Les six albums : Django BATES’ BELOVÈD (The Study Of Touch) ; Elvin JONES JAZZ MACHINE (At Onkel Pö’s Carnegie Hall 1981) ; Julian LAGE (Modern Lore) ; Yoann LOUSTALOT – François CHESNEL – Frédéric CHIFFOLEAU – Christophe MARGUET (Old and New Songs) ; Kate McGARRY (The Subject Tonight Is Love) ; Andreas SCHAERER (A Novel Of Anomaly)
Au menu pour ce mois de février 2018 :
L’oiseau Django est de retour ! En vol serré avec ses deux acolytes Petter Eldh et Peter Bruun, il vient virevolter sur les 88 touches d’un grand piano pour un second album du trio Belovèd. Le premier en 2010 fut consacré à Bird, Charlie Parker pour les moins intimes, normal pour un musicien migrateur qui avait quitté sa britannique île pour se poser alors à Copenhague (Belovèd Bird - chronique juin 2010). Pour celui-ci (chez ECM), il n’a gardé qu’une plume parkerienne (Passport, bien utile pour ce musicien voyageur) et le reste est du Bates pur-jus à l’exception de This World composé par son fidèle ami saxophoniste Ian Ballamy (Loose Tubes, Human Chain etc..., histoire anglaise). Voilà un formidable disque en trio piano-contrebasse-batterie parce que Django Bates en musicien complet et accompli pense trio avant piano. "The Study of Touch" traite avant tout de l’art et la manière de nous toucher et n’est en rien une leçon de piano (qu’il maîtrise merveilleusement cependant !). La connivence avec le contrebassiste Petter Eldh et le batteur Peter Bruun est totale. Elle remonte à l’époque où Django Bates enseignait au Rhythmic Music Conservatory de Copenhague. Aujourd’hui que Bates niche plutôt en Suisse du côté de Berne, ils ne se sont pas pour autant perdu de vue et ses sont retrouvés avec bonheur à Oslo pour enregistrer cet album. Asseyez-vous et écoutez ce disque qui ne vous laissera que peu de répit car cette musique structurée, pensée et incroyablement libre sollicite brillamment notre attention... Une sacrée leçon pour ces trios "à la mode" qui vous ressassent interminablement les mêmes phrases simplistes pour vous les entrer dans le crâne !
Thierry Giard
Onkel Pö’s Carnegie Hall était un club de Hamburg, dédié au jazz et au blues [Lire Holger Jass, Mein Onkel PÖ, 2015]. La radio a retransmis de nombreux concerts qui s’y sont tenus, les a enregistrés et les diffuse maintenant. Nous avons eu l’occasion d’en chroniquer plusieurs : Johnny Griffin’ / Eddie Davis, Woody Shaw, Freddie Hubbard, tous excellents et rendant bien compte de leurs musiques en direct, dans l’interaction avec le public. France-Musique a également diffusé récemment un concert de Chet Baker que l’on peut écouter sur le site de la chaîne (France-Musique, ici -émission 1 - et là -émission 2-).
Elvin Jones (1927-2004) restera dans l’histoire du jazz pour sa participation au quartet de John Coltrane de 1960 à 1965, dans lequel, le soubassement stable de la basse de Jimmy Garrison, les accords envoûtants et décalés du piano de McCoy Tyner et sa propre polyrythmie effrénée offraient au saxophoniste la possibilité d’exprimer sa musique à plein. Après cet épisode décisif, mais bref, Elvin, le plus jeune des Jones (Hank et Thad), organisa des groupes comprenant surtout de jeunes musiciens, qu’il menait à une sorte d’apocalypse finale sur une mélodie traditionnelle japonaise, laissant aux spectateurs un souvenir inoubliable (je me souviens encore de cette impression formidable au théâtre Déjazet, le 22 septembre 1981).
Ce double album est un fidèle reflet de la musique que délivrait Elvin Jones dans les années 80, des thèmes carrés, des improvisations longues, souvent torrides et pleines de souigne soutenus par les rythmes pulsants du batteur. C’est ainsi que débute ce disque, un long et torride solo de saxe, un apaisant solo de guitare, puis un vaste solo de batterie. La deuxième pièce plus tranquille permet d’entendre le magnifique joueur de balais qu’était aussi Elvin Jones. Le troisième morceau nous fait entendre derrière un long solo de saxe un Elvin rutilant et ainsi de suite de thèmes carrés, presque des marches, en ballades pour arriver à un long et clair solo d’Elvin annonçant le long final de 30 mn, sur un thème japonais “Doll of the bridge”, qu’il disait souvent en japonais [HanayomeNinjo]”. Une musique que l’on pourrait appeler du “hot jazz”, à la fois torride et souple, forte et enthousiasmée, un style qui n’est plus guère d’usage aujourd’hui.
Philippe Paschel
L’ultra doué guitariste californien répondant au nom de Julian Lage a pour lui de faire simple, ou du moins de nous le faire croire. Élégant et raffiné, il enfile les notes l’air de rien comme d’autres comptent les mailles à l’endroit, les mailles à l’envers, en regardant la télé. Et comme il maîtrise sur le bout des doigts le répertoire de la musique américaine que ce soit bluegrass, pop, jazz, funk et j’en passe sans pour autant omettre le courant traditionnel dit « Americana », Il s’y plonge avec délice et son éminent contrebassiste Scott Colley ainsi que le non moins remarquable Kenny Wollesen aux baguettes. Et il nous livre un album plutôt roots (avec quelques échappées jazz plus contemporaines de manière très éparse) dont on dira comme pour le « High Noon » de Kalle Kalima en janvier 2016 dans ces colonnes qu’il flirte un peu trop avec l’esprit frisellien du disque de 1998 « Gone, just like a train » ; un disque qui avait d’ailleurs reçu à l’époque un accueil assez tiède et qui, aujourd’hui, chez la jeune génération de guitaristes, fait figure de référence. Julian Lage ne s’en souvient pas. Il avait 10 ans. Notez bien que je n’ai pas dit de mal de cet album. On l’écoute avec un plaisir non feint. La faute à ce trio musical en diable qui vous ferait gigoter des jarrets même avec une reprise de Daniel Guichard (?). Bon pour le moral et les oreilles. Presque OUI !
Yves Dorison
Une invitation au voyage à travers le temps et les continents lancée par quatre musiciens réunis autour d’un amour commun pour des chansons, des mélodies d’ici et d’ailleurs qui défient le temps. Et voilà le chroniqueur bien en peine, ne sachant dans quel ordre citer les protagonistes tant ce groupe est soudé. On commence donc par le trompettiste puisqu’il est aussi responsable du label Bruit Chic qui publie ce bel album et viennent ensuite, traditionnellement, le pianiste et la section rythmique. Pas fier pour autant le chroniqueur car ces quatre coéquipiers forment un vrai groupe qui pourrait s’intituler "Old and New Songs" [1]. Quand ces gars-là décident de faire du neuf avec du vieux, ils choisissent les composants de leur répertoire dans un débat argumenté pour parvenir à une sorte de ronde autour du Monde, du Japon à la Russie, de l’Italie à la France, du Brésil au Japon... Une boucle bouclée en évitant l’Amérique du Nord d’où vient pourtant la manière de jouer cette musique évidemment référée au jazz né là-bas. De fil en aiguille, ils sont parvenus à tricoter un répertoire à leur mesure. Au départ évidemment, "File la laine" souvenir de la chorale du collège de Saint-Nazaire où chantaient les petits Loustalot et Chiffoleau. Ensuite, la rencontre Loustalot-Chesnel, en particulier dans le Kurt Weill Project que dirigeait le pianiste... Puis par l’entremise d’un ami commun, l’association Marguet-Chesnel. Ainsi a éclos ce remarquable quartet autour d’une envie de partager une approche sensible, paisible et poétique de la musique. Leur répertoire peut toucher chacun de nous car ces mélodies nous parlent, racontent des temps anciens dans des pays parfois lointains. Elles prennent alors un nouveau relief et défient le temps par la magie du jeu collectif. Pour avoir écouté cette formation sur scène à Caen un peu avant la sortie du disque, je peux affirmer une fois de plus que cette musique mérite notre écoute, sur ce beau disque, certes, mais aussi et particulièrement en concert.
Thierry Giard
Fort appréciée de l’autre côté de l’Atlantique, Kate McGarry (1970) est par chez nous une parfaite inconnue. À moins que j’aie raté quelque chose, à un moment ou à un autre. Toujours est-il que son dernier disque, un trio avec le pianiste Gary Versace (lui on sait qui c’est) et le guitariste Keith Ganz (lui, vous connaissez ?), est un enregistrement plein de belles surprises, douces comme une journée d’hiver bien au chaud à la maison. Tout dans cette musique est sensible, empreint de fragilité et habité jusqu’au bout des ongles. Entre jazz et folk, le répertoire égrène les mélodies avec un naturel et une homogénéité impeccables. Kate McGarry réussit même à donner une version personnelle de My Funny Valentine que l’on ne pense pas à comparer à l’original. Le léger voile dans sa voix, la diction claire et une technique inspirée, font qu’elle impose un ton à ce concept album réellement original. Ses acolytes jouent avec l’espace et sculptent les ambiances musicales avec un savoir-faire et une écoute lumineux. Ces trois-là ont bien fait de se rencontrer. Autrement, cela nous aurait manqué.
Yves Dorison
Le suisse Andreas Schaerer est un chanteur phénomène impliqué dans de multiples projets liés autour de la voix et de la composition : chant, rythme, formations iconoclastes du duo à la masse orchestrale, rien ne semble étancher sa soif musicale, rien ne semble lui résister. Doté d’une voix à la plasticité extraordinaire il se joue des plus grandes difficultés liées à l’improvisation et à l’interprétation contemporaine. Imitations instrumentales, scatting, bruitage, harmoniques, compositions, ouverture d’esprit. Bobby McFerrin, Al Jarreau ou ses voyages sur le continent sud américain ont eu à l’évidence une influence proéminente sur son développement artistique et la conception de ce nouvel enregistrement. Toujours est-il qu’il possède ce quelque chose qui le rend unique, un bonheur irradiant, un sens de la composition et de la mélodie qui nous laisse ébahi devant tant de suaves beautés. L’accordéoniste Luciano Biondini apporte une subtile dose de mélancolie, la guitare de Kalle Kalima nous électrise, les rythmes chaloupés de Lucas Niggli nous emmènent ailleurs. Certes il y a le talent exceptionnel du vocaliste qui ne s’explique pas, mais la curiosité, une envie insatiable, un travail assidu, perfectionniste et obsessionnel nous semblent les ingrédients indispensables à la réussite de ce disque empli de latinité.
Pierre Gros
Django BATES’ BELOVÈD : "The Study Of Touch"
> ECM - 2534 - 573 2663 / Universal Music France (paru en nov. 2017)
Django Bates : piano, compositions sauf 6 & 8 / Petter Eldh : contrebasse / Peter Bruun : batterie
01. Sadness All The Way Down / 02. Giorgiantics / 03. Little Petherick / 04. Senza Bitterness / 05. We Are Not Lost, We Are Simply Finding Our Way / 06. This World (Iain Ballamy) / 07. The Study of Touch / 08. Passport (C. Parker) / 09. Slippage Street / 10. Peonies As Promised / 11. Happiness All The Way Up // Enregistré à Oslo en juin 2016.
Elvin JONES JAZZ MACHINE : "At Onkel Pö’s Carnegie Hall – Hamburg 1981"
> JazzLand - Pö - N77041 / Socadisc
Carter Jefferson : saxophone / Dwayne Armstrong : saxophone / Fumio Karashima : piano / Marvin Horne : guitare / Andy McCloud : contrebasse / Elvin Jones : batterie
CD1 : 01. Elvin Jones Blues (E. Jones) / 02. In A Sentimental Mood (Ellington) / 03. Doll Of The Bridge (Keiko Jones)
CD2 : 01. George And Me (E. Jones) / 02. My One And Only Love (B.B. Wood) / 03. Antigua (R. Prince) / 04. Friday Night (F. Karashima) // Enregistré en concert à Hambourg (Allemagne) le 22 septembre 1981.
Julian LAGE : "Modern Lore"
> MackAvenue - MAC1131 / [PIAS]
Julian Lage : guitare / Scott Colley : contrebasse / Kenny Wollesen : batterie, vibraphone /+/ Tyler Chester : claviers sur 2, 3, 5, 6, 7, 11 / Jesse Harris : maracas sur 2, Casio sur 3, 5, 6, guitare acoustique sur 9.
01. The Ramble / 02. Atlantic Limited / 03. General Thunder / 04. Roger the Dodger / 05. Wordsmith / 06. Splendor Riot / 07. Revelry / 08. Look Book / 09. Whatever You Say, Henry / 10. Earth Science / 11. Pantheon // Enregistré récemment à New York.
Yoann LOUSTALOT – François CHESNEL – Frédéric CHIFFOLEAU – Christophe MARGUET : "Old and New Songs"
> Bruit Chic - BC0082675 / L’Autre Distribution
Yoann Loustalot : trompette, bugle / François Chesnel : piano / Frédéric Chiffoleau : contrebasse / Christophe Marguet : batterie
01. Mellan branta stränder (trad. russe) / 02. File la laine (R.Marcy) / 03. Bachianas brasileiras 5 aria (cantilena) (Villa-Lobos) / 04. Plaine ma plaine (L.Knipper) / 05. Dura memoria (A.Oulman) / 06. La Romanella (trad. Italie) / 07. Oshima anko bushi (trad. Japon) / 08. Old and New Drums (Marguet) / 09. Une jeune fillette (J.Chardavoine) / 010. Kristallen den fina (O.F.Tullberg) / 11. La belle s’en va au jardin des amours (trad. France) / 12. Edo no komoriuta (trad. Japon) // Enregistré récemment en France.
Kate McGARRY : "The Subject Tonight Is Love"
> Binxtown Records / www.katemcgarry.com
Kate McGarry : voix / Keith Ganz : guitare, basse / Gary Versace : claviers, accordéon
01. The Subject Tonight Is Love / 02. Secret Love / 03. Climb Down - Whiskey You’re The Devil / 04. Gone With The Wind / 05. Fair Weather / 06. Playing Palhaco / 07. Losing Strategy / 08. My Funny Valentine / 09. Mr Sparkle - What A Difference A Day Made / 10. She Always Will - The River / 11. Indian Summer / 12. All You Need Is Love // Enregistrement récent aux USA.
Andreas SCHAERER : "A Novel Of Anomaly"
> ACT - 9853-2 / [PIAS]
Andreas Schaerer : voix et percussion vocale / Luciano Biondini : accordéon / Kalle Kalima : guitare / Lucas Niggli : batterie
01. Aritmia ( Luciano Biondini) / 02. Stagione ( Luciano Biondini) / 03. Planet Zumo ( Kalle Kalima) / 04. Causa Danzante ( Andreas Schaerer) / 05. Fiore Salino ( Kalle Kalima / Andreas Schaerer) / 06. Getalateria ( Andreas Schaerer) / 07. Dive ( Kalle Kalima) / 08. Laulu Latkuu ( Andreas Schaerer / Essi Kalima) / 09. Signor Giudice ( Luciano Biondini) / 10. Swie Embri ( Andreas Schaerer) / 11. Flood ( Lucas Niggli / Chenjerai Hove) // Enregistré à Berlin du 20 au 22 mars 2017.
[1] Sans référence au moins en apparence et en réalité au Old and New Dreams de Don Cherry, Dewey Redman, Charlie Haden et Ed Blackwell dans les années 80.