Nous vous avons présenté l’esprit qui anime le festival Jazz à La Tour... Intéressons-nous maintenant au contenu artistique, sur scène !
Nous avons aimé le festival pour les valeurs qu’il porte (lire l’article du 22 août) mais aussi pour la musique qu’il a présenté.
Un tour d’horizon de ces beaux moments de jazz aux saveurs contrastées s’impose.
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> Jeudi 11 août
En ouverture de son festival 2011, l’équipe de l’AJMI a organisé le premier concert (gratuit !) sur la placette aux pierres chaudes du beau village de Beaumont de Pertuis. Un paysage de carte postale pour un magnifique hommage à Billie Holiday rendu par la chanteuse Laure Donnat et son compagnon contrebassiste Lilian Bencini. Le programme "Billie’s Blues" est construit autour de célèbres thèmes du répertoire de Billie. Avec beaucoup d’intelligence, il propose des effets de miroir et de contrastes. Le cruel et sombre Strange Fruits (les esclaves rebelles pendus) s’achève dans la mélodie délicate et lumineuse de Smile (le beau thème de Chaplin). Ailleurs, c’est le discours historique de Martin Luther King (I had a Dream) qui vient s’enchâsser dans un autre standard. Billies’ Blues, c’est aussi Billie’s Dream, un rêve interprété avec chaleur et sincérité devant un buisson de roses rouges et blanches. La nature fait bien les choses : l’âme de Billie dans le jazz d’aujourd’hui.
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> Vendredi 12 août
Le violoncelliste nord-américain Eric Longsworth est installé dans le sud de la France depuis une dizaine d’années. Avec son âme de baroudeur-aventurier, ce musicien de grand talent balade son drôle d’instrument dans des territoires changeants et ouverts mais toujours créatifs. C’est ainsi qu’on l’a vu et entendu dans le savoureux spectacle "Le jazz fait son cirque (et vice-versa)". Jean-Paul Ricard avait choisi de programmer son quartet dont nous avions apprécié le disque (À Ciel Ouvert- 2008). Depuis cet enregistrement, le saxophoniste Jean-Charles Richard a pris la place d’Éric Seva sans que cela ait une incidence notable sur les couleurs de la musique (les deux excellent au baryton). Les mélodies d’Eric Longsworth sont chaleureuses et séduisantes, sortes de folk-songs qui ouvrent sur des improvisations mélodiques. Le public adhère à ce projet d’autant plus que la formation est solide. François Verly est un batteur-percussionniste d’expérience qui maîtrise remarquablement les tablas et Rémi Charmasson demeure, en toute discrétion, un de nos guitaristes les plus talentueux (mais trop peu présent sur les scènes "du nord" !). On regrettera que le violoncelliste, également randonneur longues-distances, ait un peu cassé la dynamique du concert par de longs récits peu opportuns sur une scène de festival.
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La tuile ! Fin mai, nous apprenions que Daniel Humair venait de se casser l’épaule (l’humerus !?). Une mauvaise chute l’obligeait à laisser de côté baguettes et pinceaux... et à annuler des concerts.
Qu’on se rassure, le 12 août, il avait retrouvé sa légendaire gestuelle et toute sa virtuosité devant ses fûts et ses cymbales avec une furieuse envie de jouer.
Rayonnant, souriant, il était visiblement heureux de son nouvel assemblage inter-générationnel. Un nouveau quartet époustouflant d’inventivité qui dégage une énergie nouvelle. La base rythmique repose sur la batterie du plus parisien des batteurs suisses et du plus latin des contrebassistes français, Jean-Paul Celea. Pour rappeler leur histoire commune, ils reprennent un thème de leur complice d’autefois, Joachim Kühn et le livrent à leurs jeunes lions : l’accordéonniste Vincent Peirani et le saxophoniste Émile Parisien. Les "nouveaux bébés" détonnants et étonnants de créativité invités par maître Humair dévorent le répertoire avec un appétit rare. Entre les compositions du leader-batteur, un thème acrobatique de Jane Ira Bloom, une valse étourdissante et malicieuse de Vincent Peirani, le répertoire a surpris par sa diversité.
Le bonheur retrouvé des échappées mélodiques contrastait avec le lyrisme des séquences libres et ouvertes. Un magnifique concert de musique solaire sous les étoiles de La Tour d’Aigues.
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> Samedi 13 août
"Le meileur moyen d’écouter du Jazz, c’est d’en voir !" C’est la formule sésame de l’AJMI et rien n’était moins vrai avec le trio de Guillaume Séguron pour la création "Solo pour trois" présentée pour la première fois en concert samedi 13 août.
Outre le choix d’une rencontre inhabituelle des instruments : contrebasse, guitare,saxophone, le travail d’écriture raffinée, un soupçon ardue, pouvait rendre l’écoute peu aisée.
Même si la prestation n’est pas spectaculaire, les regards, les corps à corps instrument/musicien, les sourires ou rictus nous aident à entrer dans la voie de ces trois complices qui n’ont pas opté pour la facilité.
La construction parait parfois un peu rigide, le jeu un peu trop appliqué et si le vent soufflait plus fort ce soir là sur les partitions pour laisser plus de place à l’improvisation, on ne s’en plaindrait pas... Mais ils jouent pour nous avec une telle concentration le fruit d’un travail qu’on devine acharné, qu’on se trouve pris par leur jeu.
On stresse avec Guillaume Séguron qu’on sent inquiet, on se rassure avec Patrice Soletti, apparemment plus serein et on souffle avec Lionel Garcin. C’est l’effet de la musique vivante et créative que la solidarité d’associations comme l’AJMI rend lisible.
Pour que s’exprime pleinement toute la musicalité du projet,"Solo pour trois" ne demande qu’à se rôder.
Alors : "Un pour tous" et "Tous pour un"...Que les programmateurs ne se privent pas.
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l’étoile qui donne de l’espoir sur l’âge du public Jazz...
Un coup d’œil dans les gradins...c’est clair, ce soir, l’âge moyen du public a chuté. _ Est-ce la présence de deux rappeurs dans la formation ? Est-ce par ce qu’on lit dans le livret programme du festival qu’Ursus Minor n’est pas du jazz de salon ?
Toujours est-il que ce concert réunit les incontournables amateurs quinquas ( et plus) et bon nombre de jeunes (c’est rassurant !) dont quelques parents accompagnés de leur progéniture. "Doudou" sous le bras, les petits ont tout de suite senti que cette musique là leur parlait et se sont lancés sans hésiter devant la scène dans des chorégraphies hip-hop 1er âge tandis que d’autres spectateurs en âge d’être leurs grands-parents, se régalaient visiblement et se sont très rapidement mis à « bouger ».
En fait, Ursus Minor a cette capacité à mettre tout le monde d’accord.
C’est fort en musicalité : Tony Hymas et François Corneloup, avec virtuosité et puissance, posent les repères jazz tandis que Mike Sott et Q. Jackson lancent tour à tour des vibrations, des explosions qui nous scotchent littéralement.
C’est fort en messages : Boots Riley, chanteur hip -hop, fait le spectacle. Que ce soit sa voix, son rythme, sa gestuelle, tout est ferveur. Même si les paroles nous échappent, le contenu vindicatif qu’il véhicule baigne dans la musique et nous transporte.
C’est fort en enthousiasme et en émotion : Desdamona, rappeuse très convaincante et généreuse, apporte dans cette formation virile, une voix féminine qui balance, scande, groove... Attendrie par un pitchoun qui n’a pas quitté le devant de scène de tout le concert, elle fait le rappel en dansant avec lui.
Comme dans la constellation de la Petite Ourse, Ursus Minor, (Ursae Minoris, Étoile polaire, l’étoile la plus brillante...), apporte son énergie et la transmet au public.
Il en est des rencontres musicales comme des rencontres humaines. Certaines mettent des étoiles dans les yeux et Ursus Minor est de celles-là.
Et le Jazz ? Il est bien là, dans toute sa liberté, son grain de folie, ses collages parfois improbables...
C’est sûr, Ursus Minor, ça déménage, c’est fort en son...mais on ne perd pas le Nord et ça rassemble.
Quoi de plus ?
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> Dimanche 14 août
Des spéléologues, habituellement habitués aux profondeurs, ont choisi la voie des airs pour grimper dans de grands arbres les saxophonistes Laurent Charles et Lionel Garcin.
Olivier Messiaen avait collecté, transcrit, assemblé des chants d’oiseaux. Les deux membres du collectif EMIR ont repris cette idée en y incorporant l’aléatoire structuré de l’improvisation. Le public, assis dans l’herbe, surpris, bousculé, bolevresé selon le cas a profité de ce moment unique où, à défaut de voir les musiciens perchés dans les frondaisons, on les écoute... Comme quoi, un bon moyen d’écouter cette musique là, c’est aussi de ne pas voir ceux qui la font et partagent l’espace sonore avec le chant du ruisseau et le bruissement des feuilles.
Unique et audacieux !
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Très actif en Languedoc-Roussillon, le batteur Samuel Silvant fait partie de ce bataillon de valeureux combattants du jazz et des musiques improvisées qu’on ne voit guère dans les régions fraîches et austères situées au nord d’une ligne Bordeaux-Lyon ! À moins qu’on ne l’y invite pas assez, allez savoir ?
Pourtant, ce quartet mérite une écoute attentive. La musique est un habile alliage de mélodies envoûtantes sur des structures rythmiques répétitives mais évolutives (la contrebasse de Bernard Santacruz !) qui soutiennent les improvisations des solistes brillants que sont le guitariste Philippe Deschepper (émigré du Nord en terre provençale) et le clarinettiste Olivier Thémines (bas-nomand installé en Touraine qui "descend" dès que ce quartet l’appelle !).
On ne sait trop pourquoi, il nous a semblé que le quartet n’était pas aussi soudé que lors du concert de Junas où nous l’avions écouté en jullet 2010. Nous risquerons l’hypothèse d’un problème de sonorisation qui perturbait l’écoute entre guitare et clarinette, rendait les unissons incertains et faisait dominer la contrebasse.
On le sait, il y a des jours avec et des jours sans. Ce quartet très influencé par la ligne esthétique imaginée par Paul Motian est porteur d’un potentiel remarquable. Il faut donc lui donner de nombreuses occasions de jouer. Appel lancé aux programmateurs de l’Hexagone !
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Orchestre National de Jazz (direction artistique Daniel Yvinec).
Après de nombreux concerts, en France et à l’étranger, ce programme concocté par le compositeur John Hollenbeck a atteint une belle maturité.
Nous avions remarqué et apprécié justement le disque avant de découvrir "Shut Up and Dance" dans un concert impeccable lors de Jazz Sous Les Pommiers (Coutances - juin 2011). Nous saluons la réussite et l’aboutissement du travail de l’ONJ à la suite de ce concert à La Tour d’Aigues.
Voilà une musique complexe, atypique, hors-normes qui sait toucher un public peu averti (nous l’avons vérifié auprès de spectateurs a-priori sceptiques...). En oubliant le concept de big-band pour penser cet orchestre comme un ensemble d’individualités, Hollenbeck (et Yvinec) ont dessiné une série de portraits ou de paysages musicaux aux couleurs intenses et contrastées. Comme Ellingon, grand architecte de concertos pour les solistes de son orchestre, le compositeur a pensé une série de dix pièces destinées à chaque membre de l’ONJ. Forts de l’expérience acquise en concert et lors de la résidence de plusieurs jours dans les locaux de l’AJMI à Avignon en juillet, les musiciens de l’ONJ ont totalement intégré cette musique et y démontrent leur potentiel collectif et individuel.
Une belle réussite qui ouvre une voie vers un horizon neuf pour le jazz d’aujourd’hui. Et une conclusion très pertinente et positive pour ce second festival.
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