Trois disques européens et un américain pour une palette musicale très large. On ne va pas se priver tout de même !
Hubro
Stein Urheim : guitares acoustiques et modifiées, électronique, field recordings, générateur de tonalité sinusoïdale en intonation juste, percussions
Ikue Mori : électronique
Sam Geidel : saxophone, électronique
Hans Kjorstad : violon
Siv yunn Kjensyad : batterie, voix
Sortie le 31 janvier
Je me demandais il y a quelques années si Stein Urheim était extra-terrien ou strictement cosmogonique ? Je pensais également qu’il faisait œuvre d’une plasticité musicale élargie et, ma foi, je pense exactement la même chose aujourd’hui. Le mélange instrumental exploratoire entre électronique et acoustique fonctionne toujours aussi bien et, une fois intégré les codes de l’artiste, il est simple d’entrer dans sa musique car elle est parfaitement mélodique. Elle porte l’auditeur vers des contrées intuitives où le rêve tient la corde. Faite d’une expressivité souvent minimale au sein de laquelle le détail sonore compte, chaque thème se déploie sur des lignes multiples et complémentaires qui s’enlacent et crée un discours folk qui tend vers le folklorique avec en sus des attributs expérimentaux tels qu’on peut les trouver dans certaines formes de jazz. Étant totalement originale, la musique de Stein Urheim est inclassable et c’est très bien comme ça, le plus important demeure qu’elle s’écoute avec un plaisir toujours renouvelé.
https://steinurheim.bandcamp.com/album/stein-urheim
Act
Johanna Summer : piano
Jakob Manz : saxophone, flute à bec
Sortie le 31 janvier
Johanna Summer et Jakob Manz représente certainement ce qui se fait de mieux dans la jeune génération allemande du jazz. Leur virtuosité et l’alchimie qui les unit, associées à leur insolente jeunesse font merveille dans cet album en duo (le deuxième après un enregistrement en public édité en 2022). Entre la pianiste pour qui la musique classique est essentielle et le saxophoniste jazz plus ancré dans des mélodies aux rythmes orientés vers la pop, la greffe prend sans effort et, si cela peut paraître surprenant, c’est malgré tout (en toute logique) une entente aussi générationnelle que musicale. Une chose est évidente, les deux artistes possèdent une capacité d’improvisation sortant de l’ordinaire et leurs soli sont véritablement inspirés et baignés dans une musicalité en tout point remarquable. Leur vivacité et leur sensibilité s’alimentent l’une l’autre, développent une palette de couleurs impressionnante de variété et un discours pétri d’audace et limpidité. Dans cet album où huit sur onze compositions leur appartiennent, ils s’éloignent des standards du jazz qui constituaient la trame de leur premier Cd commun, sans renvoyer aux calendes grecques l’idiome jazz dans son désir de constante innovation. Vous l’avez compris, ce duo est un pur bonheur d’écoute. Vivement recommandé.
https://johannasummer.de/en/
https://jakobmanz.de/
Intakt Records
Joachim Kühn : piano
Un double Cd en solo du patriarche Joachim Kühn, je ne me prive pas de vous en parler. Aujourd’hui octogénaire et apaisé (sinon revenu de tout), il se livre devant ses quatre-vingt-huit touches à ce qu’il fait le mieux depuis toujours, à savoir une libre recherche introspective magnifiée par un sens de l’improvisation que personne ne lui conteste plus depuis belle lurette. Entre puissance expressionniste et alanguissement finement mélodique, il construit un espace musical dans lequel un auditeur normalement constitué ne peut que se sentir à l’aise tant il paraît naturel. Dans cet album où l’on côtoie aussi bien des voies classiques que des bordures plus électrisantes et inhabituelles, Joachim Kühn nous embarque avec lui là où ses désirs, son savoir-faire et son savoir-être le portent. C’est brillantissime bien sûr (vous le saviez déjà) parce que totalement habité, musicalement humain et nourri d’une expérience intriguée par les notes à venir. Un beau moment d’intemporalité. Je regrette seulement qu’il ait décidé d’abandonner les concerts, mais après soixante années bien tassées de carrière, peut-on lui en vouloir ? Il fera d’autres disques chez lui en contemplant la méditerranée.
https://www.intaktrec.ch/release.htm
Sunnyside Records
Jeong Lim Yang contrebasse, compositions
Mat Maneri : alto
Jacob Sacks : piano
Randy Peterson : batterie
Sortie le 31 janvier
Je ne connaissais pas Jeong Lim Iang avant ce disque. Par contre, j’ai tout de suite noté que les collègues musiciens qui l’accompagnent dans cet enregistrement sont des pointures. J’ai donc jeté mes oreilles dans la bataille et me suis trouvé confronté à un univers plutôt organique dans lequel la contrebassiste (sud coréenne installée à New York) aime jouer avec la tonalité (l’atonalité). L’auditeur est censé entendre l’exploration thématique du concept de synchronicité de Carl Jung. N’étant pas une référence en matière jungienne, ni même en synchronicité, je me suis contenté d’écouter la musique. La richesse dans le détail de l’expression musicale du quartet m’a d’emblée séduit. C’est d’ailleurs le premier atout de cet album, le second étant entièrement inscrit dans la présence constante de la nuance. Certes, le quartet flirte allègrement avec des sonorités et constructions harmoniques qui peuvent rebuter les habitués du jazz mainstream, mais ce n’est pas une raison suffisante pour ignorer cet enregistrement dont l’équilibre est patent. Ne cherchez pas à comprendre, laissez-vous portez… et bon voyage !