïssam Jalal avec son univers tourné vers l’Orient [1] et Sylvaine Hélary davantage axée sur la flûte contemporaine.
JLL. : Tout semble commencer à la scène avec Wax Tailor, auteur, compositeur français …qui vous demande ?
LI. : …Reconnu en effet sur la scène internationale comme comme un des représentants du hip hop. Il m’a engagée en 2008 et j’ai enchaîné concert sur concert avec des tournées qui se succédaient à raison de 20 concerts par mois pendant cinq années. J’ai beaucoup appris pendant ces quelques années en me familiarisant avec les samples, les DJ, le hip-pop… J’ai vu ce qu’étaient les métiers de manager, de producteur… J’ai appris comment on monte un projet, un spectacle, toutes choses qu’on n’apprend pas dans les conservatoires.
JLL. : À quel moment naissent les projets personnels dans ce contexte très cadré malgré tout ?
LI. : Après avoir quitté la formation de Wax Tailor, dont j’avais fait un peu le tour, c’était pour moi le moment d’écrire. Aussi bien reprendre mes études au CeFeDem d’Ile de France et passer mon D.E. (Diplôme d’État) de jazz qu’ écrire mes propres compositions.
JLL. : Vous jouez donc à nouveau…
LI. : … Oui, J’étais enfin prête à monter mon propre projet. Le premier concert d’Antiloops a lieu en décembre 2012 au New Morning puis nous nous produisons au Sunside en 2013 où nous remportons les Trophées avec le Premier prix de soliste et le Premier prix de groupe. C’est aussi l’occasion de mon premier album enregistré pour la moitié en 2012 et l’autre moitié en 2014.
JLL. : Pour ma part, j’ai un faible pour "Luna", composition plus mélodique, plus éthérée moins électro en tous cas même si la composition qui donne son titre à l’album.« Electroshock » est également superbe. Au passage, je voudrais dire que je trouve pour ma part très réussie la captation vidéo en noir et blanc de ce morceau réalisée dans la Cave des Unelles à Coutances en mai dernier.
LI. : J’utilise la flûte alto pour "Luna" tandis que les platines diffusent le dialogue d’Amstrong avec la Terre lors de ses premiers pas sur la Lune. Mais l’instrument manque de puissance. D’où l’usage de la flûte box sur la flûte plus hip hop. En ce qui concerne ce film, il est vrai qu’une équipe de tournage constituée de quinze techniciens est arrivée sur les lieux afin d’enregistrer le concert mais ils avaient oublié les lumières. D’où le noir et blanc...
JLL. : Le prochain disque : plus acoustique ou plus électro ?
LI. : De manière générale, ma bible, c’est l’album du saxophoniste Julien Lourau Gambit sorti en 2000 avec un mélange d’acoustique et d’électronique. Je veux perfectionner ce mélange en allant plus vers l’électronique. Le prochain enregistrement ira dans ce sens. La moitié est déjà prête avec bien sûr mes compositions mais aussi celles du pianiste Nicolas Dérand et du bassiste Timothée Robert. On rentre en studio en mars.
JLL. : Tout va bien alors ?
LI. : Magic Malik m’a dit « Tu as créé ton laboratoire, maintenant il faut y aller ».
JLL. : Magic Malik, un flûtiste masculin qui lui aussi a contribué à introduire la flûte dans le jazz contemporain…
LI. : Je l’ai rencontré à l’occasion de différents cours ou master classes. En 2008, il était président du jury du Concours National de flûte où j’ai remporté le premier prix. Il a toujours suivi d’un œil bienveillant mon parcours jusqu’à ce moment où il me fait comprendre que maintenant "je peux y aller".
Je suis contente d’avoir dans mon groupe le batteur aussi bien de Julien Lourau que de Magic Malik, Maxime Zampieri.
JLL. : Parmi les autres rencontres, on peut citer aussi Michel Édelin autre grand flûtiste du jazz contemporain reconnu depuis des décennies ?
LI. : Je l’ai croisé, là encore, à l’occasion d’un jury à Cergy-Pontoise et quelques années plus tard, j’ai reçu un message m’invitant à jouer dans son trio à la place de Nicole Mitchell, flûtiste fondatrice du Black Earth Ensemble à Chicago. Il a formé ensuite le quintette Flute Fever dans lequel il m’ a invitée à jouer aux côtés de la flûtiste Sylvaine Hélary et de Peter Giron et John Betsch, « mes » premiers musiciens américains ! Et où d’ailleurs Nicole Mitchell est également présente. Un album a été enregistré en juin dernier et devrait sortir au cours de cette année 2016.
JLL. : En dehors des concerts vous déployez également une activité pédagogique ?
LI. : Oui, depuis longtemps déjà mais aujourd’hui j’anime des master classes dans les conservatoires ou dans les écoles de musique dans toute la France. Et prochainement en Normandie, à Evreux, Falaise, Verson, Pont-L’Évêque. Elles sont suivies de concerts. Je collabore aussi à la revue La Traversière dans laquelle j’écris sur le jazz. Ainsi va paraître un article "Jazz et pédagogie". Faire reconnaître le jazz comme un domaine possible de la flûte au même titre que le classique constitue un peu aussi un but pour moi. C’est ainsi que pendant deux ans j’ai fait partie de l’Orchestre de Flûte Française (OFF) et qu’a lieu tous les trois ans la Convention de la flûte française. Pour la première fois le jazz est représenté et j’y jouerai.
JLL. : J’ai commencé l’entretien avec ce souvenir de la jeune flûtiste que vous étiez à l’âge de 14ans. Quelle n’a pas été ma surprise de vous voir inviter l’autre soir une jeune flûtiste à vos côtés le temps d’un titre.
LI. : Ah oui ! Christelle Raquillet. Elle a 17 ans. Je l’ai rencontrée au Conservatoire de Caen où elle pratique la flûte classique mais elle veut être flûtiste de jazz. Cela me faisait plaisir qu’elle joue avec moi dans le Jazz Café du Théâtre..
Entretien réalisé à Caen, fin décembre 2015.
Antiloops : Ludivine Issambourg : flûte, effets / Nicolas Derand : claviers / Timothée Robert : basse / Mr Gib : scratch / Maxime Zampieri : batterie
Le disque (rappel) :
ANTILOOPS : "Electroshock" Retrouvez ce disque dans la "Pile de disques" de janvier 2015 sur CultureJazz.fr, ici ! > Autoproduction / Musicast (parution 26/01/2015)
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