Les disques : Édouard FERLET : "Think Bach Op.2" // Ingrid & Christine JENSEN with Ben MONDER : "Infinitude" // Howard JOHNSON and GRAVITY : "Testimony" // Enrico PIERANUNZI – Rosario GIULIANI : "Duke’s Dream" // Anne QUILLIER 6tet : "Dusty Shelters" // Andreas SCHAERER : "The Big Wig"
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Bach is back ! Et sous les doigts d’Édouard Ferlet, il vit une aventure musicale proche de l’hypothétique perfection. Pris au pied de la note, comme par surprise, le natif de Leipzig trouve un nouveau souffle, hautement poétique et très éloigné, c’est heureux, de Jacques Loussier (pour ne citer que lui) grâce au pianiste parisien qui livre là l’opus 2 d’une alchimie musicale épatante entre l’hier et l’aujourd’hui. Pour un peu, nous serions tentés de n’en rien dire sinon qu’il faut se procurer cette galette dans l’urgence afin de jouir d’un moment de grâce comme notre platine en rencontre rarement, au rayon nouveautés cela va sans dire ! Et puis quoi dire ? Oui ? Oui !
Yves Dorison
C’est probablement dans l’orchestre de Maria Schneider qu’est née la complicité entre Ingrid Jensen et Ben Monder. Il n’est donc pas étonnant que les deux sœurs Christine, la saxophoniste, et Ingrid, la trompettiste, aient invité cet inventeur de nouveaux espaces sonores à la guitare qu’est Ben Monder pour enregistrer Infinitude dans leur ville de Montréal (Canada). Ce disque est de ceux qui captent l’attention dès la première écoute : une cohésion parfaite, le respect et le dépassement des conventions du jazz sont les traits marquants de ce quintet. Sur une base rythmique efficace et complice (Fraser Hollins -contrebasse- et le mari d’Ingrid, Jon Wikan à la batterie), les trois voix solistes inventent de vastes espaces colorés, riches de mélodies et d’harmonies singulières. Les sonorités électriques et poétiques de la guitare font écho au jeu brillant et inspiré des deux sœurs souvent dans une dimension orchestrale originale quand la trompette s’orne de quelques effets discrets (Duo Space). Les compositions de Christine Jensen, d’Ingrid Jensen, de Ben Monder et l’emprunt-hommage au trompettiste également canadien Kenny Wheeler constituent un programme sans temps morts ni faiblesses. Une musique assez envoûtante par ses qualités esthétiques et cependant sans concessions à la facilité. Une des belles références du catalogue Whirlwind, le label britannique du contrebassiste Michael Janisch.
Thierry Giard
Samedi 13 février 1971, Taj Mahal est sur la scène du Fillmore East, temple new-yorkais du rock à cette époque psychédélique. En libre penseur du blues, il a ajoute une section de quatre tubas à son groupe. Howard Johnson avait à ses côtés Bob Stewart, Joe Daley et Earl McIntyre pour apporter une couleur gravement chaleureuse à cette formidable soirée restituée sur un double album mythique : "The Real Thing" (Columbia G30619 - cf. Portfolio en bas de page). Ainsi naquit Gravity que l’on a grand plaisir à retrouver sur ce nouvel album 45 ans plus tard. À la "bande des quatre" s’ajoutent Dave Bargeron, Velvet Brown et Joe Exley. Tous des références incontournables, spécialistes émérites de ces instruments éléphantesques dans le jazz (et ses alentours) depuis un demi-siècle, chez Gil Evans, Arthur Blythe, Carla Bley, Lester Bowie et tant d’autres mais aussi souvent à la tête de leurs formations. Au delà de l’importance quasi-historique de Gravity, les qualités de ce disque méritent amplement qu’on s’y arrête. D’abord parce que cet ensemble de tubas sonne comme nul autre mais aussi parce que le répertoire choisi est assez panoramique pour proposer une balade sans aucun ennui dans les territoires du jazz. On retrouve par exemple deux compositions qu’Howard Johnson interpréta dans le big-band de McCoy Tyner au début des années 90 : le tourbillonnant "Fly with The Wind" et "High Priest" (Howard Johnson au saxophone baryton, un autre de ses intruments). L’esprit du blues est présent avec "Working Hard for The Joneses" que chante Nedra Johnson (la fille de...) et "Natural Woman" (de Carole King). On s’amusera également du contraste des timbres dans "Little Black Lucille" où Howard Johnson fanfaronne devant sa horde de tubas avec une modeste flûte irlandaise... instrument qu’utilisa aussi Taj Mahal autrefois ! La section rythmique "fait le job" avec efficacité en donnant des ailes à cette belle escadrille de tubas virtuoses. Voilà donc un disque des plus recommandables. Du jazz, tout naturellement.
Thierry Giard
L’espace d’un songe et les partitions prennent littéralement leur envol. Rendant hommage à Duke Ellington, Enrico Pieranunzi s’est, cette fois-ci, associé au saxophoniste Rosario Giuliani. Rien à redire,ces deux-là savent s’y prendre. Tout est à entendre et à suivre au fil des dix plages de l’album.
Le premier morceau séduit d’emblée. « Isfahan ». Poésie du nom et des mouvements. Une octave descendante en cinq notes jouées avec vivacité par le son affirmé de l’alto, un motif orientalisant soutenu par le contrepoint du piano. Ainsi se révèle en premier lieu une impulsion de modernité dans le jeu des deux compères. Le ton est donné.
Peut-on parler d’Ellingtonia ? Certes, toutefois l’ensemble est insufflé d’un nouvel esprit. L’interprétation de "Satin Doll" s’écarte des poncifs, le "A train" chemine différemment, tout cela grâce à une trame harmonique inventive du pianiste et une mélodie aux contours parfois coltraniens.
Reste à se complaire dans différentes atmosphères aux couleurs subtiles ("Reflections in D"...), ou bien à se laisser ravir par une ballade indigo ("I Got it Bad"). D’aucuns disposés d’une humeur sentimentale se délecteront à l’écoute de "Come Sunday".
Nous ne tergiverserons pas. Force est de reconnaître que les deux jazzmen tutoient le Duke avec originalité et s’accordent à merveille dans leurs écarts élégamment affinés. Ils excellent. Un disque, donc, à ne pas manquer ! OUI !
Véronique Pinon
Le deuxième disque du Anne Quillier Sextet possède les qualités du précédent. C’est un univers finement élaboré où chacun des membres du sextet trouve sa place et tient son rang avec assurance. La pianiste et compositrice met en place une dramaturgie musicale qui ne peut laisser indifférent. L’alliance des timbres, l’art de la nuance qu’elle exprime révèle un vrai talent contemporain ancré dans l’exigence. Mélodique, avec au gré des titres une rythmique quelquefois ouvertement mécanique (Carla ?), cette musique actuelle sonne et résonne dans un mouvement pulsionnel plus que séduisant. C’est original et convaincant. Cela ne peut que s’améliorer encore avec le temps car, à l’évidence, Anne Quillier possède pleinement l’art et la manière de traduire en musique l’émotion dans sa fondamentalité.
Yves Dorison
Avec Andreas Schaerer, il y a à écouter et à regarder. C’est sans doute pour cela que les albums de cet exceptionnel vocaliste suisse associent souvent un CD et un DVD. C’est le cas avec The Big Wig, projet ambitieux qui réunit le groupe du vocaliste, Hildegard Lernt Fliegen et l’orchestre symphonique de la Festival Academy de Lucerne. Le musicien toujours prêt à relever des défis au gré des rencontres et des propositions et quand on lui a proposé un projet orchestral pour l’édition 2015 du festival de Lucerne, il a accepté sans (trop) hésiter.
J’avais découvert Andreas Schaerer sur scène au festival Chinon en Jazz le 6 juin 2015. Il s’octroyait alors une pause dans son travail d’écriture de The Big Wig en venant présenter un autre projet singulier, Perpetual Delirium (lire ici...) avec les saxophones du Arte Quartet et le bassiste Wolfgang Zwiauer. La musique était passionnante, inventive, écrite et très improvisée, survolée par la présence et les prouesses vocales de l’auteur-leader. Avec the The Big Wig, on entre dans une autre dimension encore. Andreas Schaerer révèle un vrai talent de compositeur (il est diplômé de l’université de Berne). Il peut ainsi transcrire son admiration pour les musiciens qui le touchent : Pierre Boulez (plus particulièrement) mais aussi Debussy, Stravinsky, Bartok, Ligeti ou Frank Zappa. La voix est en perpétuelle mutation, chantant de fines mélodies sur des textes poétiques ou partant dans d’extravagantes escapades, avec une curiosité et un sens de l’aventure musicale très juvénile. Andreas Schearer a composé une grande fresque orchestrale qui évite habilement le piège de la juxtaposition de deux ensembles et d’un soliste. Il parvient à imbriquer son groupe dans l’orchestre symphonique en variant les situations et les modes de jeu tout au long des six mouvements, sa voix jouant le rôle de guide (les textes chantés) ou d’ agitateur lors de joutes musicales avec l’orchestre, l’ensemble des percussionnistes, ou les solistes de son groupe (tous excellents !). Avec The Big Wig, Andreas Schaerer a donné vie à une musique totalement inclassable et libre, savante mais pas sérieuse, joyeusement ludique et très imagée dans un projet heureusement enregistré et filmé car on imagine qu’il ne sera pas facile de le présenter à nouveau sur scène... C’est bien ce qu’on peut regretter.
Le 6 juin 2015, à Chinon, Andreas Schaerer était revenu sur scène pour conclure le concert de ses amis Vincent Peirani et Émile Parisien dans un trio inédit. Cette rencontre a connu une suite puisqu’on les retrouvera sur disque très bientôt, avec Michael Wollny au piano. ("Out of Land" - ACT records - 26 mai 2017)
Édouard FERLET : "Think Bach Op.2"
> Mélisse - MEL666020 / OutHere (Parution le 28/04/2017)
Édouard Ferlet : grand piano Yamaha CFX
01. Oves / 02. Anthèse / 03. Mind the Gap / 04. Et si / 05. Es ist Vollbracht / 06. Les Bacchantes / 07. Mécanique organique / 08. Concerto no.5 in F minor / 09. Crazy B / 10. Miss Magdalena // Enregistré récemment en France.
Ingrid & Christine JENSEN with Ben MONDER : "Infinitude"
> Whrilwind Recordings (P.2016) - WR4694 / Bertus
Ingrid Jensen : trompette, effets, kalimba et mélodica / Christine Jensen : saxophones alto et soprano / Ben Monder : guitares / Fraser Hollins : contrebasse / Jon Wikan : batterie.
01. Blue Yonder (C. Jensen) / 02. Swirlaround (C. Jensen) / 03. Echolalia / 04. Octofolk (C. Jensen) / 05. Duo Space (I. Jensen) / 06. Old Time / 07. Hopes Trail (I. Jensen) / 08. Trio : Garden Hour (C. Jensen) / 09. Margareta (C. Jensen) / 10. Dots and Braids (I. Jensen) // Enregistré à Montréal (Canada) les 3 et 4 juillet 2015.
Howard JOHNSON and GRAVITY : "Testimony"
> Tuscarora Records - 17-001 / www.hojotuba.com/store
Howard Johnson : tubas, saxophone baryton, fifre, arrangements / Velvet Brown : direction d’ensemble, tuba / Dave Bargeron : tuba / Earl McIntyre : tuba / Joseph Daley : tuba, producteur / Bob Stewart : tuba / Joe Exley : tuba (sur 1, 5, 6, 7, 8) / Carlton Holmes : piano / Melissa Slocum : contrebasse / Buddy Williams : batterie /+/ Nedra Johnson : voix (2)
01. Testimony (H. Johnson) / 02. Working Hard for the Joneses (N. Johnson) / 03. Fly With the Wind (McC.Tyner) / 04. Natural Woman (C. King) / 05. High Priest (McC.Tyner) / 06. Little Black Lucille (H. Johnson) / 07. Evolution (B. Neloms) / 08. Way Back Home (W. Felder) // Enregistré récemment à New York.
Enrico PIERANUNZI – Rosario GIULIANI : "Duke’s Dream"
> Intuition - INT3445 2 / Socadisc
Enrico Pieranunzi : piano et piano électrique (3, 10) / Rosario Giuliani : saxophone alto et soprano (8)
01. Isfahan / 02. Satin Doll / 03. Take the Coltrane / 04. I Got it Bad / 05. Duke’s Dream (Pieranunzi) / 06. Reflections in D / 07. Sonnet for Caesar / 08. Duke’s Atmosphere (Pieranunzi) / 09. Trains (Giuliani-Pieranunzi) / 10. Come Sunday // Enregistré aux studios de la Casa Del Jazz, à Rome, du 7 au 9 mars 2016.
Anne QUILLIER 6tet : "Dusty Shelters"
> Label Pince-Oreilles / www.collectifpinceoreilles.com/Dusty-Shelters
Pierre Horckmans : clarinettes / Aurélien Joly : trompette et bugle / Grégory Sallet : saxophones / Anne Quillier : piano / Michel Molines : contrebasse / Guillaume Bertrand : batterie
01. Le Retour Des Superhéros (Toujours injustement méconnus) / 02. Forget And Hope Now / 03. Qulture / 04. Dark And Opressive Loop / 05. Talk Time / 06. Let Sleeping Dogs Lie / 07. Candy Dream / 08. Man In The Street // Enregistré en septembre 2016 au Studio l’Artscène (Lyon).
Andreas SCHAERER : "The Big Wig – Hildegard Lernt Fliegen meets the Orchestra of the Lucerne Festival Academy"
> ACT - ACT 9824-2 (CD + DVD) / PIAS
Hildegard Lernt Fliegen : Andreas Schaerer : voix, beatboxing, trompette humaine / Andreas Tschopp : trombone / Matthias Wenger : saxophones alto & soprano, flûte / Benedikt Reising : saxophone baryton et clarinette basse / Marco Müller : basse / Christoph Steiner : batterie & marimba / Orchestre de la Lucerne Festival Academy dirigé par Mariano Chiachiarini.
01. Seven Oaks ( Schaerer-Brigitte Maria Wullimann) / 02. Preludium (Schaerer-Brigitte Maria Wullimann) / 03. Zeusler (Schaerer-Schaerer) / 04. Wig Alert (Schaerer) / 05. If Two Colossuses (Schaerer-Schaerer, traduction Brigitte Maria Wullimann) / 06. Don Clemenza (Schaerer) // Enregistré en concert au festival de Lucerne (Suisse) le 5 septembre 2015.