Les quatre disques : Bill EVANS (Another Time – The Hilversum Concert) ; Bill FRISELL - Thomas MORGAN (Small Town) ; Hasse POULSEN – Fabien DUSCOMBS (Free Folks) ; Kira SKOV – Maria FAUST (In The Beginning).
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Il y avait bien longtemps que nous n’avions écouté un live de Bill Evans. En vinyle, chez nous, c’est celui de Montreux, en 1968, qui tient la corde. Mais les besoins du marché sont étranges et voici un nouveau disque en concert exhumé en provenance de l’année 1968, année pré-érotique. Enregistré le 22 juin à la radio néerlandaise, il est donc précédé dans l’histoire par le célèbre enregistrement helvétique du 15 juin gravé dans le marbre de l’histoire sur la scène du Casino Kursaal. 10 titres pour celui-ci, 9 pour celui-là et 2 titres en commun seulement, Embraceable you et Nardis. Si l’on ajoute à cela l’enregistrement studio allemand du 20 juin enregistré chez Hans Georg Brunner-Schwer (The lost sessions from the Black Forest, label MPS) qui n’a que 3 titres en commun avec le 22 juin, l’on est donc en possession d’une somme de 38 standards qui donne une belle idée de l’esthétique d’un trio d’exception (Eddie Gomez, contrebasse et Jack DeJohnette, batterie) qui ne dura à cette lointaine époque que quelques mois mais marqua durablement l’histoire du jazz. Pour les exégètes du pianiste assurément, mais pas que.
Yves Dorison
L’avantage de Bill Frisell sur bien des musiciens, c’est qu’il fait une musique qui ne peut être que la sienne. Avec Thomas Morgan qui nous semble être une pure réincarnation de la contrebasse ultime, dans ce « Small town » enregistré au Vanguard, il démontre une fois de plus que l’art du dialogue ne peut se départir d’une bonne dose d’alchimie pour aboutir. Avec Morgan anticipant pour ainsi dire ses moindres attentes, le guitariste joue sur du velours. Les deux nous livrent un patchwork typiquement américain qui caresse d’un revers d’accord emphatique quelques décennies de création musicale. Le tissage harmonique est dense, les contrepoints savamment simples et leur commun discours un moment de suspension mélodique à laquelle semblent se heurter les lois de la gravité. Une génération sépare et réunit les deux artistes en quête de textures délicates, éthérées, seules bienvenues pour asseoir la profondeur du mouvement interactif qui les anime. Un grand moment d’expressive introversion, de superbe intelligence musicale. Less is more où l’art du raffinement au service d’un vocabulaire musical pétri d’inventivité. Absolument incontournable.
Yves Dorison
Vous l’aimez « roots » la musique ? Bienvenue dans les Free Folks, enregistrées live, de Hasse Poulsen et Fabien Duscombs. Ici l’impossible est une notion inconnue réservée aux âmes tièdes. Ici, on mélange, on mixe, on marie, on mêle, sans préliminaires, les voix brutes de différents courants musicaux a priori incompatibles. En véritables artisans créateurs, ces deux joueurs de sons utilisent toutes les cordes et tirent toutes les ficelles qui font d’un improbable melting pot sonore un ensemble musical cohérent. Entre tradition, pop music et bruitisme post moderne, réinventer un style sans fioriture qui laisse parler le cœur et l’âme, c’est le boulot d’artisan créateur que se sont donnés Poulsen et Duscombs, à la fois tailleurs de pierre et polisseurs de diamants. Un album sincère jusque dans les fêlures, sans compromission, qui ne peut que déranger les intolérants de tout acabit ; un disque qui ravira les amoureux du présent, du beau, sans retouche aucune.
Yves Dorison
Musiques religieuses et traditionnelles, jazz, histoire(s) et une forme de spiritualité se rencontrent à travers ce disque des origines ("In the beginning"), dans une veine assez inclassable. Je vous ai présenté cet album dans la Pile de disques de juillet 2017 mais j’ai eu envie d’y revenir parce qu’il porte un projet attachant, une jolie histoire d’amitié et de partage entre les deux amies danoises, la saxophoniste Maria Faust et la vocaliste Kira Skov. Au cours d’un voyage en voiture en Estonie (pays d’origine de Kira Skov), elles ont retrouvé d’antiques chansons, des textes chargés d’histoire et d’humanité, une âme troublante romantique et mélancolique. Ce projet musicologique serait somme toute assez banal si les deux musiciennes n’avaient pas choisi de l’enregistrer dans une église quasi abandonnée, en Estonie, pour mettre en forme ces "chansons perdues d’un pays adandonné". À un sextet de vents dirigé par Maria Faust avec la contrebasse (et le violoncelle) de Nicolai Munch-Hansen et la batterie du britannique Sebastian Rochford s’ajoutent la voix très naturelle, un peu brumeuse, de Kira Skov et un chœur mixte estonien. On peut aisément se laisser porter pas les ambiances singulières de ce disque de caractère. Si les voix semblent dominer à la première écoute, on perçoit ensuite un travail d’arrangement de l’ensemble qui laisse quelques espaces aux instrumentistes solistes parmi lesquels on remarque la trompette très lyrique de Tobias Wiklund et le saxophone de Maria Faust.
Une fort belle réalisation, certes, mais avec trop de retenue et de respect de la forme pour que ce disque puisse totalement convaincre. On aurait aimé retrouver plus souvent l’élan de Everything that could have been quand l’ensemble lâche un peu ses amarres. Une dernière interrogation enfin : pourquoi avoir choisi la langue anglaise pour l’ensemble des textes ? La langue d’origine aurait permis de pousser plus loin la recherche d’originalité.
Thierry Giard
Bill EVANS : "Another Time – The Hilversum Concert"
> Resonance Records - HCD-2031 / Socadisc (parution 01/09/2017)
Bill Evans : piano / Eddie Gomez : contrebasse / Jack DeJohnette : batterie.
01. You’re Gonna Hear From Me (Previn) / 02. Very Early (Evans) / 03. Who Can I Turn To (Bricusse-Newley) / 04. Alfie (Bacharach-David) / 05. Embraceable You (Gershwin) / 06. Emily (Mandel-Mercer) / 07. Nardis (Davis) / 08. Turn Out The Stars (Evans) / 09. Five (Evans) // Enregistré en concert à Hilversum (Pays-Bas) le 22 juin 1968.
Bill FRISELL - Thomas MORGAN : "Small Town"
> ECM 2525 / Universal
Bill Frisell : guitare / Thomas Morgan : contrebasse.
01. It Should Have Happened A Long Time Ago (Paul Motian) / 02. Subconcious Lee
(Lee Konitz) / 03. Song For Andrew No.1 (Bill Frisell) / 04.Wildwood Flower
(Joseph Philbrick Webster, Maud Irving) / 05. Small Town (Bill Frisell) / 06. What A Party (Dave Bartholomew, Pearl King) / 07. Poet - Pearl (Bill Frisell, Thomas Morgan) / 08. Goldfinger (John Barry, Leslie Bricusse) // Enregistré récemment en concert au Village Vanguard, à New York.
Hasse POULSEN – Fabien DUSCOMBS : "Free Folks"
> Das Kapital Records - CD17A9 / L’Autre distribution
Hasse Poulsen : guitare, voix / Fabien Duscombs : batterie
01. Au bord de Bordes (Poulsen-Duscombs) / 02. Stray and Roam (Poulsen) / 03. Freedom Jazzdance (Harris-Jefferson) / 04. Sang Bleu (Poulsen-Duscombs) / 05. Fjeldvandreren (trad. Groenland) / 06. Jockey Full of Burbon (T.Waits) / 07. Folking Around (Poulsen) / 08. Beans Taste Fine (S.Silverstein) / 09. Remember (Lennon) / 10. Highway To An Accident (Poulsen-Duscombs) / 11. While I’m Alive (Poulsen) / 12. It’s All Over (Poulsen) // Enregistré en septembre 2016 au Atabal (Biarritz) et Café Plum (Lautrec).
Kira SKOV – Maria FAUST : "In The Beginning"
> Stunt - STUCD 17012 / UVM
Kira Skov : voix, compositions, textes / Maria Faust : saxophone alto, compositions, arrangements / Tobias Wiklund : trompette / Meelis Vind : clarinette basse / Ned Ferm : saxophone ténor et chœurs / Nicolai Munch-Hansen : contrebasse, violoncelle et chœurs / Sebastian Rochford : batterie, percussion / Chœur estonien : Silja Uhs, Marie Roos, Annely Leinberg, Raul Mikson, Meelis Hainsoo et Joosep Sang.
01. Blessed are the women / 02. Song for Maria / 03. Poetry is free / 04. One / 05. Harvest brides / 06. In the beginning / 07. Everything that could have been / 08. Lifting up / 09. My heart is an old man // Enregistré récemment dans une église en Estonie.