Le plus petit Appeal jamais publié ! Parce que c’est toujours l’été. Les jours raccourcissent, oui, mais les piles de disques, pas vraiment. Culture Jazz a encore les pieds dans le sable...
| 00- OLLI HIRVONEN . Displace
| 01- ABDULLAH IBRAHIM . Dream time - OUI !
| 02- BLOOM . Dièse 1
| 03- GEORGE GARZONE / PETER ERSKINE / ALAN PASQUA / DAREK OLES . 3 Nights in L.A.
| 04- THEO GIRARD . Bulle
| 05- HUGO LIPPI . Comfort zone
Ropeadope Records
Olli hirvonen : guitare
Luke Marantz : piano
Marty Kenney : contrebasse
Nathan Ellman-Bell : batterie
A la croisée des chemins guitaristiques, le finlandais (basé à Brooklyn) Olli Hirvonen fait preuve d’une audace certaine dans son approche de la musique jazz. Virtuose, il l’est (vainqueur de la compétition de guitare à Montreux en 2019). Inspiré et capable de construire des compositions complexes englobant nombre d’influences, il sait faire le plus et le moins sans excès. Mélodiques et volontiers adeptes d’un lyrisme chaleureux, lui et son groupe dégagent une énergie notable qui peut frôler un bruitisme très contrôlé marqué par un certain type de pop. Olli Hirvonen n’en est pas moins un compositeur pointu qui affectionne l’intrication. Cela donne à entendre des titres emplis de variations subtiles qui ne manquent pas d’intérêt. Sur le dernier morceau de l’album, il s’empare d’une guitare acoustique et fait preuve là aussi d’inspiration. Situé quelque part entre Metheny et Matt Mitchell (oui, l’écart est grand, mais pas autant qu’il y parait), Olli Hirvonen propose une musique foisonnante d’idées qui peut séduire le plus grand nombre. Comme en sus il est brillamment accompagné, rien ne gâche l’écoute de ce disque à découvrir séance tenante.
Yves Dorison
Enja
Abdullah Ibrahim : piano
la salle de spectacle de l’auberge Hirzinger à Söllhuben, un petit village bavarois, accueille de temps à autre un hôte de marque, un pianiste, qui vient s’y produire en voisin. Il a presque 85 ans et s’appelle Abdullah Ibrahim. Installé en Allemagne depuis quelques temps déjà, le sud-africain de naissance est un de ces géants du jazz dont la discrétion égale le talent. Il n’a plus rien à prouver à personne depuis longtemps et peut donc se consacrer à la musique sans contrainte d’aucune sorte. Dans cette suite musicale ininterrompue d’environ 66 minutes, suite qui contient une vingtaine de référence à ses compositions, Abdullah Ibrahim explore son univers sans détour, offrant à l’auditeur une intimité musicale et humaine emplie d’éclats, de souffle et de silence. L’intériorité qui s’exprime dans ce disque recèle également une forme de fragilité qui sied à son grand âge, un âge où l’on peut se permettre de créer encore en regardant derrière soi le long chemin parcouru. Cela n’a rien de nostalgique. Cela n’est même pas testamentaire. Cela s’écoute plutôt comme une évidence : celle qui s’impose quand un artiste est lucide et apte encore à délivrer son message en toute liberté. Peut-être que la mélancolie prend sa part dans cette musique empreinte de rêve qui coule hors du temps, et cela fait sens. Mais il est sûr qu’elle donnera des frissons et autant d’émotions à l’auditeur attentif qui prélèvera sur son temps personnel l’espace nécessaire pour goûter ce grand moment d’introspection musicale. Ce ne sera pas en pure perte, croyez-nous.
Yves Dorison
https://abdullahibrahim.co.za/
Cqfd
Mélina Tobiana : chant
Laurence Louis : chant
Léa Castro : chant
Martin Guimbellot : contrebasse
Nils Wekstein : percussions
Naissance d’un trio vocal féminin avec Bloom : le fait n’est pas banal même si au bout du compte il s’agit d’un quintette puisqu’une section rythmique contrebasse(Martin Guimbellot) –percussions (Nils Wekstein) vient le compléter. A vrai dire l’acte de naissance remonte à quelques années et nous avions eu l’occasion de croiser ce trio/quintette l’an passé à l’occasion de Jazzitudes (Lisieux,14)....et le plaisir de l’apprécier. Ce disque était alors annoncé.
Quoique, bien sûr, non inédite, la formule est originale dans un contexte où les voix féminines solistes sont indénombrables (se reporter à l’article récent de notre collègue Philippe Paschel). Peu importe d’ailleurs, seuls comptent la qualité et le charme de ces voix qui opèrent, tantôt à l’unisson, tantôt décalées- et ce avec beaucoup d’invention. A chaque titre, composé pour un tiers par Mélina Tobiana et Laurence Ilous- auxquelles il convient d’ajouter Léa Castro- le trio se réinvente. Il en va de même pour les emprunts au chanteur Sting (Shape of my heart), au groupe belge pop-jazz Vaya Con Dios et à sa chanteuse Dani Klein (superbe Dont cry for Louie en guise d’ouverture), à une chanteuse française Ornette (réappropriation réussie de Crazy )qui avoue devoir son nom à l’admiration qu’elle porte à Ornette Coleman ou bien encore à la voix plus familière des amateurs de jazz, Abbey Lincoln( Throw it away) .Sans oublier des compositeurs tels que John Leslie McFarland, arrangeur de plusieurs titres d’ Aretha Franklin dont ici, Won’t be long.
La voix féminine en jazz, on aime plutôt : alors trois !
Au total, un disque aux climats variés, glamoureux sans excès, complètement séduisant et qui doit aussi beaucoup aux superbes arrangements du multi-instrumentiste Antoine Delprat.
Jean-Louis Libois
NDLA : Concert de sortie le 4 octobre au duc des Lombards. Bloom, c’est très bien à la scène aussi.
Fuzzy Music
George Garzone : saxophone tenor
Peter Erskine : batterie
Alan Pasqua : piano
Darek Oles : contrebasse
Pourquoi faire peu quand on peut faire beaucoup ? Dans un nouveau club, non loin de l’aéroport de Los Angeles, George Garzone et Peter Erskine ont donné rendez-vous à deux potes, Alan Pasqua et Darek Oles, pour trois soirées. Et comme ils ont trouvé que c’était plutôt bien, leurs six sets, ils sortent un triple CD avec vingt morceaux répartis à parts à peu près égales entre standards et compositions originales des quatre membres du quartet. De prime abord et d’une oreille distraite, on l’entend un jazz acoustique mainstream. Seulement le quartet est à un niveau autre. Il faut donc avoir une écoute attentive et, de suite, l’on s’aperçoit que George Garzone est loin d’être académique, que Peter Erskine est toujours aussi aérien et subtil derrière sa batterie et que le pianiste et contrebassiste (moins familiers pour nous) ne sont pas loin derrière, comme on dit. Que cela joue à toute vitesse ou que la musique se fasse ballade, tout est parfaitement musical. Ils relancent, un quatre quatre par-ci par-là, des soli par ailleurs, des chorus en veux-tu en voilà, ils s’écoutent en toute circonstance et démontrent avec un art consommé que le jazz n’a pas d’âge, pourvu que ceux qui le jouent soient des musiciens épatants et inspirés. Ceux qui était dans le club le premier soir ont du revenir les deux jours suivants ! Le saxophoniste ténor (méconnu chez nous) sait dérailler avec une vitalité et à propos redoutables ; ses lignes sont à la fois souples tendues avec une attaque et un grain véritablement attractifs. Un quartet comme celui-ci pourrait faire les beaux jours de festivals de jazz intéressés par le jazz. Enfin, on dit ça, on dit rien…
Yves Dorison
Discobole
Théo Girard : contrebasse
Basile Naudet : saxophone alto
Antoine Berjeaut : trompette, bugle
Sebastian Rochford : batterie
Théo Girard possède un groove intrinsèque qui semble flotter. Accompagné par le toujours exceptionnel Seb Rochford et des soufflants tout aussi épatants, Antoine Berjeaut et Basile Naudet, le contrebassiste propose une musique que ne renierait pas, par moment, un derviche tourneur tant elle aime à circuler. Faussement anodine dans le premier titre, elle évolue tout au long de l’album entre le mélodique absolu et la raisonnable attirance pour le décalage ornettien. Sans soutien harmonique, elle pousse l’auditeur à l’écoute active (ce qui devrait toujours être le cas). Le saxophoniste et le trompettiste aiment à croiser les lignes, à jouer au chat et à la souris, toujours soutenu par une rythmique à la précieuse densité qui sait habiter l’espace sans étouffer l’histoire en train de se raconter. Cette dernière peut virevolter derrière tandis que devant les souffles coulent, paisibles, avant d’être saisis par la frénésie qui les pousse aux fesses. Et la encore on se le laisse prendre par une présence sonore entêtante faite de circonvolutions tout à tour joyeuses ou âpres. Dans cet univers où le narratif est prégnant, les compositions tournent autour d’un cœur musical inépuisable de constance dont la mémoire semble s’auto-alimenter dans l’instant tel un organisme en perpétuelle révolution. Osera-t-on écrire que Théo Girard et ses acolytes sèment leur musique dans les microsillons ? Allez donc ! S’ils ne le font pas, vous n’en récolterez pas le fruit.
Yves Dorison
https://discobolerecords.bandcamp.com/
https://www.facebook.com/togirard
Autre distribution
Hugo Lippi : guitare
Fred Nardin : piano
Ben Wolfe : basse
Donald Edwards : batterie
Qui n’a pas un jour dans un club, lors d’un concert entendu jour le guitariste Hugo Lippi, accompagnateur recherché depuis son plus jeune âge, ajouterais-je. En effet, s’il est né à Portsmouth, c’est au Havre qu’il effectue ses débuts à la guitare et c’est aussi à Caen que ne nous le retrouvons souvent aux côtés du batteur Mourad Benhamou ou du trompettiste Fabien Mary par exemple.. Nous avons donc eu tout le loisir de nous familiariser au son de sa guitare et d’apprécier le talent du musicien. Entretemps il est vrai, il a enchaîné les collaborations, multiplié les expériences en divers lieux du continent ou autres. Aussi, nous arrive-t-il- en pleine maturité de New York avec son quatrième enregistrement Comfort Zone. D’où il ressort une rythmique américaine composée du contrebassiste Ben Wolfe et du batteur Donald Edwards. Le pianiste Fred Nardin est plus familier du guitariste même si la reconnaissance due au prix Django Reinhardt ne date que de 2016.
Django d’ailleurs ouvre le CD avec Le miroir de mes rêves ; histoire pour Hugo Lippi d’établir une filiation et de prendre aussi ses marques. Compositions originales ou standards, le guitariste s’inscrit(dans) ou revisite, avec talent et souvent avec brio, une histoire du jazz de plus en plus décloisonnée parce que de plus en plus décomplexée. Zone de confort ou pas (le titre est ambigu à dessein, on le suppose), le CD comporte deux temps bien distincts. Une séquence très pulsée de titres empruntés (Here’s that rainy day, Just in time) aux comédies musicales)aussi bien qu’au répertoire du saxophoniste multi instrumentiste Eddie Harris (Freedom jazz dance) est l’occasion de faire monter en puissance son complice le pianiste Fred Nardin et de mettre à contribution également sa rythmique américaine.
Dans un second temps à l’inverse, Hugo Lippi se réserve ses propres ballades- sentimentales on l’imagine (Letter to J, Clementime- et bien sûr Comfort Zone)où il fait entendre la précision de son jeu et la subtilité de son univers musical.
Jean Louis Libois
NDLR : Un disque à découvrir à l’occasion d’un concert le 16 septembre au duc des Lombards
http://www.karavane.pro/wp-content/uploads/Hugo-Lippi-Guitare-Bio-Fr.pdf