Avec les disques de : Lina ALLEMANO FOUR (Sometimes Y) ; Lina ALLEMANO TITANIUM RIOT (Squish It ?) ; Airelle BESSON – Édouard FERLET – Stéphane KERECKI (Aïrés) ; Lena BLOCH & FEATHERY (Heart Knows) ; Aldo ROMANO (Mélodies en noir et blanc) ; THIRD COAST ENSEMBLE (Wrecks) ; Bugge WESSELTOFT (Everybody Loves Angels)
Au menu, de Lina à Lena, trois musiciennes en tête par ordre alphabétique... :
La trompettiste canadienne Lina Allemano présente les deux volets de son travail avec deux albums qui paraissent simultanément sur le label Lumo Records (Toronto). Cette musicienne très impliquée dans une certaine avant-garde chercheuse et structurée a choisi de poser un pied aussi à Berlin. Un grand écart qu’elle semble gérer positivement en tirant profit de ses rencontres, expériences et projets de part et d’autre de l’Atlantique. Ces deux disques présentent ses formations canadiennes. Avec "Sometimes Y", elle approfondit douze années de travail avec son quartet acoustique Four. La musique est écrite dans un langage contemporain qui pourrait sembler proche de l’univers d’un Anthony Braxton et des recherches de la musique créative aux USA. La mise en place est assez aérée pour permettre un discours à quatre voix complémentaires mais distinctes qui met en évidence la complicité de l’ensemble et les qualités de chacun de ses membres. Une formule peut-être pas profondément novatrice mais qui se positionne tout de même hors des courants conventionnels. Voilà ce qui retient notre attention.
Avec "Squish It ?", second album du groupe Titanium Riot après "Kiss The Brain" en 2014 (Lumo Records), Lina Allemano explore les ramifications en réseaux créatifs des courants (électriques) alternatifs. On retrouve le batteur de "Four", Nick Fraser entouré de deux instruments électr(on)iques, la basse de Rob Clutton et le synthétiseur analogique "à l’ancienne" de Ryan Driver. Cette fois la musique est totalement improvisée et signée équitablement des quatre membres réunis. La trompette (acoustique) de Lina Allemano est à la proue de l’ensemble, sondant l’air qu’elle module avec beaucoup d’imagination pour créer des lignes mélodiques anguleuses dans un environnement mouvant. On écoutera donc avec attention les cinq déclinaisons de Squish It ? comme un patchwork assemblant des singularités sonores en un ensemble soudé qui ne manque ni de fantaisie ni d’humour apparemment. Encore un disque à découvrir attentivement, l’esprit ouvert. Lina Allemano : un nom et une trompettiste à retenir !
Thierry Giard
Aïrés fait partie de ces enregistrements qui, quel que soit le bout par lequel on les prend, nous interpellent et nous laissent pantois. Ceci est plus que probablement dû à la grâce qu’il véhicule. Petite merveille d’équilibre posé entre deux mondes, le classique et le jazz, ce disque aux harmonies olympiennes pétries dans une matière sonore dense invite à l’échappée belle ; une évasion lyrique que les trois conjurés provoquent en distendant les liens originels d’une mélodie pour aller de l’avant glaner quelques surprises dissonantes au beau milieu de la douceur « contre-chantesque ». Aériens dans l’intime, inspirés et complices, les trois musiciens colorent à l’envi, illustrent et ornent leur musique des traits musicaux appartenant à la finesse et à l’élégance. Résolument moderne, cette musique, faite de portes entre-ouvertes et de ponts lancés sur l’improbable, s’élève vers des hauteurs que seule la virtuosité peut atteindre. Du jazz de chambre ancré dans une forme de plénitude aussi discrète que palpable.
Yves Dorison
Honnêtement, je ne savais rien de Lena Bloch avant que ne nous parvienne cet album, nouveauté du label barcelonnais Fresh Sound Records. Dès la première minute de la première écoute, on sent que la musique est là. Ça arrive mais pas si souvent que cela ! Lateef Suite ouvre le disque sur un dialogue entre le saxophone ténor de Lena Bloch et le piano de Russ Lossing, formidable musicien qui est ici compositeur de la moitié de ce répertoire. Cet hommage poétique assez impressionniste à Yusef Lateef vient rappeler que ce dernier fut le professeur de Lena Bloch dans les années 90. On comprend mieux alors que cette musicienne retienne ainsi l’attention : son vécu et son approche du jazz définissent les cadres esthétiques qui lui sont chers. Lee Konitz fut un de ses maîtres à penser, de même que Paul Motian et le courant créé par le pianiste Lennie Tristano. Au fil de l’écoute (Three Treasures, Munir, Esmeth...) on perçoit que les harmonies et mélodies du Moyen-Orient inspirent les compositions de cette musicienne née en Russie, émigrée un temps en Israël et désormais installée à Brooklyn. Un sacré parcours de vie qui fait naître une musique des plus touchantes, paisible et puissante à la fois. Lena Bloch s’affirme en outre comme une saxophoniste au jeu modulé et profondément sensible, loin de toute démonstration technique. Elle a trouvé en Russ Lossing un complice particulièrement attentif, capable de mettre en relief les mélodies en quelques accords épurés que viennent souligner la contrebasse de Cameron Brown (quel plaisir de le retrouver !) et ce batteur très subtil qu’est Billy Mintz. Un album qui me va droit au cœur : "Heart Knows" !
Thierry Giard
Le vénitien d’origine revient toujours aux airs qu’il affectionne. On ne s’en plaint pas. Le jeu ductile du contrebassiste Michel Benita et le piano très sensible de Dino Rubino l’accompagnent parfaitement dans ce travelling musical qui caresse aussi bien la nostalgie que le joyeux éclat. Le trio prend les notes « à la légère », mais pas la musique. Tout cela parait pourtant bien simple, mais seulement parce qu’Aldo Romano et ses acolytes savent faire simple et juste. Au service de la musique. Ni plus, ni moins. C’est déjà beaucoup. Cela stimule et console. Il y a du cœur et de l’humanité (pléonasme) là-dedans. Écoutez-les, nous n’en dirons pas plus.
Yves Dorison
On dit que les rivages du Lac Michigan constituent la troisième côte des États-Unis d’Amérique. On dit aussi que cette véritable mer intérieure a connu bien des colères, des tempêtes et des naufrages. C’est ce qu’on dit du côté de Chicago où la musique peut se montrer calme et lumineuse mais aussi tumultueuse et tempétueuse. Cette vie avec les éléments, leur beauté et leurs tourments est aussi une composante de l’âme bretonne. Sur les points communs de leurs histoires, les finistériens de l’Ensemble Nautilis et leurs amis d’Outre-Atlantique ont imaginé le projet "Wrecks", étape essentielle des échanges entamés en 2012 entre Chicago et Brest [1]. À l’automne 2015, le Third Coast Ensemble a réuni seize musiciens de la scène jazz ou rock de Chicago (dont quelques membres de l’AACM) et des membres de l’Ensemble Nautilis. Pour faire naviguer un tel équipage sur les eaux lumineuses d’un jazz inventif et audacieux, le cornettiste touche-à-tout Rob Mazurek s’est imposé comme un leader naturel. Il a composé une musique fédératrice, mouvante, souvent tourbillonnante sur des structures rythmiques et harmoniques héritées de la grande musique créative américaine : des thèmes simples pour un développement structuré par les enchaînements ou la superposition des discours improvisés. En fil conducteur, des textes écrits par Alexandre Pierrepont autour de la thématique des naufrages viennent baliser les dix étapes du voyage. L’enregistrement en concert (à Brest et Pantin) restitue parfaitement la force de ce projet, la formidable énergie qui en émane. Cette arche solide repose sur deux piliers fondamentaux : la richesse et la sincérité des relations humaines et une complicité artistique très généreuse. OUI ! Cet album concrétise la réussite d’un projet exemplaire.
NB : En cet automne 2017, le New Third Coast Orchestra a proposé une nouvelle lecture de cette musique en impliquant les classes du conservatoire de Brest. Un concert remarquable a eu lieu lors de l’Atlantique Jazz Festival où nous étions (lire ici...).
Thierry Giard
Nous qui n’avons pas l’habitude de nous attarder sur la musique « nu jazz » du norvégien avons été interpellé par la mention « solo piano ». Alors nous avons lancé l’écoute de ce disque qui semblait promettre de nouvelles interprétations de standards de la pop music parmi les plus iconiques, entre autres. Comment vous dire ? Du point de vue musical du pianiste, c’est personnel assurément, et même plutôt agréable. Presque trop par moment. Mais nous aimons le piano, et les enregistrements en solo plus encore. Pour le coup, la prise de son est parfaite. C’est rond et clair. Mais comment vous dire ? Soporifique. C’est le mot. Alors si ces temps-ci la vie vous malmène et que rôde en vous le découragement, évitez peut-être ce disque qui risque de vous enfermer dans une indécrottable neurasthénie. Il s’en fallait de peu que cela offre lumière et réconfort. Mais nous, même après la vingt-deuxième ligne de coke, on luttait encore, et vaillamment, contre l’endormissement. Mais l’important, c’est que tout le monde aime les anges. C’est marqué sur l’emballage. Alors let it be (un final époustouflant).
P.S. A choisir, il vaut mieux écouter ce disque que d’écouter chanter "The man I love" ou "Body And Soul" par Agnès Desarthe, quels que soient les musiciens qui l’accompagnent. Allez demain, moi, je serai trapéziste...
Yves Dorison
Lina ALLEMANO FOUR : "Sometimes Y"
> Lumo Records - LM 2017-7 / www.linaallemano.com
Lina Allemano : trompette, compositions / Brodie West : saxophone alto / Andrew Dowing : contrebasse / Nick Fraser : batterie
01. Sometimes Y / 02. Kanada / 03. Cowlick / 04. Marina and Lou / 05. Tweeter / 06. Ö // Enregistré en studio à Toronto (Canada) les 11, 12 et 27 avril 2016.
Lina ALLEMANO TITANIUM RIOT : "Squish It ?"
> Lumo Records - LM 2017-8 / www.linaallemano.com
Lina Allemano : trompette / Ryan Driver : synthétiseur analogique / Rob Clutton : basse / Nick Fraser : batterie
01. Squish It / 02. Squish It Now / 03. Squish It Nicely / 04. Squish It Forever / 05. Squish It Again // Enregistré en studio à Toronto les 4 et 5 février 2017.
Airelle BESSON – Édouard FERLET – Stéphane KERECKI : "Aïrés"
> Alpha-Classics - ALPHA 298 / OutHere
Airelle Besson : trompette / Édouard Ferlet : piano / Stéphane Kerecki : contrebasse
01. Es Ist Vollbracht (Ferlet) / 02. Infinite (Besson) / 03. Pavane pour une infante défunte (d’après Ravel) / 04. Soon (Kerecki) / 05. Manarola (Kerecki) / 06. L’histoire d’un enfant de Saint-Agil (Ferlet) / 07. Valse sentimentale Op 51 No 6 (d’après Tchaikovsky) / 08. Windfall (J. Taylor) / 09. Les stances du sabre (Ferlet) / 10. La Pavane Op 50 (d’après Fauré) / 11. Indemne (Ferlet) / 12. Résonance (Besson) // Enregistré en février 2017 à Grenoble (MC2).
Lena BLOCH & FEATHERY : "Heart Knows"
> Fresh Sound New Talent - FSNT4XX / Socadisc
Lena Bloch : saxophone ténor / Russ Lossing : piano / Cameron Brown : contrebasse / Billy Mintz : batterie
01. Lateef Suite (L. Bloch) / 02. Heart Knows (L. Bloch) / 03. Three Treasures (R. Lossing) / 04. French Twist (R. Lossing) / 05. Esmeh (L. Bloch) / 06. Counter Clockwise (R. Lossing) / 07. Munir (L. Bloch) / 08. Newfoundsong (R. Lossing) // Enregistré le 27 juillet 2017 à Charlestown Road Studio, Hampton, NJ, USA.
Aldo ROMANO : "Mélodies en noir et blanc"
> Le Triton - TRI-17539 / L’Autre distribution 22/09/2017 Aldo Romano : batterie, compositions sauf 10 / Dino Rubino : piano / Michel Benita : contrebasse
01. Lontano / 02. Rosario / 03. L.A.58 / 04. Song for Ellis / 05. Webb / 06. On John’s Guitar / 07. Favela / 08. Dreams and Waters / 09. Inner Smile / 10. Il Voyage en Solitaire (G. Manset) // Enregistré au Triton (Les Lilas - 93) du 15 au 24 mai 2017.
THIRD COAST ENSEMBLE : "Wrecks"
> RogueArt - ROG-0077 / www.roguart.com
Rob Mazurek : cornet, composition, direction / Christophe Rocher : clarinette, clarinette basse / Steve Berry : trombone / Christofer Bjurström : piano / Frédéric B. Briet : contrebasse / Philippe Champion : trompette / Lou Malozzi : électronique / Nicole Mitchell : flûtes / Jeff Parker : guitare / Irvin Pierce : saxophone ténor / Nicolas Pointard : batterie / Nicolas Peoc’h : saxophones alto et soprano / Avreeayl Ra : batterie / Vincent Raude : électronique / Tomeka Reid : violoncelle / Mazz Swift : violon /+/ Alexandre Pierrepont : textes / Yannick Leblay : voix off
01. This id the Atoll / 02. Drinkable Gold With Shadows’ Liquor / 03. The Blue Oblivion / 04. The Saying Ship / 05. Cobalt of Chance / 06. Wild Gale / 07. On the Trapeze of Minds Ferns / 08. Under the Hearts Snow / 09. The Game Circle / 10. The Island Beneath the Sea and Spirits’ Bean // Enregistré en concert le 13 octobre 2015 à Brest (le Quartz) et le 16 octobre 2015 à la Dynamo de Banlieues Bleues (Pantin – 93).
Bugge WESSELTOFT : "Everybody Loves Angels"
> ACT - 9847-2 / PIAS
Bugge Wesseltoft : piano
01. Drei Engel (trad) / 02. Bridge over troubled water (Simon) / 03. Koral (Bach) / 04. Angel (Hendrix) / 05. Reflecting (Wesseltoft) / 06. Morning has broken (Cat Stevens) / 07. Salme (CEF Weise) / 08. Blowing in the wind (Dylan) / 09. Angie (Jagger-Richards) / 10. Locked out of heaven -Mars-Lawrence-Levine) / 11. Let it be (Lennon-McCartney) // Enregistré dans la cathédrale de Lofoten (Norvège) du 24 au 26 février 2017.
[1] Arch Music Meetings - Échanges internationaux entre l’Ensemble Nautilis et des musiciens de Chicago d’abords et d’autres pays ensuite... lire sur le site de Nautilis, ici ...