Comme chaque année, je tente de faire un résumé rétrospectif de la production discographique du label indépendant britannique dirigé avec un enthousiasme et une ouverture d’esprit absolument incroyables par Leo Feigin, celui qui, rappelons-nous, nous a fait découvrir dans les années 70 le Trio Ganelin et bien d’autres musiciens russes – soviétiques à l’époque – extraordinaires (et qui a la gentillesse de m’envoyer régulièrement les nouveautés de son catalogue).
Et comme chaque année, la production 2017 est considérable : en huit livraisons, trente-quatre disques ont été publiés. N’ayant pas la possibilité de les critiquer en détail, tout en prenant la peine de les écouter tous à plusieurs reprises, je vais les passer en revue pour informer les lecteurs, un peu à la manière des Piles de disques mensuelles que compile consciencieusement notre ami Thierry Giard. Je précise également que nombre de musiciens qui font partie de cette revue annuelle m’étaient inconnus, ce qui prouve une fois de plus que Leo Feigin reste un grand « découvreur ».

Une fois n’est pas coutume, je vais faire défiler ces disques dans l’ordre des numéros (ce qui ne correspond pas forcément avec l’ordre de leur parution).
Ainsi, compte tenu de la référence du premier d’entre eux, ce disque était prévu depuis longtemps. D’autant qu’il a été enregistré en 2013 par le duo américain Heath Watts (saxo soprano)/Blue Armstrong (contrebasse). Dix pièces improvisées très vives composent ce CD où se manifeste un contraste stimulant entre les aigus, souvent cristallins parfois plus acides, du soprano, et la basse rythmique, dynamique et à la sonorité superbe, ronde et profonde. Un très bon disque : « Bright Yellow with Bass » (Leo Records CD LR 758).

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Kusimanten est un trio féminin fort attrayant. Composé de Tamara Lukasheva (chant), originaire d’Ukraine, et de deux musiciennes autrichiennes, deeLinde (violoncelle) et Marie-Theres Härtel (violon alto), il sévit principalement en Allemagne où il distille ses fausses petites chansonnettes, mélangeant allègrement traditions alpines, folk, pop, voire rock, classique et jazz – l’improvisation. Servies par la voix claire de la chanteuse, les douze mélodies ici proposées – la plupart originales – conjuguent légèreté, espièglerie, vivacité, mise en place parfaite et grande musicalité. Un étonnant rafraîchissement offert par Leo : « Bleib ein Mensch » (LR 778).

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Cinquième disque du Clarinet Trio pour Leo Records depuis 1998 (cf. Culturejazz « Leo Records panorama #3 » 11/07/2012). En 2013, ces trois maîtres allemands des clarinettes donnaient un concert à Moscou. Jürgen Kupke (clarinette), Michael Thieke (clarinette et clarinette alto) et Gebhard Ullmann (clarinette basse), organisateur du groupe et principal compositeur du répertoire, alignent une précision, une réactivité, une science des contrastes et une force de jeu assez impressionnantes. Ils sont rejoints en seconde partie par le grand saxophoniste alto Alexey Kruglov, musicien extrêmement stimulant qui enrichit la palette sonore. « Live in Moscou » (LR 781).

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Leo frappait fort avec sa première édition de l’année : le quintette britannique Loz Speyer’s Inner Space. Réunissant le trompettiste-bugliste Loz Speyer, le grand saxophoniste alto et clarinettiste Chris Biscoe, bien connu en France depuis longtemps, la saxophoniste ténor et soprano Rachel Musson, le contrebassiste Olie Brice, et le batteur Gary Willcox, ce groupe s’inscrit dans, et prolonge, la grande tradition Charles Mingus-Ornette Coleman-Art Ensemble of Chicago, avec une couleur et un esprit « anglais » bien identifiable qui nous ravit. Voilà une sorte de synthèse, dans ce qu’elle produit de meilleur, entre le jazz américain et la free music européenne. L’organisation du groupe souple et ouverte, les collectives et échanges superbes, les beaux et vrais thèmes qui provoquent des improvisations remarquables, sans parler du plaisir que nous avons à l’écouter... tout aboutit à une musique forte comme on n’en entend plus guère. L’un des meilleurs disques de jazz que j’ai écouté cette année. Le Inner Space tourne beaucoup ; il ferait donc les belles soirées de n’importe quel festival français. Le Mans ? Coutances si proche de l’Angleterre ? Peut-on encore rêver ? « Life on the Edge » (LR 782). OUI !

Stuart Popejoy est un jeune guitariste-basse américain qui, nous dit-on, évolue entre le metal progressive et le jazz d’avant-garde. Nous l’avions découvert dans un disque de la violoniste Sarah Bernstein (LR 746) enregistré en 2015 (cf. Culturejazz « Une année avec Leo (2) » 30/12//2016). Il présente dans ce disque une composition pour quintette de près d’une heure, enregistrée en direct en 2012. Pour ce travail très savant et élaboré aux structures complexes, il s’est entouré de Sarah Bernstein, déjà, de Steve Swell (trombone), Avram Fefer (sax alto) et Kenny Wolleson (vibraphone et batterie). Une musique raffinée, assez étrange et fascinante, qui demande une écoute attentive. « Pleonid » (LR 783).

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Le percussionniste suisse Heinz Geisser possède déjà une douzaine de disques à son actif dans le catalogue Leo Records (dont nous avons plusieurs fois rendu compte), la plupart avec son Collective 4tet puis son Ensemble 5, qui est aussi un quartette, avec parfois un invité (cf. Culturejazz « Leo Records : trois grands orchestres et quelques pépites » 21/11/2014). C’est le cas avec cette dernière production où Geisser, Robert Morgenthaler (trombone), Reto Staub (piano) et Fridolin Blumer (contrebasse) sont rejoints par le flûtiste, saxophoniste ténor et poète américain Elliott Levin. Deux suites improvisées de 35 minutes chacune composent ce disque de free music dans ce qu’elle a de meilleur et de plus abouti. « Live-featuring Elliott Levin » (LR 784).

Voilà deux noms qui se passent de commentaires, car ils font partie des plus importants improvisateurs de notre époque : Frank Gratkowski (sax alto, clarinette, clarinette-basse) et Simon Nabatov (piano). L’un comme l’autre ont publié de nombreux disques, en particulier pour Leo ; ils fêtaient entre autres les 35 ans de la maison en 2014 à Moscou en compagnie d’Alexey Kruglov et d’Oleg Yudanov (cf. Culturejazz « Les disques qui vous ont échappé... (1) » 06/01/2016). Avec la liberté qu’offre le duo, ils se lancent, apparemment sans préalable ni « concepts », dans l’improvisation libre sans jamais oublier l’esprit du jazz. Superbe. « Mirthful Myths » (LR 785).

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Après le trio suisse Potage du Jour (cf. Culturejazz « Leo Records : trois grands orchestres et quelques pépites » 21/11/2014), Franziska Baumann (voix, live electronic) et Christoph Baumann (piano et piano préparé) se retrouvent face à face dans une confrontation plutôt tonique ! Leur performance énergique, sur les dix pièces proposées, se déroule généralement sur un train d’enfer. Franziska, dont la voix peut tout faire, y compris de folles vocalises ou quelque chanson au second degré, et Christoph, pianiste frénétique, se lancent dans des improvisations que l’auditeur peine parfois à suivre. Une musique free contemporaine qui n’est pas de tout repos. « Interzones Vol. 1 » (LR 787).

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Nouvel opus du Blazing Flame Quintet animé par le poète et chanteur/diseur Steve Day (cf. Culturejazz « C’était en 2013 : 3e séance de rattrapage » 06/02/2014 - « Une année avec Leo (2) » 30/12/2016). Quintet car Julie et Keith Tippett se sont retirés depuis le précédent (cf. Culturejazz « Une année avec Leo (2) » 30/12/2016). Par contre l’excellent Mark Langford (sax ténor et clarinette basse) a rejoint Peter Evans et son violon électrique à 5 cordes, la section rythmique souple et précise, Julian Dale et Alton Henley, ne bougeant pas. Nous restons dans l’univers singulier, quoique typiquement anglais mais ouvert sur le monde, de cet auteur intéressant, fort bien accompagné. « The Set List Shuffle » (LR 788).

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Comme son nom l’indique, le Trio Now ! annonce la couleur : une musique de l’instant qui prend toute sa force devant un public.Complices depuis plus de vingt ans, Tanja Feichtmair (saxo alto), Uli Winter (violoncelle) et Fredi Pröll (batterie) pratiquent une free jazz music solide, puissante et sans concession (cf. Culturejazz « C’était en 2013 : 3e séance de rattrapage » 06/02/2014). Un ensemble-phare du jazz autrichien. « Live at Nickelsdorfer Konfrontationen » (LR 789).

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Lorsque des musiciens dits classiques ou contemporains se lancent dans l’improvisation, cela ne donne pas toujours des résultats convaincants. Or ici, le résultat est proprement époustouflant ! D’autre part, le titre « Free Radicals » pourrait nous faire croire que nous allons nous trouver dans un free jazz irréductible. Il n’en est rien. L’enregistrement, réalisé en août 2013 à l’Université d’Édimbourg, est le résultat d’une collaboration entre l’Estonian Academy of Music et le Royal Conservatoire of Scotland. Il réunit cinq musiciens de très haut niveau : la violoniste japonaise Mieko Kanno, qui enseigne à Glasgow et à Helsinki, la soprano Anne-Liis Poll (qui joue également de diverses percussions), professeur à l’académie d’Estonie, son confrère le pianiste Anto Pett (cf. Culturejazz « C’était en 2013 : 3e séance de rattrapage » 06/02/2014) – voir également son duo avec Christoph Baumann (cf. Culturejazz « C’était en 2013 : 3e séance de rattrapage » 06/02/2014) – le pianiste Aaron Shorr, grand interprète de Beethoven, professeur à l’Académie Royale de Londres, et Alistair MacDonald qui pratique et enseigne l’électroacoustique au conservatoire en Écosse. Une instrumentation très hétéroclite sur le papier mais formidablement équilibrée. Quatorze pièces sont proposées, la première et les six dernières en quintette, les sept autres dans des duos et trios variés. Tout est passionnant. Deux exemples : le duo de piano ou les performances vocales incroyables de la chanteuse. Il ne s’agit pas de jazz, mais d’une musique inouïe, fascinante et remarquable en tous points. Un pas dans le domaine difficile et souvent bouché de la création. « Free Radicals » (LR 790). OUI !

A contrario, la « Marsyas Suite  » est un « vrai » disque de jazz, avec thèmes, improvisations, tempos, etc. Inspiré par L’Écorchement de Marsyas, un tableau du Titien qui représente cet épisode de la mythologie grecque où le dieu Marsyas fut écorché vif par ordre d’Apollon, cette suite comporte quatorze mouvements mis en musique par Marcus Vergette. Personnage singulier que ce Vergette, contrebassiste, fermier et surtout sculpteur contemporain connu – né aux États-Unis, il vit en Angleterre. Le quintette qu’il a réuni comprend la saxophoniste-alto Roz Harding (Marsyas), le pianiste Tom Unwin (Apollon), et deux violoncellistes, Janna Bulmer et Lucy Weisman (les muses), ce qui donne une couleur assez feutrée à l’ensemble, et une description musicale dépourvue de violence. « The Marsyas Suite » (LR791).

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Steve Lacy peut reposer en paix, sa musique vit toujours, et de quelle façon avec le trio Lacy Pool. Pour cette relecture extrêmement vivante, donc fraîche, impliquée, respectueuse et libre tout à la fois, pas de soprano ni de contrebasse. Le pianiste allemand Uwe Oberg s’est entouré du grand clarinettiste Rudi Mahall (qui, pour une fois, délaisse largement sa clarinette-basse dont il est l’un des meilleurs spécialistes) et le batteur Michael Griener, musiciens de premier plan. Sept œuvres de Lacy plus deux pièces originales de Oberg composent ce disque superbe et apparemment tout simple. Tout le contraire de certains qui empruntent la musique de grands jazzmen du passé et, sous prétexte de leur rendre hommage, la dénaturent et la détournent à leur profit personnel. Écoutez et faîtes la différence. « Lacy Pool 2 » (LR792). OUI !

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Second disque pour Leo du trio israélien Bones basé à Amsterdam (cf. Culturejazz « Une année avec Leo (2) » 30/12/16). Ziv Taubenfeld (clarinette basse), qui a composé l’ensemble du répertoire, et ses deux compagnons, Shay Hazan (contrebasse) et Nir Sabag (batterie) proposent une musique très ouverte, avec rigueur, exigence et honnêteté, où l’écoute et l’échange sont particulièrement perceptibles. « Haberdashery » (LR 793).

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Nous retrouvons le pianiste russe Simon Nabatov en trio avec une rythmique américaine : le contrebassiste Max Johnson et le batteur Michael Sarin dans cinq improvisations free jazz enregistrées à New York. À travers le piano volubile de Nabatov et de la réactivité de ses partenaires, s’élabore une construction/déconstruction permanente produisant des atmosphères variées mais de grandes tensions. La liberté absolue maîtrisée. « Free Reservoir » (LR 800).

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En 2012, le pianiste écossais John Wolf Brennan, le percussionniste et vocaliste palestinien Tony Majdalani et le guitariste calabrais Marco Jencarelli s’étaient réunis autour d’un projet « Pilgrims » très élaboré, ambitieux et original (cf. Culturejazz « C’était en 2013 : 3e séance de rattrapage » 06/02/2014). Il a fallu cinq ans pour que ces trois musiciens installés en Suisse concoctent un nouvel album (75’), tout aussi chiadé, dépaysant et souvent fascinant, Pilgrims devenant désormais le nom du trio. Prenant comme point de départ les vallées alpines, ils s’engagent tous trois dans un « pèlerinage » musical ancré dans les racines celtiques et tourné vers l’Orient, en treize étapes fictives indépendantes les unes des autres. Leur équipement instrumental très fourni se compose, suivant les plages, d’un piano (et arcopiano, oudpiano), d’un accordéon, d’un mélodica, d’un sitar arménien, de cloches tibétaines, d’une flûte en lotus pour Brennan, de diverses percussions égyptienne, irlandaise, shakers, chimes, berimbau, djembe, gong... pour Majadalani, et de guitares acoustiques à 6 et 12 cordes, et électrique pour Jencarelli, sans oublier la voix du second et, dans une moindre mesure, du premier. De quoi entreprendre un voyage imaginaire et spirituel qui n’a rien de pacotille mais témoigne d’une véritable démarche musicale universelle, qui plus est empreinte d’une réelle poésie. « Oriental Orbit » (LR 802). OUI !

Restons en Suisse avec le duo VIP composé de Pierre Audétat (claviers, samples) et Vinz Vonlanthen (guitare et parfois vocal), ce dernier entendu notamment avec le saxophoniste Christian Berthet et le trombone Denis Beuret. Deux explorateurs sonores qui s’aventurent dans l’électroacoustique, pas du tout dans une tendance rock, mais dans une démarche à la fois globale et décousue suivant les morceaux. Une musique parfois « concrète » comme on disait à une certaine époque, résonnante, à la fois spatiale et minimaliste. À écouter. « Walking Contradiction » (LR 803).

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Notre ami Thierry Giard ayant intégré les sept volumes de « The Art of Perelman-Shipp » parus en mars dernier (LR 794-95-96-97-98-86-99) dans sa Pile de disques de juin 2017, j’y renvoie d’autant volontiers le lecteur qu’une nouvelle livraison est arrivée en octobre. Contrairement aux deux séries précédentes (celle mentionnée ci-dessus et les six volumes de « The Art of the Improv Trio ») et malgré une ligne graphique identique, ces nouveaux disques ne forment pas un tout, même si le prolifique saxo-ténor Ivo Perelman continue sa collaboration fructueuse avec le pianiste Matthew Shipp dans cinq productions sur six.

Le premier d’entre eux a été enregistré lors d’une tournée européenne effectuée par le duo en mai dernier. Cinq concerts étaient programmés : à Munster, Amsterdam, Bruxelles, Moscou et Vienne (aucun à Paris ni en France, sans commentaires). C’est le concert de Bruxelles en son entier, enregistré le 21 mai 2017, qui fait l’objet de ce double-disque : un premier set en deux parties, plus un second et un rappel. Donnant toute sa mesure, le saxophoniste atteint ici une dimension exceptionnelle (phrasé, sonorité, contrastes, élocution, narration...), plus qu’épaulé par le pianiste qui se montre le partenaire parfait, architecturant et nourrissant continuellement le discours, tout en disposant de plus d’espace que d’habitude pour développer son jeu, l’un des plus originaux que l’on puisse entendre dans le piano contemporain. Les deux musiciens, totalement complémentaires, sont en parfaite symbiose dans cette improvisation jazz (je le souligne) du plus haut niveau, y compris mélodique. Une « grande » œuvre créée spontanément. « Live in Brussels » (LR 804/805). OUI !

Un mois plus tard, rentrés au pays, Perelman et Shipp donnaient un concert à Baltimore dont seul le second set est reproduit ici. Les duettiste étaient accompagnés par un nouveau venu, le batteur Jeff Cosgrove qui, enregistré en retrait et peu sollicité – il prend toutefois un petit solo au milieu – ne semble pas très influent. Entre moments lents et parties plus « tourmentées » la pièce ne manque pas de densité mais on n’atteint pas l’état de grâce du concert précédent. « Live in Baltimore » (LR 806).

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Retour en mai et en studio, cette fois-ci en quartette. Perelman et Shipp sont épaulés par le grand contrebassiste William Parker dont nous soulignerons un fois de plus la présence, partenaire familier des deux musiciens, et par un « revenant », le batteur Bobby Kapp, qui enregistra en 1967/68 avec Gato Barbieri, Marion Brown, Dave Burrell, Noah Howard, avant de disparaître de la circulation jusqu’en 2000 où il retrouvait Howard ; il enregistrait un disque sous son nom en 2014, et rencontrait deux ans plus tard Matthew Shipp. D’où la présence bénéfique de ce jeune musicien de 75 ans, particulièrement réceptif et au jeu très pertinent. Sept parties variées, un dynamisme constant, un excellent disque. « Heptagon » (LR 807).

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Les trois disques suivants ont été réalisés en juin. Le premier en trio avec encore un nouveau batteur, l’Allemand Joe Hertenstein, qui avait joué avec Shipp mais jamais avec Perelman avant cette séance. Beaucoup plus présent que Cosgrove, il joue avec force tout en travaillant dans/avec l’espace, laissant ainsi du champ à ses partenaires. Entre free ballade, swing et libre improvisation, les dix parties font de cette œuvre l’un des disques les plus « accessibles » à ceux qui ne sont pas familiers avec ces musiques sans concessions. « Scalene » (LR 808).

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Un autre trio, mais beaucoup plus inattendu, est réuni dans l’enregistrement suivant. En effet, hormis une rencontre avec Louis Sclavis, Ivo Perelman ne s’était jamais confronté avec un autre souffleur. Or, l’invité est ici Nate Wooley, l’un des trompettistes majeurs de la scène contemporaine. Musicien expérimental (techniques du souffle, suraigus, sifflements, etc.), lui aussi a joué avec Matthew Shipp. Ainsi, dans cette œuvre « alchimique » en dix parties, le pianiste doit assurer un rôle central au milieu des deux voix solistes qui, tantôt se superposent, tantôt se succèdent, le volubile saxophoniste devant laisser de l’espace aux interventions, souvent brèves et stridentes, du trompettiste. Un résultat intéressant mais pas totalement convaincant. « Philosopher’s Stone » (LR 809).

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La présence de Nate Wooley dut être appréciée puisque nous le retrouvons en compagnie de l’excellent contrebassiste Brandon Lopez et du batteur Gerald Cleaver dont l’intelligence et la finesse du jeu ne sont plus à démontrer ; un nouveau et un ancien, donc, dans la sphère Perelman, au sein d’un quartette Ornette Colemanien, puisque Matthew Shipp est absent. Et un disque en huit parties très équilibré, la forte présence de la rythmique bâtissant et colorant un paysage, y compris avec le recours au tempo, tandis que saxophone et trompette se répondent et s’équilibrent cette fois parfaitement. Un vrai jazz quartet pour un disque plus que plaisant. « Octagon » (LR 810).
Et un coup de chapeau pour les textes, toujours pertinents, de Neil Tesser, qui commente disque après disque l’énorme production d’Ivo Perelman – à l’exception des liner notes informatives de Jean-Michel van Schouwburg pour le concert de Bruxelles.

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Second disque pour Leo du jeune groupe suisse Roofer dirigé par le bassiste Luca Sisera (cf. Culturejazz « Les disques qui vous ont échappé... (1) » 06/01/2016). Notons un changement de trombone par rapport au quintette précédent avec l’arrivée de Maurus Twerenbold. Ce nouvel opus a été enregistré en studio à Moscou à l’occasion d’une tournée en Russie effectuée en compagnie du saxo-alto Alexey Kruglov décidément beaucoup sollicité. Huit pièces entièrement improvisées très aérées, complexes et aux alliages subtils, orientées dans plusieurs directions. On appréciera l’apport vivifiant de Kruglov à cette musique qui pourrait, parfois, manquer un peu de passion, en dépit de sa grande qualité. « Moscow Files » (LR 811).

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Un très beau duo réunit le pianiste autrichien Deniz Peters et le saxophoniste (alto et baryton) anglais basé à Berlin Simon Rose. Ils ont placé leur travail musical sous le signe de l’empathie en référence et en mémoire d’Edith Stein (sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix), et en particulier de son ouvrage Le Problème de l’empathie, fondement majeur de sa recherche philosophique.Avec une grande économie de notes et de sons, Peters et Rose produisent une musique à la fois retenue et intense, méditative et forte, à laquelle il est difficile d’échapper par quelque distraction. Une démarche volontaire, une façon d’exprimer l’essentiel et une leçon en faveur de la musique acoustique. « Edth’s Problem » (LR 812).

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C’est à un autre voyage, bien différent de Pilgrims, que nous convie Elements, titre du disque et groupe italien réuni autour du pianiste américain Pat Battstone et de la vocaliste Marialuisa Capurso, entendue aux côtés de Jean-Marc Foussat (cf. Culturejazz « Il m’arrive d’écouter des disques français » 05/07/2016), avec Adolfo LA Volpe (live electronics, guitare, objets), Mariasole De Pascali (flûtes, piccolo), Francesco Massaro (sax alto, clarinettes, dispositif pataphysique) et Giacomo Mongelli (batterie, percussions). À partir donc, des quatre éléments, se déroule une sorte d’odyssée musicale conduite par la voix malléable et résonnante de Marialuisa Capurso (qui utilise également cloches, panneau d’aluminium, boîte à musique, ocarina, electronics). Une musique à l’architecture légère, presque éthérée, qui évolue lentement suivant les morceaux, gagne en intensité pour occuper un espace sonore plus vaste avant de revenir à un dépouillement « élémentaire ». « Elements » (LR 821).

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Bien trop engagé dans la musique, la culture et l’histoire des Afro-Américains (blues, gospel, soul, free jazz...), je n’ai jamais, contrairement à nombre de mes amis (un peu) plus jeunes, mordu au groupe Led Zeppelin, trouvant notamment leur chanteur assez épouvantable. Et qu’il fascine toujours des jazzmen de générations nouvelles, et ce dans le monde entier, m’interroge. Ainsi cinq jeunes musiciens, le Jet Lemon Band (deux Russes, deux Allemands et un Coréen !) ont donc décidé de reprendre exactement le contenu du second disque du groupe anglais, chant compris (Jim AvivA), en mêlant une instrumentation rock et des tempos ternaires et improvisations jazz grâce notamment au pianiste Sammy Lukas qui se révèle excellent. Voilà qui devrait plaire aux amateurs. « Led Zeppelin II in the key of jazz » (LR 822).

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Prêts pour les nouveaux arrivages ?

Le catalogue Leo Records est toujours distribué par Orkhêstra.