Jean Buzelin a sélectionné six albums récemment parus. Ils représentent de son point de vue une actualité de la Great Black Music toujours bien vivante...
HighNote. / Socadisc
Wayne Escoffery : saxophone ténor
Jeremy Pelt : trompette
James Burton III : trombone
Xavier Davis ou Victor Gould : piano
Vicente Archer ou Rashaan Carter : contrebasse
Johnathan Blake ou Mark Whitfield Jr : batterie
+ Josh Evans & Wallace Roney Jr : trompette en 3
Fondé par le saxophoniste Wayne Escoffery, le Black Art Jazz Ensemble célèbre ses dix ans sous l’intitulé “De la Vérité au Pouvoir”, une protestation contre le meurtre de George Floyd. Il célèbre aussi la culture noire américaine depuis ses origines avec dix compositions originales de ses divers membres inscrites dans la grande tradition mais jouées et enregistrées avec la fraîcheur du jour : un post-hard bop indémodable car il véhicule l’essence même de l’“âme noire”, ce qui n’est pas rien.
Ce jazz actuel mainstream mais totalement vivant est bien plus “engagé” qu’il n’y paraît, qui plus est, joué par des musiciens de premier ordre. Ce sont eux que devraient engager les festivals de jazz (sic) racoleurs pour qui le mot n’est qu’une étiquette sur un emballage. Là au moins le public entendrait du jazz.
HighNote. / Socadisc
Jeremy Pelt : trompette, compositions
Jalen Baker : vibraphone
Alex Wintz : guitare
Leighton McKinley Harrell : basse acoustique et électrique
Allan Mednard ou Deantoni Parks : batterie
+ Frank LoCrasto : claviers en 2 et 7
Membre éminent du Black Art Jazz Collective, Jeremy Pelt avait fait l’objet d’une présentation dans notre revue “Sans fil conducteur...” (cf. Culturejazz, 12/05/2022). Ce trompettiste, que d’aucuns situent dans la lignée de Freddie Hubbard, s’inscrit dans le même esprit que le Black Art, tout en proposant des ouvertures vers une certaine modernité, en s’entourant d’un nouveau groupe de musiciens créatifs bien ancrés dans la réalité de leur époque, à l’image de Deantoni Parks, coauteur avec Pelt de Basquiat, dédié au peintre prématurément disparu. Une musique ouverte et stimulante.
Savant / Socadisc
Nicole Glover : saxophone ténor
Steve Nelson : vibraphone sur 4 plages
Tyrone Allen : contrebasse
Kayvon Gordon : batterie
Le démarrage sur les chapeaux de roues avec Open or Close d’Ornette Coleman est impressionnant ! Et ça ne faiblit pas : l’articulation, le débit, les contrastes, l’avalanche de notes au service d’un discours parfaitement maîtrisé et lisible font que nous avons affaire à une musicienne (et pas seulement technicienne) exceptionnelle. Nicole Glover, saxophoniste de 32 ans, est “blanche” mais elle a choisi son camp. Son expression musicale, son trio (augmenté sur quatre des huit plages),viennent et prolongent en droite ligne les grands créateurs des années 60 chez qui elle puise les thèmes de son répertoire : outre Ornette, Kenny Dorham, Lucky Thompson, McCoy Tyner, Elmo Hope. Ses goûts la portent vers ces trios sans piano : Sonny Rollins, Joe Henderson, Lee Konitz, Albert Ayler, Sam Rivers, Brandford Marsalis... le choix, de toutes natures, est vaste. Qu’elle poursuive dans cette voie et de grands bonheurs musicaux nous attendent. Ajoutons que le disque est produit par Jeremy Pelt.
Intakt / Orkhêstra & Bandcamp
James Brandon Lewis : saxophone ténor, compositions
Aruán Ortiz : piano
Brad Jones : contrebasse
Chad Taylor : batterie
Bien que pratiquant un langage plus contemporain qui s’appuie sur une méthode de composition sur les 12 tons qu’il appelle Molecular Systematic Music, avec des développements plus ouverts et modaux (le pianiste cubain Aruán Ortiz), le quartette de James Brandon Lewis fait aussi partie de la même famille. Le groupe en est à son quatrième opus sur Intakt et, d’une fois sur l’autre, il nous semble toujours progresser et atteindre l’excellence, grâce à une maîtrise, une profondeur, une conscience (de toujours faire mieux) amenant à une maturité épanouie. Assurément, il devient le grand quartette afro-américain d’une époque que l’on ne peut évidemment pas comparer avec celle de Coltrane. Et pourtant...
Le jeu de Lewis au ténor a atteint une dimension, une envergure que ses partenaires, parmi les meilleurs sur leur instrument respectif, enrichissent magnifiquement. Contrôle, rigueur, souplesse, liberté et... surtout beauté. Le final, Élan vital, dédié à Henri Bergson, est grandiose.
Intakt / Orkhêstra & Bandcamp
David Murray : saxophone ténor, clarinette basse, compositions
Marta Sanchez : piano
Luke Stewart : contrebasse
Russell Carter : batterie
Nul doute que David Murray a trouvé chez Intakt la compagnie qui lui permet de poursuivre sa riche et longue carrière dans les meilleures conditions. Après quelques invitations et un disque en trio (avec Brad Jones et Hamid Drake), il se présente en quartette, comme il l’a si souvent fait pour le meilleur. Pour cela il s’entoure d’une paire rythmique de Washington et d’une pianiste madrilène (qui vient d’enregistrer à son tour pour Intakt). Murray se situe au centre de cette filiation qui part de Coltrane et Rollins, brièvement Ayler, passe par Archie Shepp et se poursuit par Lewis : la voie royale du ténor pourrait-on dire qui conduit chez lui à un post free mainstream résultat d’une longue maturation. Alternance de belles compositions variées, mélodiques, bien construites et rythmées, amplitude et accents du discours, envolées vers les suraigus du sax, alternance des solos et organisation “classique” du déroulement musical. Le disque de l’évidence du jazz.
Intakt / Orkhêstra & Bandcamp
Angelica Sanchez : piano
Chad Taylor : batterie
Nous retrouvons Chad Taylor avec la pianiste Angelica Sanchez, originaire de Phoenix (Arizona). Installée à New York depuis une trentaine d’années, elle s’est faite connaître tardivement en Europe grâce à plusieurs disques Clean Feed, dont un avec Tony Malaby, Marc Ducret, Drew Gress et Tom Rainey. Il y a six mois, elle a enregistré en nonette et s’est produite à Strasbourg avec Barry Guy et Ramon Lopez. Ce duo avec Chad Taylor constitue une retrouvaille puisqu’elle avait joué dans le trio du batteur en 2009. Voilà pour les présentations succintes de cette pianiste qui pratique un langage beaucoup plus contemporain que son homonyme Marta, très ouvert, multidirectionnel, que provoquent brisures, clusters, contrastes de graves et d’aigus, jeu sur les cordes, auxquels répond sur le champ le percussionniste. Dix pièces communes pour un premier disque chez Intakt, et un dialogue de haute qualité.
