Ça sent le printemps ! Et les disques, eux, continuent de sortir, comme si de rien n’était.
| 00- LES ENFANTS D’ICARE . Hum-ma
| 01- CHRISTIAN WALLUMROD ENSEMBLE . Many
| 02- MARC PERRENOUD TRIO . Morphée - OUI !
| 03- SHABAKA AND THE ANCESTORS . We are sent here by history
| 04- JASON PALMER . The concert : 12 musings for Isabella
| 05- MUTHSPIEL / COLLEY / BLADE . Angular blues - OUI !
| 06- VOL POUR SIDNEY . Retour - OUI !
| 07- BRIAN MARSELLA . Gatos do Sul - OUI !
| 08- PULLED BY MAGNETS . Rose golden doorways
| 09- AMINA FIGAROVA EDITION 113 . Persistence
| 10- MEGHAN STEWART . Yesterdays
| 11- SARAH MURCIA . Eyeballilng - OUI !
| 12- DIASPORA MEETS AFRO HORN . Jazz : a music of the spirit. Out of Sista’s place - OUI !
| 13- DAY DREAM . Originals
| 14- MATTHEW TAVARES & LELAND WHITTY . Visions
| 15- JAVIER SUBATIN . Variaciones
| 16- JERRY BERGONZI . Nearly blue
| 17- MONIKA HERZIG . Eternal dance
| 18- JOHN ELLIS & ANDY BRAGEN . The ice siren
| 19- SARAH LANCMAN . Parisienne
| 20- DANIEL ROMEO . The black days session #1
| 21- ALEXANDRE HERER . Nunatak
Déluge
Olive Perrusson : alto
Octavio Angarita : violoncelle
Antoine Delprat : violon
Boris Lamérand : violon, composition
invités :
Carine Bonnefoy : piano
Clément Caratini : clarinette
Voici un quartet. Un de plus ? Non. D’habitude on appelle ce genre de formation un quatuor à cordes ; et l’on pense automatiquement musique classique. Tel n’est pourtant pas le cas avec les Enfants d’Icare qui reprenne le flambeau du jazz avec des cordes frottées là où l’avait laissé le Swing Strings System de Didier Levallet il y a fort longtemps. Leur musique se nourrit de musiques moderne, contemporaine, traditionnelle, pop rock, elles-mêmes perfusées à l’esthétique jazz. Les compositions sont aussi mélodiques que rythmiques et l’art de la nuance sonore est la botte secrète de ce quartet qui donne une autre vision musicale du quatuor à cordes. Les quatre musiciens ne manquent aucunement de gaité et d’inspiration. Fougueux et déterminés, il conte des histoires passionnantes qui savent enchaîner les atmosphères, entre tension et apaisement. Pleines de détails, ces histoires bourrées d’énergie vitale tissent des textures denses, sur des rythmes syncopés toujours souples, propices à l’expression d’un réel lyrisme. Pas sectaire, le « quartetuor » (quartet de tueurs) invite sur certains morceaux une pianiste et un clarinettiste qui se fondent sans difficulté, et même avec brio, dans leur univers. Brillant.
Yves Dorison
https://www.lesenfantsdicarequartet.fr
Hubro
Christian Wallumrod : piano, harmonium, électronique
Eivind Lønning : trompette, électronique
Espen Reinertsen : saxophone, flûte à bec, électronique
Per Oddvar Johansen : batterie, vibraphone, électronique
Développé sur quatre années, la matière première de cet album est un mélange combinatoire d’électronique et d’acoustique. Il en sort une musique et des improvisations dont l’étrangeté contemporaine caractérise l’ensemble depuis de nombreuses années maintenant. Dans cette musique, chaque détail sonore importe. Les influences, du jazz avant-gardiste au folklore local, de la musique liturgique à la polyphonie, s’entremêlent et donnent à écouter un corpus souvent méditatif où le silence est un élément central du dispositif d’écriture. Il s’en suit qu’une forme d’apesanteur semble émerger des bribes narratives élaborées par le quintet. D’ailleurs, si Christian Wallumrod est le compositeur de toutes les pièces, les autres musiciens sont partie prenante pour l’ensemble des arrangements et cela amène un renforcement de la cohésion entre eux qui profite pleinement au discours musical du groupe. Plus contemporain que jazz, ce disque auquel certains pourraient être réfractaires est fait d’aventure sonore et d’improbable espace en perpétuel et léger mouvement.
Yves Dorison
https://www.christianwallumrod.com
Neuklang
Marc Perrenoud : piano
Marco Müller : contrebasse
Cyril Regamey : batterie
Le trio de Marc Perrenoud à l’âge d’un adolescent qui continue de grandir, treize ans. A cette époque de la vie, on se pose des questions et on rêve. De fait, le cinquième album du trio est plus onirique que les précédents, même si ce n’est pas pour la raison évoquée ci-dessus. Plus relâché sur les tempi, la musique du pianiste romand apparaît plus flottante, plus ouverte sur l’entretemps qui caractérise le passage de l’inconscient nocturne dans notre pensée. Mais, même quand il retrouve le chemin des rythmes plus marqués, le trio garde une sorte de légèreté aérienne qui lui sied particulièrement bien. Cela n’ôte rien au propos musical dont la profondeur demeure mais cela marque un changement de cap dans la continuité d’un trio que l’on avait remarqué dès ses débuts. C’est donc l’évolution d’un trio mature, où chaque musicien entretient un rapport symbiotique avec les deux autres, et elle semble aussi naturelle qu’intelligente. Esthétiquement repérable dans l’instant, leur musique renouvelée porte intrinsèquement une empathie communicative ; et l’auditeur se laisse conséquemment séduire sans effort par la qualité de la conversation musicale offerte à ses oreilles quand la ville dort (toujours que d’un œil) et que l’esprit cristallise ses fantasmes. Bien évidemment recommandé.
Yves Dorison
Impulse Records
Shabaka Hutchings : saxophone tenor
Siyabonga Mthembu : voix et textes
Mthunzi Mvubu : saxophone alto
Ariel Zamonsky : contrebasse
Gontse Makhene : percussions
Tumi Mogorosi : batterie
Invités :
Nduduzo Makhathini : Fender Rhodes
Thandi Ntuli : piano
Mandla Mlangeni : trompette
Pas de folklore dans ce disque enregistré en Afrique du Sud avec des musiciens du crû, mais une sorte de fièvre hypnotique et spirituelle qui irradie la musique de tout l’album. Après « Wisdom of elders » sorti en 2016, Shabaka Hutchings remet le couvert et continue sa quête en territoire décloisonné, sans filet, ce nouveau Cd aux plages magnétiques. Chaque thème joué est empreint d’un militantisme qui attaque aussi bien à la suprématie blanche que l’épuisement de la pensée dans un monde capitaliste ou encore les archaïsmes sociaux. Shabaka Hutchings ne se contente donc pas de secouer les codes du jazz avec « Sons Of Kemet », façon jubilation primaire, ou avec « The Comet Is Coming »dans un genre plus festif et actuel. Avec The ancestors c’est le passé qu’il aborde. Et son passé musical passe bien évidemment par cette Afrique qui demeure la source de référence pour beaucoup dans le monde du jazz. Il le fait en passant par une sorte de transe mystique qui semble inépuisable. Est-il sorcier ce saxophoniste-là ? C’est bien possible. Toujours est-il que, quel que soit le contexte dans lequel il s’exprime, Shabaka Hutchings fait des merveilles dans une sorte de lyrisme musical qui n’appartient qu’à lui.
Yves Dorison
http://www.shabakahutchings.com/ancestors/
Giant Step Arts
Jason Palmer : trompette
Mark Turner : saxophone tenor
Joel Ross : vibraphone
Edward Perez : contrebasse
Kendrick Scott : batterie
Jason Palmer est le troisième artiste à profiter des bienfaits de l’association à but non lucratif de Jimmy Katz Giant Steps Arts (dont nous aimons les photographies). Après Eric Alexander et Jonathan Blake, c’est son tour de proposer un travail musical soutenu par la fondation. C’est donc en référence à l’un des plus importants vols d’œuvres d’art de l’histoire commis au musée Isabella Stewart Gardner de Boston en 1990 qu’il s’est intéressé. Chaque thème est consacré à l’une des œuvres dérobées. Dans les faits, à l’écoute pour être précis, l’auditeur est confronté à un jazz extrêmement ouvragé, riche de détails et de couleurs. Enregistré en public, il bénéficie de l’énergie particulière au concert. C’est un jazz contemporain que les musiciens construisent autour de thèmes fortement charpentés non dénués de mélodie. Complexe certes, mais toujours accessible, les compositions ornementées de Jason Palmer sont magnifiées par des musiciens incontournables tels Mark Turner et Kendrick Scott ou encore le très impressionnant vibraphoniste Joel Ross (23 ans) dont on ne doute pas qu’il fera une carrière hors norme. Jamais absconse, la musique du trompettiste, dans sa globalité, sait tisser un lien fort entre le passé et le présent tout en offrant un discours subtil non dénué d’originalité..
Yves Dorison
https://www.jasonpalmermusic.com
Ecm
Wolfgang Muthspiel : guitare
Scott Colley : contrebasse
Brian Blade : batterie
Wolfgang Muthspiel n’est pas le guitariste dont on parle le plus, loin s’en faut. Il n’en demeure pas moins incontournable et aucun des disques qu’il réalise ne laisse indifférent les amateurs éclairés. Sur des atmosphères souvent envoûtantes, le guitariste autrichien crée un jazz intime dont les mélodies font mouche à tout coup tant elles sont évocatrices d’un univers au sein duquel le lyrisme et la volupté se drapent en permanence d’une discrète modestie. Hors du temps, les dites mélodies se déroulent harmonieusement. La profondeur rugueuse de Scott Colley donne à l’ensemble une épaisseur et une intensité sensitive quand Brian Blade assure de son côté une touche aérienne fait de phrases arachnéennes en suspension autour du son de Wolfgang Muthspiel, qu’il soit acoustique ou électrique. Et si d’aventure le guitariste convoque un standard ou un blues (en solo), ni lui, ni ses acolytes, ne perdent de vue la constante inventivité qui s’exprime dans ce disque qui nous a donné quelquefois l’impression d’être en présence de magiciens créateurs infatigables de nuances. Seul un morceau échappe à la douceur ambiante (Solo Kanon in 5 4), mais c’est pour mieux affirmer l’épatante communion des membres du trio. Un disque d’orfèvres absolument incontournable. Qu’on se le dise.
Yves Dorison
https://www.wolfgangmuthspiel.com/
nato
Avec Matt Wilson Quartet (M. Wilson, J. Lederer, K. Knuffke, C. Lightcap)
Ursus Minor (T. Hymas, F. Corneloup, G. Simmons, S. Williams)
Trio G. Séguron - C. Delauney - D. Seru
Donald Washington, Nathan Hanson, Doan Brian Roessler
Hymn For Her (L. Tight, W. Waxing)
John Dikeman - Simon Goubert
Sophia Domancich - Robin Fincker
Sylvaine Hélary "Glowing Life" (S. Hélary, A. Rayon, B. Glibert, C. Lavergne)
En 1992 décollait le Vol pour Sidney (aller). Ce voyage étourdissant à travers la natosphère en direction de l’étoile Bechet tenait en un disque et son livret illustré, documenté à la mode nato. À bord, une assemblée turbulente et cosmopolite de fans-musiciens inventait des hommages iconoclastes à la musique de Sidney B.. Selon la coutume de la galaxie nato, chacun y allait de sa reprise tantôt rock, tantôt blues, tantôt free, voire électro... Une brochette pimentée de thèmes empruntés au répertoire du célèbre sopraniste.
Un aller... et puis plus rien. Ou plutôt si, un écho réédité en 2015 (ici) pour rappeler que tout de même dans ce voyage, il y avait Elvin Jones ou Charlie Watts, Evan Parker ou Lee Konitz, Urszula Dudzik ou Taj Mahal, Terry Bozzio ou Han Bennink et les n’artistes nato Lol Coxhill, Tony Hymas, Steve Beresford, Tony Coe... Quelle réunion ! Un disque juke-box en quelque sorte mais un programme agencé avec amour et humour par cet allumé du jazz qu’est Jean Rochard.
Ce dernier, tenace et déterminé, ne pouvait pas laisser ce vol sans retour...
L’image joviale du visage de Sidney Bechet apparaît de nouveau dans nos radars. Le Vol pour Sidney est de retour ! Le 27 mars, il aurait dû fleurir les bacs des disquaires (ce qu’il en reste) mais le confinement anti-virus interdit le joyeux comité d’accueil qui illustrait la pochette du vol aller. L’objet n’est heureusement pas périssable et pourra attendre les beaux jours où portes et fenêtres s’ouvriront à nouveau. Vous pourrez alors savourer ce nouveau programme de réjouissances, sans doute plus jazz, un poil plus sage aussi que le vol aller mais tout aussi inspiré et... incontournable. Historique pour tout dire !
28 ans se sont écoulés, plusieurs ont débarqué pour rejoindre Bechet, ailleurs. D’autres ont repris le flambeau et entretiennent la flamme pour célébrer cette belle fête du jazz immortel, intrépide et fraternel. Merci nato... Bechet forever !
Thierry Giard
Tzadik Records
Brian Marsella : piano, composition
Cyro Baptista : percussions
Jon Irabagon : saxophones ténor et soprano, flûte
Mark Feldman : violon
Itai Kriss : flûte
John Lee : guitare
Pablo Aslan : contrebasse
Tim Keiper : batterie
+ Sofia Rei : voix (4, 7)
+ Felipe Hostins : accordéon (4, 7)
Pianiste américain né à Philadelphie en 1980, Brian Marsella est indiscutablement un virtuose du piano, sans doute perfectionniste dans la construction de sa musique comme en témoigne l’écoute de ce disque épatant. Complice de John Zorn dans différents projets, il est accueilli sur le label du saxophoniste, Tzadik Records, pour "Gatos do Sul".
Furieusement "Brésil", cet album traduit l’influence assumée des musiques de Ernesto Nazareth, Heitor Villa-Lobos ou Egberto Gismonti dans l’écriture de Brian Marsella. Subtil alchimiste, il combine les codes de la samba, de la bossa-nova et du choro dans des compositions et arrangements qui font la part belle aux rythmes qu’il confie aux percussions flamboyantes de son fidèle complice Cyro Baptista. Derrière une impression de facilité mélodique, d’ambiances familières, se cachent des subtilités d’écriture qui donnent du grain à moudre à des improvisateurs aussi exigeants et brillants que le violoniste Mark Feldman, le saxophoniste Jon Irabagon ou le flûtiste Itai Kriss. Ce disque chaleureux, coloré, joyeux, s’écoute et se réécoute avec bonheur car cette musique possède une vraie consistance alliée à une sensibilité touchante, voire renversante comme ce final envoûtant (Gratidao) autour de la voix de Sofia Rei. Une mélodie ondulante sur laquelle l’ensemble se retrouve progressivement pour s’éloigner en douceur de la luxuriance colorée d’un disque réjouissant et donc vivement conseillé !
Thierry Giard
www.brianmarsella.com . www.tzadik.com
Glitterbeat Records
Sebastian Rochford : batterie
Pete Wareham : saxophone
Neil Charles : basse
Enregistré d’une traite dans une église et sans aucune retouche, le disque de Pulled by magnets, nouveau groupe de Sebastian Rochford, va vous aimanter fortement ou vous repousser plus fortement encore. Avec un son d’ensemble juste écrasant, l’explorateur sonore écossais s’enfonce dans un univers sombre, d’une épaisseur sonique sans mesure qui ne vous laissera pas vraiment de répit. C’est dense, voire plus que dense, et cela par moment peut être la source d’un bouleversement auditif étonnant. Le batteur écossais a apporté dans cet album une expérience rythmique issue du Rag classique indien (l’inde étant le pays de sa mère), ce qui lui donne pour sûr une part de son originalité. Mais nous avons retenu avant tout l’aspect tectonique du fracas sonore engendré par le trio, fracas qui n’a rien de violent. C’est seulement un peu plus oppressant que la moyenne des musiques que nous écoutons. Quant à l’auteur de cet enregistrement, voici ce qu’il en dit : « Je suppose que l’endroit d’où j’écris est toujours mon émotion, et j’ai écrit toute la musique de Pulled by Magnets parce que j’essayais de trouver de la musique qui correspondait à ce que je ressentais et à l’époque je n’en trouvais pas. » Comme quoi, il faut savoir se laisser aller à toujours plus de liberté.
Yves Dorison
https://pulledbymagnets.bandcamp.com
Am-Fi Records
Amina Figarova : piano, claviers
Rez Abassi : guitares
Bart Platteau : Bb flute d’amore et EWI
Yasushi Nakamura : contrebasse et basse
Rudy Royston : batterie
Nous connaissions la pianiste azerbaïdjanaise pour son sextet acoustique et nous la retrouvons dans ce disque à la tête d’une équipe qui se livre à une exploration musicale entre funk et soul, rock et hip-hop. Le casting de l’album est au top (excellentissime Rudy Royston) et les compositions d’Amina Figarova ne nuisent pas aux genres abordés. Disons que nous ne sommes pas vraiment adeptes de ce type de musique. L’on ne dénigrera pas les musiciens, ni les compositions car l’on est certain de la sincérité du projet, mais il nous faut bien avouer que nous nous sommes un peu ennuyés. D’autres que nous aurons le frisson à l’écoute de ce disque. C’est là toute la beauté de la musique, d’où qu’elle vienne, quelle qu’elle soit, que de trouver des auditeurs qui l’aimeront. Une chose est sûre, Amina Figarova ne craint pas de se remettre en question et d’être libre de faire la musique qui l’intéresse sans frein.
Yves Dorison
Bubble Bath Records
Meghan Stewart : chant
Steve Lands : trompette
Shea Pierre : piano, orgue, synthés
John Maestas : guitare
Scott Johnson : saxophone ténor
Jeronne Ansari : saxophone alto
Trey Boudreaux : contrebasse
Chris Guccione : batterie
Une chanteuse de plus ? Cela ne nous dérange pas, d’autant qu’avec le temps, le besoin de voix humaine grandit chez nous. La connaissions-nous ? Que nenni. Originaire de l’Alabama et issue d’une famille de musiciens, Meghan Stewart exprime son art vocal haut placé avec une douceur certaine. Sa voix, avec un je ne sais quoi d’acidulé, possède un charme certain. L’apparente nonchalance de son chant cache une approche des standards qui n’est pas commune. C’est d’ailleurs d’autant plus vrai que les musiciens qui l’accompagnent aiment, comme elle, l’air de ne pas y toucher, flirter avec les bordures. Il s’en suit un disque qui dépareille dans l’univers des disques de chanteuses de jazz, un disque qui possède de fait de beaux atouts. Le collectif l’emporte à tout moment sur l’individualité et c’est donc un enregistrement très homogène qui ne cherche aucunement à imiter qui que ce soit. C’assez rare pour être signalé car, dans ce rayon jazz vocal, elles sont peu nombreuses à éviter les écueils du genre. Son « Just squeeze me » en duo avec le contrebassiste est un bon exemple de sa capacité à renouveler sans le dénaturer un thème rebattu. Un disque intéressant.
Yves Dorison
https://meghanstewartjazz.com/home
dStream
Sarah Murcia : contrebasse, chant, synthétiseur basse, piano
Benoît Delbecq : piano, percussions, claviers, électronique
Olivier Py : saxophones ténor et soprano
François Thuillier : tuba
Sarah Murcia chanteuse, contrebassiste, pianiste également mais aussi compositrice donc avant tout touche à tout et inclassable chercheuse. Ce disque à l’architecture sonore singulière, tuba, saxophone, clavier, synthé, et donc contrebasse doit beaucoup au sens orchestral de Sarah à son talent de compositrice et d’organisatrice, à une façon de faire de la musique qui s’ouvre à tous les genres pourvu qu’elle y trouve un terrain propice aux jeux sonores. Ici un certain minimalisme aux rythmiques impaires avec un Benoit Delbecq claviériste et percussionniste électrisant. Au final les saxophones et tuba font plutôt office d’instruments traditionnels quand à leurs utilisations solistes et dépourvus de traitements électroniques, un savant mélange des genres et nous apprécierons les talents d’improvisateurs de François Thuillier et Olivier Py. Un disque où se côtoient pop, jazz, contrepoints, improvisations et écritures poétiques Sarah y chantant les textes Vic Moan, un auteur compositeur éclectique américain vivant en France depuis de nombreuses années.
Eyeballing, le titre de cet album, pour Sarah comme pour nous une façon de voir le monde qui nous entoure et nous interroge.
Pierre Gros
Melchizedek Music
Ahmed Abdullah : trompette, flugelhorn, voix
Francisco Mora Catlett : multi-percussions
Monique Ngozi Nri : poésie et voix
Alex Harding : saxophone baryton
Don Chapman : saxophone ténor
Bob Stewart : tuba
Donald Smith : piano
Radu Ben Judah : contrebasse
Ronnie Burrage : multi-percussions
Roman Diaz : percussions
Le trompettiste Ahmed Abdullah est passé par le Sun Ra Arkestra dans les années soixante dix. Né en 1947, lui et ses sœurs avaient dans leur école un prof nommé Langston hughes. Dans son quartier, à cette époque Martin Luther King et Malcolm X parlait au coin de la rue. Avec un tel background, sa musique a toujours été par les aspects socio-économiques, politiques et spirituels. Adepte du collectif, fondateur du « Collective Black Artists », il a toujours constitué ses groupes avec en tête le souci de développer une musique puissante et riche en adéquation avec ses racines. C’est bien le cas de cet enregistrement où chaque musicien est un élément constitutif de l’ensemble. La musique repousse les frontières, le mots de la poétesse Monique Ngozi Nri (épouse du leader) font mouche et l’auditeur se trouve immergé dans une musique de jazz militante qui accorde la primauté à l’esprit. Cette musique de l’esprit, ainsi qu’elle est appelée, est un véritable enchantement. Profondément habitée, lyrique par essence et toujours prête à recueillir l’au-delà des notes, elle procure un sentiment de plénitude particulièrement agréable. En ces temps troubles, elle s’écoute comme une promesse de vie abondante et lumineuse, nourrie d’intensité humaine et musicale, de mysticisme aussi.
Yves Dorison
Corner Store Jazz
Drew Gress : contrebasse
Phil Haynes : batterie
Steve Rudolph : piano
Et voici venir à vos oreilles un trio absolument épatant. Si l’on ne connaissait pas le pianiste, Drew Gress et Phil Haynes, eux, il y a belle lurette qu’ils sont dans notre collimateur ! La musique que les trois proposent a quelque chose de stellaire. Chaque musicien offre des compositions originales dont les architectures sonores serpentines qui permettent d’infinis développements. A la fois prismatique, aérienne et très homogène, l’expression musicale de ce beau disque nous a fait penser par certains aspects à Marc Copland. Une grande douceur harmonique, des thèmes simplement mélodiques sur lesquels toutes les combinaisons sont possibles (et les musiciens ne s’en privent pas), des soli habités par une grâce aussi prégnante que modeste, font de ce Cd une sorte de parangon de subtilité. Les trois musiciens sont impériaux et l’alchimie fonctionne à plein. Doit-on en dire plus ou seulement vous conseiller de l’acheter fissa ?
Yves Dorison
Mr Bongo
Matthew Tavares : piano, guitare
Leland Whitty : saxophone, flûte
Julian Anderson-Bowes : basse
Matthew Chalmers : batterie
Écrit sur une durée de trois semaines, ce disque a été enregistré n studio en une seule et unique session. Entre compositions léchées et improvisations collectives, l’album dégage une belle énergie basée sur un art consommé du crescendo. Parfaitement expressionniste, l’ensemble du quartet s’applique à varier les genres. Quelquefois très jazz, plus pop à d’autres moments, les leaders portent avec sincérité une musique très narrative qui ne manque pas de force et qui s’exprime sur bien des registres tant le potentiel des musiciens est étendu. Cependant, certains arrangements nous ont surpris sans nous convaincre et l’ensemble a fini par provoquer une forme discrète d’ennui due pour partie à l’expression d’un continuum un peu trop continu pour nous. Chacun se fera donc un avis circonstancié sur ce disque qui ne démérite néanmoins pas.
Yves Dorison
https://matthewtavares.bandcamp.com/album/visions
Auto production
Javier Subatin : guitare, compositio
Pedro Moreira : saxophone ténor
João Paulo Esteves da Silva : piano
André Rosinha : contrebasse
Diogo Alexandre : batterie
Nous avions chroniqué le Cd « Autotelic » du guitariste et compositeur Javier Subatin que nous découvrions alors. Il revient là en quintet avec sa musique toujours écrite avec un soin du détail remarquable. Très dense et adepte du vagabondage, elle s’exprime autant par la voix de chaque instrumentiste que par l’énergie globale du groupe. Actuel dans l’esprit et dans la forme, cet album ne manque pas de susciter chez l’auditeur une écoute active sans laquelle il pourrait se perdre car la densité du propos musical est intense. Entre circonvolutions évanescentes et moments rythmiques appuyés, la musique produite par Javier Subatin et ses acolytes possède sous certains angles une propension à l’onirisme, voire à l’ésotérisme, tant elle est capable d’évoquer des espaces au sein desquels la mélodie s’évanouit dans une continuité instrumentale plus large. C’est fort bien fait, riche de trouvailles, de complexité, mais jamais ennuyeux car toujours porté un souffle frais.
Yves Dorison
Savant Records
Jerry Bergonzi : saxophone ténor
Renato Chicco : orgue B3
Andrea Michelutti : batterie
On ne présente plus Jerry Bergonzi, ou alors quelque chose cloche au pays du jazz ! Bien connu et reconnu pour sa longue participation au quartet de Dave Brubeck, le septuagénaire se présente dans ce disque à la tête d’une sorte de power trio avec lequel il joue depuis quelques années déjà. Bien évidemment, l’entente ne nuit pas à l’expression classiquement jazz du ténor. Dans les faits, c’est un enregistrement bourré de groove dans lequel le saxophoniste et l’organiste à l’affiche se partagent les soli en se faisant propulser par un batteur qui sait faire le boulot. Hormis quelques compositions du natif de Boston, on trouve quelques standards bien choisis qui ratissent large, de Rogers / Hammerstein à Coltrane en passant par Gershwin. La volubilité de Jerry Bergonzi n’a rien perdu de son brio et il est toujours à même d’enchaîner impérieusement les notes. Rien de révolutionnaire dans ce Cd mais un bon moment de jazz honnêtement réalisé par des artisans du genre très talentueux.
Yves Dorison
https://necmusic.edu/profile/jerry-bergonzi
Savant Records
Monika Herzig : piano
Jamie Blue : flûte
Reut Regev : trombone (voix sur 10)
Jennifer Vincent : contrebasse
Rosa Avila : batterie
Lakecia Benjamin : saxophone alto (1,5)
Leni Stern : guitare (1,2,4,8,10)
Akua Dixon : violoncelle (3,6,12)
Mayra Casales : percussions (2,4)
Un groupe entièrement féminin, produit par une femme, c’est assez rare pour être signalé. Très écrites, les compositions des différentes interprètes constituent un travail ouvragé de haut vol. On trouve également dans cet album, et cela nous a surpris, le « We are the champions » de Freddy Mercury (vite détourné vers un jazz de bon aloi) et le « Heroes » de David Bowie auquel on peut ajouter le traditionnel « Sometimes I feel Like a motherless child ». La présence, ici et là, d’invitées pertinentes ajoute encore au foisonnement fertile qui traduit bien l’ampleur musicale du groupe. Beaucoup d’idées et de savoir-faire permettent également de ne pas s’ennuyer un instant et de goûter avec un réel plaisir une musique qui ne manque pas de subtilité, loin s’en faut. L’on sent en outre à l’écoute une joie communicative entre les membres de cette formation atypique qui mérite que l’on tende plus qu’une oreille.
Yves Dorison
monikaherzig.com
Autoproduction ?
Andy Bragen : livret
John Ellis : saxophone tenor, clarinette, clarinette basse
Marcus Rojas : tuba
Mike Moreno : guitare
Chris Dingman : vibraphone
Daniel Sadownick & Daniel Freedman : percussions
Miles Griffith : voix
Gretchen Parlato : voix
Quatuor à cordes dirigé par J.C. Sanford
le saxophoniste John Ellis et le dramaturge Andy Bragen travaillent ensemble depuis plus d’une décennie dans un champ peu exploré : l’opéra jazz. « The Ice Siren » fusionne totalement la musique et le livret dans une œuvre dramatique composée pour un ensemble de chambre hybride de jazz constitué de onze musiciens. Bragen s’est plongé dans des films et des livres effrayants et construit un scénario à la Tim Burton, à la fois hanté et comique : l’histoire d’un homme (chanté par Miles Griffith) qui pleure son amour perdu Melusina, en déposant chaque semaine des fleurs dans sa crypte. Attiré par « Melusina’s Siren Song », il s’aventure plus loin dans la crypte, rencontre son fantôme (chanté par Gretchen Parlato), et se retrouve piégé, condamné à une éternité glacée. Voilà pour le contexte. A l’écoute, cet étrange objet musical évolue entre classique et jazz. La musique est raffinée, c’est le moins que l’on puisse dire, et elle recèle des qualités orchestrales évidentes. Bien sûr, un auditeur féru de standards mainstream risque de s’ennuyer sérieusement. Mais les autres, les plus curieux, prendront plaisir à écouter les résonnances multiples de cet enregistrement décidément pas comme les autres.
Yves Dorison
Jazz Eleven
Sarah Lancman : chant
Giovanni Mirabassi : piano
Laurent Vernerey : contrebasse
Stéphane Huchard : batterie
Invités :
Pierrick Pedron : saxophone
Marc Berthoumieux : accordéon
Décidément très active, la chanteuse Sarah Lancman revient avec un disque qui annonce la couleur : Parisienne. Avec deux reprises de Charles Aznavour et Edith Piaf et des compositions originales parfaitement ciselées, en français ou en anglais, sur les harmonies soyeuses de Giovanni Mirabassi, elle fait vibrer son timbre aux graves toujours séduisants. Dans cet écrin avec une rythmique au diapason, sa voix au charme envoûtant et jamais agressive donne un sentiment de bien-être fort agréable. Pas d’éclats inutiles ou d’exercices de style dans cet album. Cela coule de source sans aucune vulgarité. Avec un côté Saint Germain Des Prés assumé, le groupe sait mettre en valeur ces chansons intimistes qui évoque un passé souriant. Quand Marc Berthoumieux sort son accordéon, on a inévitablement envie de s’écrier « chauffe marcel ! » Et quand Pierrick Pedron convoque la note bleue, on sent plus encore le swing discret qui habite tout l’album et qui fait de ce disque calme et sans défaut, au luxe et à la volupté paisibles, un bel objet musical au pouvoir de séduction notoire.
Yves Dorison
Cqfd
Daniel Romero : basse
Arnaud Renaville : batterie
Eric Legnini : Fender Rhodes
Julien Tassin : guitares
Christophe Panzani : saxophones
+invités
L’éclectisme ici n’est pas une posture revendiquée pour justifier une variété musicale mais le fruit d’une biographie traversée par ces musiques ; de la variété au jazz en passant par le rock et le jazz rock. Et traversée donc aussi par des rencontres, de Bernard Lavilliers à Mike Stern en passant par Toot Thielmans, finissant par rencontrer cette génération de jazzmen qui ont pour nom Alec Tassel et Eric Legnini. Le tout, sur un arrière fond affectif évoqué dans l’Appeal du disque d’Yves Dorison (février dernier) lui aussi pour le moins contrasté.
C’est ainsi que les deux disques enregistrés en 1998 par le bassiste Daniel Romero aux côtés avec les prestigieux guitariste et harmoniciste ne verront jamais le jour et qu’il faut attendre 2020 pour que paraisse ce faux premier disque dans lequel on retrouve les invités des différentes sessions.
Les années noires expliquent ainsi l’étalement des enregistrements, le contraste des compositions, la multitude des genres. 20 ans, en effet, traversent ce disque. Tout cela pourrait ressembler à un patchwork mal réuni ou à aboutir à un éclectisme sans unité. Au lieu de cela, si les différences d’inspirations et les ambiances musicales sont indéniables, une homogénéité s’impose autour du compositeur et musicien Daniel Roméo. Outre que la moitié des compositions est récente, les musiciens de ces dernières sont contemporains du disque, tant et si bien qu’on assiste à une premier dialogue entre un compositeur et lui même et un second qu’on pourrait qualifier d’inter-générationnel entre les musiciens. En dépit –et grâce aussi- à tous ces aléas, Black days est un disque réjouissant dont le premier titre qui lui est emprunté donne la mesure. A ce jazz-rock swinguant succèdent des morceaux plus funky et si des idées noires peuvent ça et là être perçues, on les mettra au crédit d’un évident sens de la mélodie du compositeur. Un disque étalé sur le temps, avec plein d’étages, pas mal d’artisans et un seul bâtisseur qui imprime sa marque à l’ensemble. Et cela s’entend.
Jean-Louis Libois
https://www.jazzinbelgium.com/musician/daniel.romeo
Onze heures Onze
Alexandre Herer : Fender Rhodes, synthétiseurs
Gaël Petrina : basse électrique
Pierre Mangeard : batterie
En tout juste cinq titres dont il est l’auteur, le pianiste décline avec son trio, un univers mécanique, minimaliste et répétitive, aidé en cela par un Fender Rhodes utilisé pour son étrangeté. Avec une rythmique qui retient constamment l’attention de son auditeur. Cette froideur recherchée peut saisir certaines oreilles inaccoutumées aux frimas polaires. Car c’est bien de cela dont il s’agit, faire sentir les grandes étendues de glace telles qu’on les trouve au Groenland est-il soufflé, par le musicien, à notre oreille non engourdies par la froidure. Musique aussi expérimentale aux confins du jazz, de la musique dite contemporaine et de la pop parfois. Une vraie recherche originale apte à séduire les curieux, les fervents du hors piste ou tout simplement les esprits ouverts. Et pourquoi pas rêver à l’un des dômes glaciaires qui culmine à 3200m (Dome C), à la calotte de glace qui recouvre 80% du Groenland (Indlansis) ou bien au piton rocheux qui s’élève au dessus de la glace (Nunatak) qui donnent leur nom à chacun des titres de l’enregistrement. En compagnie bien sûr de Gaël Petrina à la basse électrique et de Pierre Mangeard à la batterie sans oublier Alexandre Herer au Fender Rhodes qui a eu pour sa part l’occasion de croiser en d’autres contrées aussi bien Magic Malik que Marc Ducret. Ce n’est pas rien !
Jean-Louis Libois