Maraton jazz au village
Samedi 16 septembre 2023

Ce samedi matin, j’avais à peine réussi à aligner mes yeux dans leurs orbites qu’il me fallut aller à l’église. Aarrgh ! Pour un festival dont l’affiche est presque aussi rouge que le cœur du patron, c’est un comble ! Et tout ça pour un solo de contrebasse, à sec et avant l’apéro ; chroniqueur de jazz devient un métier difficile et dangereux qui aurait mérité une ligne dans la réforme des retraites… Joachim Florent donc. Extrait du son quartet mais toujours impérial. Il nous saisit d’abord à l’archet, quelque part entre l’élégiaque et le romantique (au vrai sens du terme). L’acoustique du lieu était idéale. La pierre tendre amortissait le son avant de le renvoyer respirant et toujours clair. La musique fila entre les genres, donna à ouïr des sonorités paysagères multiples, sans que l’une prit le pas les autres, qui développèrent une sorte de variation à l’équilibre. Puis les doigts succédèrent au crin pour une autre séquence tout aussi flexueuse que la précédente. Les territoires abordés différèrent quelque peu d’autant que le contrebassiste joignit sa voix aux cordes portant ainsi à son point d’acmé un solo riche de nuances mélodiques, aventureux sans excès et d’une densité contrôlée, qui laissa l’auditoire suffisamment conquis pour demander un rappel.


J’eus à peine le temps d’atterrir que Morgane Carnet vint prendre sa place. Fichtre. Initialement prévue à côté d’un pont, elle se tint comme le contrebassiste sous les voûtes romanes du douzième siècle. Armée de son saxophone baryton, elle attaqua grave, bille en tête, et ne lâcha pas le public. Après une incursion au saxophone alto toute aussi venimeuse, elle revint au baryton pour assommer définitivement l’assemblée. Son sonique solo « à l’os » me fit pleinement ressentir l’urgence de son propos et une forme de colère sensible qui se glissa dans chacune de ses phrases, quitte à bousculer un tant soit peu mes pavillons. Peu importe après tout puisque, à peine arrivé à la pause méridienne, j’étais déjà farci de musique improvisée. J’appelle cela la belle vie.


Une sieste, de la rigolade entre amis, et hop retour au foyer communal en soirée pour deux duos, soit un quartet divisé en deux entités distinctes, soit deux univers et rien de mathématiques (ce à quoi je n’ai jamais rien compris). Anne Alvaro et François Corneloup d’abord. Ils entreprirent d’évoquer Italo Calvino et Samuel Beckett, rien moins. Les vagues de monsieur Palomar sont bien différentes de celle de Virginia Woolf et, à l’écoute, elles mirent en scène une cascade d’idées, de celles qui nous occupent quand on recherche la compréhension du tout ; c’est une gageure et les méandres provoqués masquent toujours plus qu’ils ne révèlent. Réflexion sur notre humanité tiraillée, le texte de Calvino, à la saveur oulipienne, suspend l’auditeur à ses mots et c’est aussi ce qui fit Anne Alvaro avec une diction théâtrale. François Corneloup l’accompagna, le plus souvent sur sa voix, un parti-pris que l’on entend assez peu dans les lectures-concerts où l’alternance entre voix et musique est souvent de rigueur. L’image, texte de Beckett (une phrase de dix pages sans ponctuation sinon un point final) qui clôtura les débats, fut dans une veine similaire un prétexte à l’interrogation affirmative, avec plus d’âpreté et une poésie sèche comme le visage de l’auteur. Si ces textes interpelèrent le lecteur (comme l’auditeur), ce fut par leur concision. Les deux artistes surent la transmettre sans exagération avec une éloquence tonale en demi-teinte du plus bel effet.


Un tour au bar avant d’apprécier Céline Bonacina et Laurent Dehors en final d’une journée musicalement pléthorique. Je les avais vus au festival Jazz Campus en Clunisois moins d’un mois avant. Je vous engage donc à lire la chronique écrite le vingt août dernier sur notre site. Ceci dit, la constance du plaisir qu’ils prennent à jouer ensemble est un régal pour le public et ce concert ne fut pas une exception, pour le plus grand plaisir de toutes et tous. C’était un 16 septembre, jour qui vit naître Heinrich Bach (1615-1692), grand oncle de Jean Sébastien.


https://www.jazzsatroispalis.com/