Alors quoi ? Les confits du confinement souffrent encore en découvrant d’un fil les nouveautés du mois.
| 00- KURT EDELHAGEN & HIS ORCHESTRA . Unreleased WDR Jazz Recordings 1957-1974 - OUI !
| 01- ERLEND APNESETH TRIO . Lokk
| 02- MIKKEL PLOUG . Balcony lullabies
| 03- BILL EVANS . Behind the dikes
| 04- SKARBØ SKULEKORPS . Dugnad - OUI !
| 05- ARCHIE LEE HOOKER . Living in a memory
| 06- POLISH HEROINES OF MUSIC
| 07- ACK VAN ROOYEN . 90
| 08- CHARLEY ROSE TRIO
| 09- EDWARD PERRAUD . Hors temps - OUI !
| 10- DIEGO LUBRANO . El vuelo
| 11- JIM SNIDERO . Lat at the Deer Head Inn
| 12- SINIKKA LANGELAND . Wolf rune . - OUI !
| 13- WES MONTGOMERY . The Ndr Hamburg Studio recordings
| 14- DANIEL ERDMANN / STEPHANE PAYEN . Bricobracomaniacs
| 15- STEFANO DI BATTISTA . Morricone stories
| 16- DAVID HELBOCK . The new cool - OUI !
| 17- DANY DORITZ . Anthologie All Stars
| 18- GARY BRUNTON SECOND TRIP . Night bus
| 19- GREG LAMY . Observe the silence
| 20- ISMAIL SENTISSI . Genoma
Jazzline Classics
1957
Jimmy Deuchar, Milo Pavlovic, Fritz Weichbrodt, Dusko Goykovich : trompette
Helmut Hauk, Christians Kellen, Ken Wray, Manfred Gätjens : trombone
Kurt Aderhold, Jean-Louis Chautemps, Derek Humble, Franz Von Klenck, Eddie Bosello : saxophone
Francis Coppieters : piano
Johnny Fischer : contrebasse
Stuff Combe : batterie
1967
Hanne Wilfert, Shane Keane, Rick Kiefer, Horst Fischer : trompette
Jiggs Wigham, Manfred Gätjens, Otto Breidl, nick Hauck : trombone
Derek Humble, Heinz Kretzschmar, Wilton Gaynar, Karl Drewo, Kurt aderhold : saxophone
Bora Rokovic : piano
Peter Trunk : contrebasse
Dai Bowen : batterie
Qui connaît Kurt Edelhagen ? Pas nous. Faut dire que les bandes ici exhumées étaient bien planquées dans les sous-sols de la WDR à Cologne. Pour autant, après quelques recherches, nous avons découvert que son big band, européen avant l’heure, tournait beaucoup dans les clubs de soldats britanniques et américains stationnés en R.F.A, ce qui lui valut une reconnaissance appuyée dans le monde du jazz anglo-saxon. Il se produisit également en Europe, en Union soviétique et en R.D.A. Ce n’était pas cependant facile d’en vivre et le chef d’orchestre dut aussi enregistrer de la musique Schlager (sorte de variété teutonne plutôt insupportable) et autres horreurs populaires en ces temps anciens. Fort heureusement, cela n’apparaît pas de ce triple album entièrement dédié au jazz. Son orchestre ? Hyper précis dans l’attaque, d’une ampleur sonore de grande qualité avec des pupitres irréprochables et des solistes haut de gamme ainsi qu’une rythmique métronomique. En un mot, cossu. Comme on les aimait à cette époque, quelque part entre Frank Foster et Stan Kenton. Autrement dit, Kurt Edelhagen dirigeait une machine à swing d’un standing XXL ; assurément pas un bulldozer, plutôt une berline luxueuse avec la ronce de noyer et tout et tout. Bref, on ne saura jamais pourquoi cet orchestre chatoyant, plein de punch, qui invita nombres de pointures tout au long de son existence, est passé par la trappe de l’histoire et d’autres non. Grâce à la WDR de Cologne qui fait un beau boulot avec ses archives, on peut le redécouvrir aujourd’hui. C’est bien, non ?
Yves Dorison
Le point de vue de Philippe Paschel
Kurt Edelhagen (Herne, 1920/ Cologne 1982) est un chef d’orchestre allemand qui a dirigé un orchestre de jazz célèbre outre-Rhin. Il est quasi inconnu en France où son nom n’est mentionné ni dans le Clergeat (Dictionnaire du Jazz, Seghers, 1966), ni dans le Dictionnaire du Jazz (Laffont 1988), ni dans le Nouveau dictionnaire du jazz (Laffont 2011). Il en est de même de ses musiciens à l’exception de Jimmy Deuchar et Tubby Hayes, mentionnés dans le Clergeat. Ils sont sans doute connus en Allemagne comme Jean-Louis Chautemps ou Roger Guérin, qui ont joué dans cet orchestre, le sont en France, mais je n’ai pas de dictionnaire de jazz fait par des allemands. Des notices sur ces musiciens eussent été utiles. Notons que le texte de présentation est en allemand avec une traduction anglaise.
Les détails des musiciens présents dans chaque séance ne sont pas donnés, mais uniquement les noms des solistes. Cela n’est en effet pas très utile pour un grand orchestre, sauf pour les fanatiques du détail, mais on aurait bien aimé avoir les noms des batteurs.
« Mit Disziplin und Präzision » était la devise de Kurt Edelhagen, parfois au détriment du souigne. Comme il s’agit d’une anthologie, la musique évolue au fil du temps suivant les modes et l’on pourra entendre du Basie, du sautillant 70 jusqu’au Free (arrangement Albert Mangelsdorf). Les solistes internes sont excellents, comme Derek Humble (as), Maffy Falay (remarquable trompette turc, statufié dans son village natal), Wilton Gayner (ts) et les nombreux intervenants extérieurs (Herb Geller, Roger Guérin, Toots Thielemans, Sahib Shihab), à l’exception du très pénible numéro de Maynard Ferguson.
J’ai entendu cet orchestre au studio 105 de la Maison de l’ORTF, le samedi 14 mai 1966, en deuxième partie du “Paris Jazz Orchestra” d’Ivan Jullien, qui jouait le répertoire de son premier disque "Paris Point Zéro”. J’ai acheté ce disque à sa sortie, mais aucun de Kurt Edelhagen. On peut cependant envier les allemands qui ont eu pendant 17 ans l’opportunité d’écouter ce grand orchestre en direct et à la radio, avec des solistes de qualité, évoluant en gardant les principes de qualité.
https://en.wikipedia.org/wiki/Kurt_Edelhagen
Hubro
Erlend Apneseth : violon Hardanger, harpe mora
Stephan Meidell : guitare baryton acoustique, sampler et machines électroniques
Øyvind Hegg-Lunde : batterie, percussions, batterie électronique
Les compositions de cet album sont inspirées par la physionomie et le rythme des corps quand ils se meuvent. L’improvisation électro-acoustique est ici mêlée à des rythmes électroniques. La musique, si l’on en croit le dossier de presse peut être nommé (joliment) « Digital folk ». Ce qui n’est pas faux. Teintée de multiples influences, proche par certains côtés du folklore, voire du tribalisme, elle explore des contrées sonores étonnantes. Tantôt répétitive et presque hypnotique, elle peut également se parer de couleurs forestières et faire place aux chants animaux. Les ambiances sont tour à tour terreuses et aériennes. C’est un monde où le rêve et le mysticisme se croisent naturellement. Dans ce contexte, les membres du trio interagissent parfaitement, entrecroisent les lignent et définissent des cadences qui se prêtes à ces danses villageoises d’un autre temps. Laissant une large part à l’improvisation et aux techniques modernes de l’enregistrement que permettent les machines, la musique du trio offre à l’auditeur un univers prenant tous les accents d’un conte mettant en scène une myriade de micro-événements au sein de laquelle c’est l’humain qui semble le plus étrange.
Yves Dorison
Stunt Records
Mikkel ploug : guitares électrique & acoustique
De la Norvège ci-dessus au Danemark, il n’y a qu’un pas. Mikkel Ploug, pendant le confinement printanier de 2020, a joué 28 soirs d’affilée, à 18 h 15, sur son balcon, pour des rues vides et des fenêtres ouvertes, les mélodies qu’il avait travaillées dans la journée. Après quoi, il a filé au studio pour conserver une trace de cet événement particulier. Quelques standards apparaissent dans ce Cd, mais l’essentiel du corpus vient du répertoire danois. On note une fois de plus à quel point ces chansons sont mélodiques et difficiles à oublier. Mikkel Ploug, lui, les transfigure grâce à une approche très personnelle. Son jeu paraît d’une simplicité confondante, ce qui n’est pas tout à fait le cas bien évidemment, et à aucun moment ne lasse. Le guitariste de Copenhague capte notre attention sans coup férir. C’est somme toute assez magique. Toute en résonance, sa guitare sait se faire atmosphérique sans être ennuyeuse car elle ne perd jamais le propos initial du thème interprété. C’est véritablement de la belle ouvrage, inspirée comme rarement et, de fait, beaucoup novatrice qu’il n’y paraît de prime abord dans le monde de la guitare jazz.
Yves Dorison
Elemental Music
Bill Evans : piano
Eddy Gomez : contrebasse
Marty Morell : batterie
Contrairement à l’archive exhumée par Jack DeJohnette, sortie en janvier dernier, cette réédition en double cd d’un enregistrement en public réalisé aux Pays Bas, datant de 1969, est une pure merveille, même si ce n’est pas un inédit. Nous ne l’avions pas dans notre cédéthèque, allez savoir pourquoi. Durant ce concert, l’interaction est portée à son maximum en toute occasion. Eddy Gomez fait des merveilles, dirigeant presque en certaines occasions en lieu et place du pianiste. Marty Morell habille chaque titre d’un savoir-faire d’une précision extralucide. Bien sûr Bill Evans est là pour insuffler à ces titres emblématiques et aux standards (ce sont maintenant tous des standards) ce chant si particulier qui est le sien. Tout coule de source, tout est évidence, tout est connivence et le public ne s’y trompe pas qui peine à cesser d’applaudir entre les morceaux. Puis sur le second Cd viennent surgis de nulle part les titres « Granados » et « Pavane », enregistrés avec un orchestre à cordes. Ne nous demander pas pourquoi. Ils sont suivis de « One for Helen » et « Quiet now » qui closent le disque ; une bizarrerie nuisible à ce double album par ailleurs épatant.
Yves Dorison
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bill_Evans_(pianiste)
Hubro
Øyvind Skarbø : batterie, guitare, vibraphone, voix, drum machine, synthé modulaire
Signe Emmeluth : saxophone alto, voix
Eirik Hegdal : saxophones alto & baryton, trompette, clarinette, C melody
Stian Omenàs : trompette
Ivar Grydeland : pedal steel guitar, guitares
Chris Holm : basse
Invités
Klaus Holm : saxophones alto & baryton, clarinette
Thomas Dahl : guitare
Guoste Tamulynaite : piano, voix
Elia Müftüoglu Skarbø : voix
Øyvind Torvund : synthé modulaire
Skarbø Skulekorps revient en force. Après leur premier album éponyme en 2019, les voici de retour aux affaires. De même filiation, « Dugnad » fait appel à un genre inconnu qui cumule tous les genres selon l’habitude du batteur leader. Dans le disque qui nous occupe présentement, Øyvind Skarbø s’est souvenu des cassettes que lui faisaient ses sœurs, des cassettes contenant un peu de tout. De quoi perméabiliser les neurones, n’est-ce pas ? La réussite de cet album comme du précédent est à chercher du côté de la combinaison réalisée entre les genres musicaux, combinaison pour le moins peu orthodoxe mais toujours surprenante. Quant aux improvisations sur les thèmes, elles ne font que démontrer la valeur artistique essentielle de chacun des participants. Ce n’est pas rien. Contrecarré par la pandémie, l’enregistrement a dû se faire à distance avant que le mix soit fait en studio. Quoi qu’il en soit, la musique totalement inclassable de Skarbø Skulekorps est une pépite dont il ne faut aucunement se priver. C’est joyeux et détonnant, barré à souhait, incongru et pour tout dire inespéré en ces temps tristement chiants.
Yves Dorison
https://skarboskulekorps.bandcamp.com/album/dugnad
Dixiefrog
Archie Lee Hooker : chant
Fred Barreto : guitare
Matt Santos : orgue Hammond, harmonica
Nicolas Fageot : basse
Yves Ditsch : batterie
et quelques soufflants et autres invités…
Du blues, du blues, du blues… Plutôt lourd d’ailleurs. Bien Gras, bien épais. Au chant, Archie Lee Hooker, installé en France depuis 2011, neveu de feu le mythique John. Il a d’ailleurs vécu chez son oncle de 1989 jusqu’à la mort de celui-ci en 2001. Ca laisse des traces. Pas autant que l’on pourrait le croire, cependant. Quoi qu’il en soit, ça groove dur avec un je ne sais quoi d’original que l’on a été content d’écouter. Ce n’est certes pas révolutionnaire mais le traitement de chaque morceau emprunte ici et là des codes pas forcément bluesy qui enrichissent fortement, et avec un goût affirmé, le propos. La voix d’Archie Lee Hooker possède un grain naturel, nourrie par quelques décennies de vie bien remplie, qui est plus que propice à ce type d’exercice. L’ensemble sonne avec une belle homogénéité et les climats s’enchaînent afin de traduire toutes les saveurs qu’un blues riche et ouvert peut contenir quand il est joué avec ce truc inné (Archie il l’a) qui fait toujours la différence. Du blues, du blues, du blues…
Yves Dorison
Anaklasis
Orchestre Pasdeloup
Marzena Diakun : direction
Bartlomiej Dus : saxophone
Magdalena Dus : piano
Misja Fitzgerald-Michel : guitare
Ceci n’est pas un disque de jazz, mais Misja Fitzgerald-Michel en fait partie et on lui fait confiance dans le choix des projets. Les héroïnes polonaises dont il est question dans le titre du disque sont quatre compositrices : Gražyna Bacewicz (1909-1969), Hanna Kulenty (1961), Elzbieta Sikora (1943) et Agata Zubel (1978). Bien que de générations différentes, en écoutant leurs œuvres, vous conviendrez avec moi qu’il s’agit de musique contemporaine. Et qu’est cela vient faire chez Culture Jazz ? Eh bien on ne vous demande pas votre avis. Nous, nous avons aimé ces univers souvent considérés comme abscons et finalement pas si étranges que cela. Dans la pièce composée par Elzbieta Sikora, c’est le guitariste qui mène l’ensemble. Les couleurs sont variées, l’énergie est là et la déconstruction opère, nous laissant parfois sur le bord du chemin. Les trois œuvres suivantes (Hanna Kulenty, Gražyna Bacewicz, Agata Zubel) furent plus accessibles à nos oreilles. Même si l’on est plutôt néophyte dans le domaine, nous fûmes néanmoins capables d’être séduits par la virtuosité des intervenants et par l’homogénéité lumineuse de l’orchestre Pasdeloup, un orchestre qui nous a paru jeune et pourtant vieux de 160 ans tout de même. Et l’on a retenu que la composition d’Agata Zubel était notre préférée. Mais ne nous demandez pas pourquoi, nous vous répondrions « parce que ».
Yves Dorison
http://www.concertspasdeloup.fr/
Jazzline
Ack Van Rooyen : flugelhorn
Paul Heller : saxophone ténor
Peter Tiehuis : guitare
Hubert Nuss : piano
Ingmar Heller : contrebasse
Hans Dekker : Batterie
Vous voulez du jazz ? En voici, en voilà, avec le quintet batave de Ack Van Rooyen. Il y a peu, nous l’avions écouté en trio avec Martin Wind et Philip Catherine et nous avions été séduits par la finesse de son jeu. A la tête d’un quintet très homogène, il ne propose pas un jazz d’enragés fulminants mais plutôt une musique souple et swingante qui va chercher là où elles sont les belles et bonnes vibrations. Solistes impeccables, rythmique précise et dynamique, tout est réunis pour faire un bon album de jazz. Quelques compositions des membres du groupe, un titre de Michel Legrand, un autre de Kenny Wheeler, des traditionnels arrangés et le tour est joué. Bien joué. L’album se nomme 90, comme l’âge du leader au moment de l’enregistrement. Le premier janvier 2021, Ack Van Rooyen en a eu 91. Écoutez-le souffler dans son flugelhorn et vous comprendrez que l’on puisse être étonné par une telle longévité. Ceci dit, quelle que soit la forme du musicien, c’est avant tout un beau disque de jazz qui nous est proposé par un quintet de qualité.
Yves Dorison
Déluge
Charley Rose : saxophone alto
Enzo Carniel : piano
Ariel Tessier : batterie
Ouverture tous azimuts, telle pourrait être la devise de ce jeune trio qui vient avec cet album d’être l’un des lauréats Jazz Migrations de l’année en cours. Sous la direction artistique de Wolfgang Muthspiel, les trois musiciens développent un espace musical protéiforme qui fait la part belle à l’improvisation. Les climats se succèdent en naviguant entre les esthétiques et chacun des musiciens sait donner la couleur adéquate en toute circonstance afin que les contrastes opèrent. En mouvement perpétuel, le trio ne délaisse jamais les mélodies qui définissent les tires. Entre joie et mélancolie, au gré des plages, leur musique sait imposer une originalité résidant, entre autre, dans le traitement particulier de chaque morceau. Sans nuire à l’homogénéité du projet, l’album se présente comme un meuble à tiroirs qu’il suffit d’ouvrir pour accéder à un univers musical unique mais toujours corrélé au reste. Ici le trio construit, là c’est l’inverse. Il enchevêtre et il dénoue les lignes en fonction de l’environnement qui se dessine, et l’ensemble est assez lyrique, séduisant et prometteur.
Yves Dorison
https://www.charleyrosetrio.com/
Label bleu
Edward Perraud : batterie, compositions
Bruno Angelini : piano
Arnault Cuisinier : contrebasse
Invité : Erik Truffaz : trompette
L’avantage quand on est hors temps, c’est qu’il est inutile d’être dans les délais ; on est là où l’on se trouve, dans la sensibilité première, primale, et c’est un lieu idéal. Le plus complexe, c’est l’accès. On peut passer une vie à le chercher. Et pour peu que la chance nous sourit, qu’on le découvre, on n’a pas la clef pour autant, et qui sait si un passe-partout existe. Alors on s’interroge et appelle celles et ceux qui pourraient potentiellement nous aider à passer ce foutu goulet d’étranglement, goulet qui frustre la terre entière, ou plus exactement les gens qui l’habitent. L’altérité, c’est le truc incontournable pour supporter les temps morts qui envahissent le chercheur de lieu idéal, celui qui veut tout le temps la ruée vers l’hors. Au passage, sait-il que l’intériorité est illimitée d’ailleurs ? Débusquer le biais pour enfin accéder à… à quoi ? Chacun cherche son champ, chacun perche son chant. Mais comme le « je » songe un peu plus que le « nous », il est bon d’en avoir un jeu pour étendre les possibilités d’abordage et percer le secret. Parce qu’après l’avant, là où l’on est, naît, il y à l’instant idéal du lieu, la sensation de l’essence, de l’intemporel et du vertige qui saisit et fige, croit figer, l’infinitésimal sur son passage. Ouvrir l’œil. Et la fenêtre aussi ; la vie est un courant d’air (et ces mots une chronique de disque).
Yves Dorison
https://www.edwardperraud.com/Home.html
Absilone
Diego Lubrano : guitare flamenca, guitare électrique & compositions
Bernard Menu : basse
Adrien Spica : percussions
Un guitariste autodidacte, de nos jours, cela ne court plus les rues ; trop de conservatoires. Diego Lubrano, lui, s’est construit en fréquentant Juan Carmona et Gerardo Nuñez. Et il fait son bonhomme de chemin en essayant de relier, comme d’autres avant lui, le flamenco et le jazz. Et il le fait plutôt bien. En fin musicien plus amoureux de la musique que de la technique, il compose des thèmes aux mélodies fortes au sein desquelles la virtuosité est un moyen d’expression et pas une fin en soi. Fort bien accompagné par une rythmique à la présence aussi marquée que paisiblement rassurante, Diego Lubrano alterne les climats avec un bel équilibre et une inventivité certaine. Qu’il lorgne vers Paco De Lucia et les autres ou bien vers Wes Montgomery ou même Barney Kessel, il donne à écouter une musique forcément hybride mais déjà suffisamment aboutie pour apparaître homogène. L’album possède un feeling qui lui est propre, ce qui n’est pas négligeable, n’est-ce pas ? Un disque plus qu’agréable que les curieux aimeront découvrir.
Yves Dorison
Savant Records
Jim Snidero : saxophone
Orin Evans : piano
Peter Washington : contrebasse
Joe Farnsworth : batterie
Jim Snidero, dont la carrière embrasse déjà quatre décennies, possède un CV long comme un de ces rouleaux que le confinement a rendu célèbre, et essentiel bien évidemment. L’enregistrement de son quartet live date d’Halloween 2020 ; il s’agit donc d’un concert masqué. Les musiciens réunis autour de lui sont déjà tous de vieux routards du jazz mainstream. A l’écoute, il est évident que le quartet, après des mois de disette, est heureux de pouvoir enfin jouer pour un public tout aussi ravis qu’eux. Des standards à la pelle, des soli en veux-tu en voilà, un swing dense et profond et un leader qui ne prend pas un solo pour ne rien dire car sa sonorité et son phrasé démontrent une réelle disposition à évoluer dans un concept mélodique et harmonique qui lui est propre. C’est diablement bien joué et si l’ombre de Charlie P. plane dans l’atmosphère du club de temps à autre, il n’en est pas moins sûr que Jim Snidero et ses collègues de jeu savent se démarquer des grands anciens et construire un environnement musical qui leur appartient. A noter au passage une magnifique version de Old man river suivi d’un Bye bye Blackbird non moins épatant. N’allez pas croire cependant que le reste est plus faible. Tout est bon dans ce disque de jazz très fin qui mérite une écoute soutenue.
Yves Dorison
ECM
Sinikka Langeland : kantele, voix
Le kantele est un instrument à cordes pincées traditionnel de Finlande et de Carélie et c’est celui dont s’accompagne la chanteuse norvégienne Sinikka Langeland dans cet album en solo, son septième pour la maison Ecm. Spécialiste du folklore de Finnskogen (forêt de Norvège dite finlandaise), elle aime à mêler des éléments de jazz à cette musique particulièrement typique des paysages septentrionaux où elle est née. En écoutant ce disque, vous pénétrerez dans un univers en tout point singulier, nourris d’accents chamaniques et runiques et d’une forme de poésie ancestrale qui lie fortement l’humain et la terre qu’il habite. La musique de Sinikka Langeland est ainsi brute que la nature dont elle exprime les sentiments, elle est pourtant d’une subtilité et d’une finesse absolument impressionnantes. Dans les ombres brumeuses des paysages musicaux qu’elle met en scène, la musicienne intercale d’imperceptibles éclats de vie, des trames chaleureuses en leur sein, qui dépasse le paradoxe de la musique nordique que l’on pense souvent assez froide. Atemporelle par tous ses pores, la musique de Sinikka Langeland est un improbable joyau au tellurisme aussi apaisant qu’une source chaude.
Yves Dorison
Jazzline Classics
Wes Montgomery : guitare
Hans Koller : saxophone alto
Johnny Griffin : saxophone ténor
Ronnie Scott : saxophone ténor
Ronnie Ross : saxophone baryton
Martial Solal : piano
Michel Gaudry : contrebasse
Ronnie Stephenson : batterie
La venue de Wes Montgomery en Europe fut un événement, il y donna de nombreux concerts, certains furent retransmis à la radio, d’autres publiés en disque. Celui de Hamburg du 30 avril 1965 se distingue par l’originalité de la formation, une section de saxophones et une section rythmique accompagnent le guitariste. Les arrangements de Ronnie Ross sont efficaces sans grande originalité, celui de Martial Solal, “Opening”, montre le goût pour le discontinu du pianiste et offre un duo Montgomery /Solal ; trois morceaux sont des solos accompagnés des rythmes. Un morceau réunit Wes et Griffin -qui avaient déjà publié un disque enregistré en public : “Full House” (25 juin 1962, Riverside) : il s’agit de “Blue Monk”, assez différent de celui que Griffin avait joué avec Monk (Five Spots, 7 août 1958, Riverside). Plusieurs télévision avaient profité de la venue de Wes Montgomery, la chaîne Djazz a récemment diffusée plusieurs de ces programmes bout-à-bout : on y voyait Ronnie Scott expliquer le style de Wes, Pim Jacobs prendre une leçon d’harmonie etc. L’émission “Jazz-Workshop” présentée sur le blu-Ray a filmé, apparemment en continu, une répétition générale, qui, outre nous montrer les artistes, présente une pièce qui ne se trouve pas sur le disque du concert, un trio de Martial Solal sur le standard “On Green Dolphin street”. Le numéro de mai1965 de Jazz-Hot avait en couverture une photo de Wes Montgomery par Jean-Pierre Leloir. On y trouvait un compte-rendu détaillé morceau par morceau du concert qu’il avait donné au Théâtre des Champs-Elysées le 27 mars précédent suivi d’une longue entrevue. C’était le premier Jazz-Hot que j’achetais (2,50 F).
Philippe Paschel
https://en.wikipedia.org/wiki/Wes_Montgomery
Yolk Records
Daniel Erdmann ; saxophone
Stéphane Payen : saxophone
On connaissait l’OFAJ (Office Franco-Allemand pour la Jeunesse), voici l’OFAS, Office Franco-Allemand pour les saxophonistes, en l’occurrence Daniel Erdmann et Stéphane Payen, indécrottables défricheurs des formes. Dans cet enregistrement de 2018 sorti en numérique, ils s’entretiennent en toute complicité sur des thèmes personnels et d’autres qui ont marqué leurs parcours. L’échange est fécond. L’intimité du duo « saxophonesque » s’y prête bien. Les lignes s’entrecroisent, se répondent, s’évadent et s’interrogent. A chacun son souffle et au deux une respiration et une aspiration uniques. Le « beau » existe, ça on le sait. Mais il est plus ardu de le faire avec de l’air et des clefs. Avec deux colonnes à la une, leur discussion musicale parvient sereinement à son but car les deux sont source d’inspiration mutuelle. Cependant, certains verront peut-être là une conversation trop intérieure pour être ouverte. Pas nous qui avons goûté cette association fraternelle entre deux saxophonistes aux forts tempéraments ; d’autant qu’ils ont toujours en réserve un surplus d’imagination producteur de surprises et le talent suffisant pour les exploiter pleinement. Ne passez pas à côté, ce serait dommage.
Yves Dorison
http://www.daniel-erdmann.com/Home.html
http://www.stephanepayen.com/
Warner Classics
Stefano Di Battista : saxophone alto
Fred Nardin : piano
Daniel Sorrentino : contrebasse
André Ceccarelli : batterie
Rendre hommage à Ennio Morricone n’est pas une mince affaire. Stefano Di Battista l’a osé, avec un quartet parfaitement huilé, impose une lecture jazzy de l’œuvre du maestro (dont nous avons tous en tête une ou deux mélodies, sinon plus…) qui lui est personnelle et, somme toute, plutôt réussie. Le lyrisme est au rendez-vous et le saxophoniste ne se prive pas de discourir à l’envi sur des thèmes, dont certains sont méconnus, avec la rutilance, la fougue et la souplesse qu’on lui connait et qui font sa marque de fabrique. Ses compères l’accompagnent avec ardeur et enthousiasme dans cet exercice de style périlleux sans jamais se départir d’une virtuosité de bon aloi qui sied parfaitement au quartet. Ceci dit, l’ensemble nous a semblé presque trop jazz et nous avons, à l’écoute, quelquefois décroché ; non pas qu’il y ait à redire sur la forme musicale, mais l’académisme du groupe nous a paru un peu froid et assez éloigné du foisonnement créatif hors norme d’Ennio Morricone. Aujourd’hui encore nous préférerons donc le travail réalisé par Enrico Pieranunzi, un travail où l’on sent l’âme tourmentée du compositeur.
Yves Dorison
http://www.stefanodibattista.eu/fr/
Act
David Helbock : piano
Sebastian Studnitzky : trompette
Arne Jansen : guitare
David Helbock (Autriche, 1984), c’est avant toute autre chose un pianiste capable de d’interpeler l’auditeur, de le captiver, de le saisir aussi bien à l’âme qu’aux tripes. Dans cette formule de trio sans rythmique, lui, le trompettiste et le guitariste privilégient l’émotion, l’instantanéité des émotions. Et cela fonctionne de parfaite manière, entre moments élégiaques en apesanteur et saillies lourdes d’électricité. Dans cet univers qui sait être flottant et rêveur, le temps s’écoule délivré des horloges. L’ambiance prime, les atmosphères ont de ces exhalaisons impromptues qui dévient les trajectoires et orientent l’écoute vers un autre espace musical enclos dans la trame initiale ; la gamme d’expression est suffisamment étendue pour le permettre. Assez inclassable en soi (c’est toujours bon signe), cet album possède un charme propre qui appartient avant tout au sensitif, à l’épidermique. On nous indique dans les notes du disque le propos de Lennie Tristano qui disait que « la fonction du musicien de jazz est de ressentir ». Ce trio-là s’y conforme avec brio et nous embarque dans les mystères de sa musique avec un supplément d’âme qui fait toute la différence.
Yves Dorison
Frémeaux et associés
Trois disques, 235 mn. Détails sur la composition des orchestres dans la notice.
Dany Doritz (Boissy-Saint-Léger 1941), élève de Géo Daly, disciple de Lionel Hampton, est un musicien dont la brillante et longue carrière est évoquée par lui-même dans la notice (en français seulement) qui égrène ses souvenirs musicaux, dont on retrouve la trace dans les enregistrements publiés. On peut presque la distribuer en trois périodes : l’apprentissage où la rencontre avec Lionel Hampton est décisive (disque 1) ; l’acmé où il rencontre les musiciens américains, comme Clark Terry ou Wild Bill Davis et a le soutien rythmique de Butch Miles, tout ceci lui donne une pêche qu’il n’avait pas encore. Le troisième disque est plus nostalgique, morceaux lents, présence de musiciens américains vivant en Europe, Rhoda Scott ou Scott Hamilton, c’est la Doulce France. Son batteur est son fils.
Le vibraphoniste s’est produit dans un circuit de jazz traditionnel et a souvent joué pour la danse, au “Slow Club” par exemple, pour finir par acheter “Le Caveau de la Huchette” en 1970. Il a toujours maintenu un grand orchestre d’un style Basie, on trouve des enregistrement depuis 1966.
Comme je l’écrivais à propos d’un disque fait avec Marcel Azzola, ce coffret trouvera son public, celui qui l’a suivi dans sa longue carrière.
Philippe Paschel
https://fr.wikipedia.org/wiki/Dany_Doriz
Juste une trace
Gary Brunton : contrebasse
Bojan Z : piano
Simon Goubert : batterie
Installé en France depuis une trentaine d’années, le contrebassiste anglais Gary Brunton réunit dans ce disque un trio haut en couleur. Vibrant d’une énergie féroce que l’on pourrait qualifier de juvénile, et ce malgré l’expérience déjà longue de chaque musicien, cet enregistrement qui ne se refuse à aucun genre démontre une fois de plus que les artistes inspirés font toujours de la très bonne musique. Surtout s’ils se connaissent depuis un bon bout de temps, ce qui est le cas ici, bien évidemment. Ouverts à la prise de risque, Gary Brunton et ses collègues de jeu naviguent entre les compositions personnelles du leader et les reprises (des standards et Bowie) avec un entrain qui cacherait presque l’étendue de la science dont ils font preuve dans chaque morceau. C’est hautement musical, empli d’imprévus et résolument baigné dans une forme de spontanéité que l’on ne retrouve que rarement dans les trios piano / basse / batterie de ce début de millénaire. A l’écoute, c’est à coup sûr cela qui nous a séduits dans les premières notes. Il y a dans cet album une sève printanière, chaleureuse et, pour le dire clairement, une joie de jouer très communicative. On en redemande !
Yves Dorison
Igloo Records
Greg Lamy : guitare
Gautier Laurent : contrebasse
Jean-Marc Robin : batterie
Bojan Z : piano, fender rhodes
Et voilà un disque original, propice à la contemplation. Le trio de Greg Lamy, rejoint par Bojan Z, explore les entredeux, les recoins pastel et les ombres portées, avec un aplomb serein. Le son et le jeu caractéristiques du guitariste luxembourgeois font ici merveille. Parfaitement accompagné par une rythmique (fidèle depuis quinze ans), il propose une musique hautement mélodique que l’apport pianistique de Bojan Z sur trois titres enrichit délicatement. Tout est fluide, atmosphérique. Chaque morceau conte une histoire clairement identifiable par une approche harmonique et rythmique sans jamais rompre cependant l’homogénéité de l’ensemble. A aucun moment l’auditeur ne décrochera de cet univers apparaissant comme étonnamment évident malgré la complexité des formes. De fait, on respire la musique du trio dans le temps où les musiciens la font, l’improvisent, si vous voyez ce que l’on veut dire. Résolument jazz, c’est-à-dire ouvert à tous les possibles, ce disque supplante dans la production actuelle nombre d’enregistrements réalisés par de grands noms. Greg Lamy est suffisamment original pour que l’on ne pense à personne d’autre que lui quand on l’écoute. Assez rare pour être signalé, non ?
Yves Dorison
Jazz family
Ismail Sentissi : piano, composition
Maurizio Cogiu : contrebasse
Cedrick Bec : batterie
Encore un nouveau trio serait-on tenté de dire puisqu’en effet il s’agit de son premier enregistrement réalisé en 2020.
Convergents d’horizons divers, les musiciens composent un ensemble cohérent. En effet, le pianiste et compositeur Ismail Sentissi venu de l’ingénierie et de Casablanca, (mais aussi, adolescent, du piano, de la guitare et de la composition), le contrebassiste Maurizio Congiu du classique (grands orchestres et ensembles de chambre) et de Sardaigne et enfin le batteur nîmois Cedrick Bec, un pur produit jazz (prix de la Sacem, du Concours National de la Défense…) ont pour le moins des origines contrastées tandis que leur horizon ne l’est pas moins. Musiques du monde pour le premier, musique classique pour le second et bien sûr le jazz pour le troisième s’amalgament sous la plume et les doigts d’Ismail Sentissi au profit d’une musique intimiste, colorée et chaleureuse.
La mélodie jamais perdue de vue néanmoins aux ruptures discrètes et scandée par une rythmique à l’unisson séduira l’auditeur de ce Genoma dont le nom même renvoie aux origines et à leur diversité.
Jean-Louis Libois