Avec les disques de : Ralph ALESSI – Gary VERSACE – Drew GRESS – Nasheet WAITS, Michel BISCEGLIA, Théo CECCALDI & Roberto NEGRO, Michael FORMANEK & ENSEMBLE KOLOSSUS, Joachim KÜHN New Trio, MONNIOT – CHEVILLON – VAILLANT
Six disques pour ce début mars 2016 :
Vous êtes pensifs, enclins à la méditation, vous aimez la musique acoustique, vous adorez les soupirs, le silence quand il résonne ? Alors vous ne jurerez que par le plus récent disque du quartet de Ralph Alessi avec Gary Versace, Drew Gress et Nasheet Waits. Le mot d’ordre dans le studio devait être suspension, ou bien respiration. Quoi qu’il en fût, à l’oreille, c’est l’aspect mélodique qui s’impose porté par un lyrisme délicat. L’atmosphère oscille entre raffinement habile et clairvoyance musicale. C’est de la belle ouvrage, exposée de main de maître par quatre musiciens pour lesquels l’interaction n’est pas un vain mot. On se laisse prendre au jeu, à tous les sens du terme. Et l’on sait déjà qu’il faudra écouter maintes fois cet enregistrement avant d’apprécier au mieux toute sa subtilité. Laissez-vous faire, ça vaut largement deux années d’analyse…
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Un trio qui m’a aussitôt impressionnée et touchée par sa douceur, sa grande sensibilité et son absence d’esbroufe. Nous sommes dans la contemplation avec le pianiste belge Michel Bisceglia, accompagné à la contrebasse par Werner Lauscher et à la batterie par Marc Léhan. Le titre de l’album est une référence au film datant de 2011 du réalisateur Gust Van den Berghe, tourné au Togo, dont la musique avait été écrite par ce pianiste discret aimant composer pour le cinéma, et dont le thème était le voyage initiatique de deux enfants partis à la recherche de leur oiseau bleu perdu. C’est le sixième disque de ce trio qui se lance chaque fois de nouveaux défis, celui-ci étant de reprendre la BO du film en l’adaptant à leur formation.
Comme les deux enfants, nous cheminons le long de ce très beau disque aux atmosphères bleutées apaisantes. Le magnifique prologue donne le ton avec son tempo étiré et un solo de contrebasse profond. C’est le temps de l’attente et de la patience, de la grâce très bluesy avec Dry Water dont vous pouvez vous faire une idée ici (vidéo YouTube). Le temps mélancolique des retrouvailles avec les grands-parents partis sur l’autre rive (Call of Death), le temps du rêve, le temps de l’espoir à la couleur plus gaie. Une musique souvent recueillie comme dans Nunc Dimittis (« Maintenant, laisse partir [ton serviteur] » cantique de Siméon dans l’évangile de Saint Luc). The Birth (seconde naissance à mon sens) conclut le retour des enfants qui ont grandi en une seule journée à travers un piano qui égrène ses notes soulignées par la percussion. Éloge de la lenteur et de l’apesanteur, l’écoute de ce trio soudé amène un très grand bonheur. Tout comme les deux enfants qui trouveront en chemin bien plus que leur oiseau, c’est avec sérénité que la journée de recherche se clôt sur ce disque un peu à part dans la sélection de cette Vitrine, parfaitement éligible chez ECM comme le soulignait Thierry Giard dans la Pile de disques de février 2016.
Comme quoi il y a encore de très bonnes surprises et que tout reste à inventer dans cette configuration classique.
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Sur la pochette de Babies, Théo Ceccaldi (violon alto) et Roberto Negro (piano) dans 50 ans ?… Pierre Corneille fait dire à Rodrigue, dans Le Cid : « Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années ». Oui, oui, Théo et Roberto, nous n’attendrons point que vous ayez 80 ans pour vous dire à tous deux notre profonde admiration, dussiez-vous avoir les chevilles qui enflent avant cet âge canonique ! Les deux babies jouent ensemble depuis quelques années dans différents projets mûris au sein du collectif orléanais Tricollectif dont ils participent à la création en 2011 (allez visiter le site où la lecture du trombinoscope vous fera mourir de rire ! -ici-). La totalité de la matière de ce disque est issue de l’enregistrement de deux concerts donnés au Triton (Les Lilas -93) en juillet 2015, et dont on peut voir un set complet sur le site du club (à voir ici !). Comme ils le disent, ce sont des compositions originales et instantanées, jamais composées, qui n’ont jamais été jouées et ne le seront plus… Il s’agit d’enfance (on l’aurait deviné) et de Mozart (ça moins par contre) ? Ils aiment jouer comme des bébés ? Certes ! mais des bébés surdoués et déjà romantiques avant l’âge !
Car il faut entendre le Hochet qui s’agite, course contre le temps qui passe si vite, pour s’apercevoir qu’il est doux à la fin de vieillir et que le baby a fini par se calmer et s’endormir… quelle belle composition contrastée ! Suit un Biberon plein d’une douceur lactée infinie qu’on aimerait boire toute la journée ! Puis une très courte partie de Bilboquet atterrit sans transition dans le Couffin. Que vont en faire les jumeaux ? faux jumeaux évidemment… expectative, kesako ? Ils cherchent, de concert, le tournent dans tous les sens ! le décomposent et recomposent pour arriver à en maîtriser peu à peu le mode d’emploi ! Le Bavoir est tout en dentelles délicates et recherchées, élaboré avec des fourchettes posées sur les cordes du piano, alors que Ninin (moi je dis nin-nin ou doudou !) n’est pas doux du tout, tout en aspérités qui vont exciter bébé et non l’endormir. Ils sont coquins ces babies, deux petits diables qui sautent sur les touches et les cordes, deux garnements farceurs s’entendant à merveille pour réveiller leurs parents avant que ceux-ci ne leur fourrent la Tétine dans le bec ! Dodo les babies, comme vous êtes sages au pays des rêves ! mais comme on vous aime aussi quand vous réveillez notre quotidien !
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Au cours des années 70-80, aux USA, nombre de grandes formations virent le jour dans la sphère des musiques créatives venues du free jazz. Je pense aux orchestres qu’animèrent Sam Rivers, Muhal Richard Abrams ou Anthony Braxton ou encore le Gil Evans de cette époque. C’étaient à chaque fois de formidables collectifs, des nids de solistes inventifs souvent leaders par ailleurs. Et puis, avec le temps et les contraintes de l’économie de la musique ces grands ensembles souvent libertaires se sont éteints...
L’espoir renaît aujourd’hui grâce à Michael Formanek, contrebassiste, compositeur (né en 1958 en Californie) qui ne cesse d’étendre son influence positive sur le jazz d’aujourd’hui. Grâce à ce formidable Ensemble Kolossus, il nous donne avec The distance un aperçu magistral de ce que peut être le jazz en ce début de XXIème siècle une musique sans cesse en mouvement qui grandit sur le terreau fertile du jazz d’hier pour mieux explorer des espaces neufs en proposant une écriture qui ouvre une large porte à la liberté d’inventer et d’improviser. Comme Michael Formanek a tissé des liens forts avec la plupart des solistes de l’ensemble (et quels solistes !), ceux-ci laissent libre cours à leur imagination. Même si sa musique est singulière et personnelle, il y a quelque chose de Charles Mingus dans la posture du contrebassiste, un pilier d’orchestre, fédérateur d’énergies qu’il sait mettre en valeur dans le cadre souple de sa musique (Tim Berne, Ralph Alessi, Oscar Noriega ou Chris Speed pour ne citer qu’eux...). De plus Formanek, comme Mingus, garde un attachement fort à la musique de Duke Ellington (on écoutera le titre The Distance qui ouvre ce disque ou la partie de clarinette dans seconde partie d’Exoskeleton pour s’en convaincre). La richesse des textures, la diversité des couleurs sonores, une manière singulière de fondre des séquences abstraites dans l’esprit du blues ou dans de subtiles lignes mélodiques rendent cette musique totalement captivante. Une richesse qui invite à des écoutes répétées, pour en découvrir toute la subtilité. Dans cette magnifique équipe, nous saluerons la remarquable assise rythmique assurée par Tomas Fujiwara et, perle parmi les solistes, l’excellence du jeu d’une Mary Halvorson qui n’a pas fini de nous surprendre.
Un disque colossal par un ensemble d’une rigueur inventive exceptionnelle que modèle magistralement Mark Hélias qui a troqué ici sa contrebasse conte la baguette du chef !
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A 72 ans, Joachim Kühn n’en finit pas de nous étonner. Accompagné par le discret, et néanmoins formidable, Chris Jennings à la contrebasse et le batteur allemand ayant le vent en poupe, Eric Schaefer, il signe chez Act avec Beauty and Truth un disque pétri d’une juvénile énergie. Entre ses mains, le piano est manifestement un instrument dynamique qui paraît depuis toujours lier une certaine tradition musicale européenne au jazz. Avec la flamboyance qu’on lui connaît et qui n’exclut aucunement la sensibilité, au sein d’un trio à l’interplay magistral, le pianiste de Leipzig (passé à l’Ouest en 1966) offre dans cet enregistrement une musique transcendant les genres, une musique à faire tomber les murs, une musique s’autorisant tous les rythmes, toutes les couleurs. C’est cette insatiable curiosité intellectuelle et humaine, cette ouverture à l’expérimentation, qui a fait de Joachim Kühn l’incontournable musicien qu’il est devenu. Virtuose et expressif, cet ami d’Ornette, également grand amateur de Bach, demeure pertinent et créatif au fil des décennies. C’est rare et précieux.
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Houlala ! La claque que l’on prend en écoutant ce disque ! Aussi forte que le mistral qu’il y a aujourd’hui en rédigeant cette chronique ! Sauf que ma température corporelle s’est élevée au lieu de se refroidir ! Un (ou des) Christophe Monniot aux saxophones mais aussi au piano préparé, un génial contrebassiste en la personne de Bruno Chevillon et un démiurge de la batterie avec Franck Vaillant : le tour est joué pour une combinaison gagnante ! Chaque fois que j’ai écouté ces musiciens séparément à l’AJMI d’Avignon ou à Paris (Au Triton ou à l’Atelier du Plateau), jamais je n’ai été déçue ! Alors les trois ensemble multiplient le plaisir ! On ne présente plus d’ailleurs ces artistes iconoclastes, tant ils expriment leur talent partout.
C’est donc encore un grand vent de liberté qui souffle dans ce projet enregistré en live au Triton où on les rencontre souvent. Ce disque est sensationnel du début à la fin, sans un instant de répit ! Tout est free, des titres aux adaptations tournées dans une espèce de centrifugeuse. Ces trois-là ne se refusent rien, de la mise en bouche avec deux saxophones en même temps sur Free Funky, au son de bolide des 24heures du Mans de la contrebasse de course de Chevillon dans Free for Two. Il faut savourer la version très personnelle du (Free Man)- Lonely Woman d’Ornette Coleman, ou de (Free Thing)- Mackie Messer. Ornette et Bertolt Brecht ont frémi dans l’au-delà, c’est certain ! Encore une fois, une création bourrée de talent avec des alliages sonores pour le moins originaux qui renouvellent la stratosphère jazz et m’ont expédiée ipso facto dans un espace-temps déconnecté du réel (je pense plus particulièrement à Free Hymn et Free Noisy). À recommander chaudement à tout amoureux d’un jazz novateur respectueux malgré tout de ses racines.
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Ralph ALESSI – Gary VERSACE – Drew GRESS – Nasheet WAITS : "Quiver"
À retrouver également dans notre Pile de disques de mars 2016 >ICI !<
> ECM - 477 0382 / Universal
Ralph Alessi : trompette / Gary Versace : piano / Drew Gress : contrebasse / Nasheet Waits : batterie
01. Here Tomorrow / 02. Window Goodbyes / 03. Smooth Descent / 04. Heist / 05. Gone Today, Here Tomorrow / 06. I to I / 07. Scratch / 08. Shush / 09. Quiver / 10. Do Over // Enregistré à Oslo en septembre 2014
Michel BISCEGLIA : "Blue Bird – Music for the film concert"
À retrouver également dans notre Pile de disques de février 2016 >ICI !<
> Prova Records - PR 1507-CD28 / www.provarecords.com
Michel Bisceglia : piano / Werner Lauscher : contrebasse / Marc Lehan : batterie
01. Blue Bird Prologue / 02. Waiting For The Bird / 03. The Wrong Bird / 04. Dry Water / 05. Call Of Death / 06. The Last Drive / 07. Parallel Dreams / 08. Dance Of Hope / 09. Nunc Dimittis / 10. The Birth // Enregistré en à Genk (Belgique) le 9 juillet 2015.
Théo CECCALDI & Roberto NEGRO : "Babies"
À retrouver également dans notre Pile de disques de mars 2016 >ICI !<
> Le Triton - TRI-15527 / L’Autre Distribution
Théo Ceccaldi : violon / Roberto Negro : piano
01. Hochet / 02. Biberon / 03. Bilboquet / 04. Couffin / 05. Bavoir / 06. Ninin / 07. Tétine // Concerts enregistrés au Triton les 2 et 3 juillet 2015.
Michael FORMANEK & ENSEMBLE KOLOSSUS : "The Distance"
À retrouver également dans notre Pile de disques de mars 2016 >ICI !<
> ECM - 475 9407 / Universal
Loren Stillman : saxophone alto / Oscar Noriega : saxophone alto, clarinette, clarinette basse / Chris Speed : saxophone ténor, clarinette / Brian Settles : saxophone ténor, flûte / Tim Berne : saxophone baryton / Dave Ballou, Ralph Alessi, Shane Endsley : trompettes / Kirk Knuffke : cornet / Alan Ferber, Jacob Garchik, Ben Gerstein : trombones / Jeff Nelson : trombone basse et contrebasse / Patricia Brennan : marimba / Mary Halvorson : guitare / Kris Davis : piano / Michael Formanek : contrebasse, compositions / Tomas Fujiwara : batterie / Mark Helias : direction de l’Ensemble.
01. The Distance / 02. Exoskeleton (Prelude) / 03. Exoskeleton Parts I-III (Impenetrable / Beneath the Shell / @heart) / 04. Exoskeleton Parts IV-V (Echoes / Without Regrets) / 05. Exoskeleton Parts VI-VII (Shucking While Jiving / A Reptile Dysfunction) / 06. Exoskeleton Part VIII (Metamorphic) // Enregistré à New York (Brooklyn) en décembre 2014.
Joachim KÜHN NEW TRIO : "Beauty & Truth"
À retrouver également dans notre Pile de disques de mars 2016 >ICI !<
> ACT - ACT 9816-2 / Harmonia Mundi (parution : 18/03/2016)
Joachim Kühn : piano / Chris Jennings : contrebasse / Eric Schaefer : batterie
01. Beauty And Truth (Coleman) / 02 The End ( The Doors) / 03. Because Of Mouloud (Kühn) / 04. Sleep On It (Stand High Patrol) / 05. Intim (Kühn) / 06. Transmitting (Kühn) / 07. Summertime (Gershwin) / 08. Riders On The Storm (The Doors) / 09. Machineria (Kühn) / 10. Sleep Safe And Warm (Komeda) / 11. Kattorna (Komeda) / 12. Blues For Pablo (Gil Evans) // Enregistré aux Bauer Studios de Ludwigsburg (Allemagne) les 7 et 8 juillet 2015.
À retrouver également dans notre Pile de disques de mars 2016 >ICI !<
> Le Triton - TRI-16529 / www.letriton.com
Christophe Monniot : saxophones, piano, électronique / Bruno Chevillon : contrebasse, effets / Franck Vaillant : batterie, effets
01. Free Funky / 02. Free Body’s All Right / 03. Free For Two / 04. Free Ambiant / 05. Free Ballad / 06. Free Man - Lonely Woman / 07. Free Hymn / 08. Free Noisy / 09. Free Thing - Mackie Messer / 10. Free Saints Go Marching In // Enregistré en concert au Triton (Les Lilas - 93) le 20 décembre 2014.