Les 5 disques chroniqués : Bruno ANGELINI (Open Land) ; Terence BLANCHARD featuring THE E-COLLECTIVE (Live) ; Jon IRABAGON Quartet + Tim HAGANS (Dr. Quixotic’s Traveling Exotics) ; Christophe MONNIOT & le GRAND ORCHESTRE DU TRICOT (Jericho Sinfonia) ; David SEVESTRE SÉISME (Jishin)
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25 janvier 2014 : Pierre Gros assistait (pour CultureJazz) à la naissance de ce quartet sur la péniche L’improviste à Paris. "Exigence, poésie des instants, imaginaire, paroxysme, calme, voilà le ressenti de cette soirée et c’est avec impatience que nous attendons donc les surprises que nous réserve l’univers de Bruno Angelini pour les prochains chapitres de cette histoire, qui vient juste de commencer à la Péniche L’Improviste…" écrivait-il alors. En mai 2015, chapitre 2, la sortie du disque lui rappela ce beau moment et confirma le potentiel de ce carré d’as qui a le sens du partage à travers la musique... "On ne sait pas à combien d’écoutes cet enregistrement pourra résister mais force est de constater que nous y retournons chaque fois avec grand plaisir." concluait le chroniqueur enthousiaste.
À peine trois ans après, le label La Buissonne nous propose le chapitre 3 de notre histoire intitulé "Open Land". S’affranchissant de toute clôture, de toute barrière, Bruno Angelini ouvre l’espace plus encore qu’il ne l’avait fait jusqu’alors. Oublions le quartet et pensons quatuor. Le jazz est là, c’est le substrat qui alimente cette musique, mais la forme s’apparente avec beaucoup de force et de charme à une musique de chambre d’aujourd’hui. Un art de la conversation définie par un cadre choisi et réfléchi (les compositions) pour permettre à chacun de participer pleinement à la construction collective. Il serait bien difficile et sans doute inutile de disséquer cette musique pour en extraire on ne sait quoi. En privilégiant la pureté et la sobriété du son des instruments (seul Régis Huby électrise subtilement quelques plages), Bruno Angelini touche l’essentiel pour susciter l’émotion et libérer les sensibilités (la contrebasse souvent à l’archet pour Claude Tchamitchian, les percussions irisées d’Edward Perraud. Un bien beau moment de musique sereine et lumineuse.
Thierry Giard
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La dernière fois que l’on s’était soucié du trompettiste de la Nouvelle Orléans, il était avec Art Blakey… On a dû rater quelques décennies. Nous fûmes donc surpris de le retrouver à la tête d’un groupe électrique de jeunes pousses agitées au service d’une musique actuelle et engagée (quelques échantillons vocaux Malcolm X et Martin Luther King Jr au gré des compositions). Bien nous en prit car cet enregistrement public ne manque pas d’atouts. Avec de bons gros groove hypnotiques, bien bluesy aussi, plein d’une sève chaleureuse, Blanchard propose une musique puissante qui scotche l’auditeur sans pour autant le faire souffrir. Ce mélange des genres, qui n’est pas sans rappeler par moment certaines expérimentations davisiennes du siècle dernier, se démarque néanmoins et touche à l’original par l’empilage des nappes sonores qui suscite contre toute attente une apaisante empathie. Un disque bourré d’énergie positive que Blanchard explique ainsi : « Ce groupe représente le meilleur des idéaux de l’Amérique. Nous sommes cinq personnalités très différentes qui jouent ensemble pour un but commun : créer de la musique qui, espérons-le, guérit les cœurs et ouvre les esprits. Live est un album pour ces temps troubles, mais c’est aussi un album rempli d’espoir. Nous voulons encourager les auditeurs à s’exprimer et à discuter avec ceux qui les entourent et à guérir ceux qui les entourent. » C’est clair ?
Yves Dorison
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Le meilleur moyen de faire ce que l’on veut sans avoir de comptes à rendre, c’est de produire ses disques soi-même ! Ainsi agit le saxophoniste américain Jon Irabagon à l’instar de son ami (et "employeur" par ailleurs) Dave Douglas et de tant d’autres... avec souvent moins de bonheur. Avec ce nouvel album, il nous fait entrer dans le cabinet de curiosités ambulant du Dr. Quixotic comme l’évoque la pochette pleine d’humour. La musique est à la hauteur du projet : du jazz aux apparences "ordinaires" qui cache des bizarreries troublantes, des rythmes mutants, des improvisations qui s’enrayent, un piano qui semble sortir de sa boîte trop étroite sous les doigts de Luis Perdomo... tout cela dans un bouillonnement d’énergie assez envoûtant. Quand intervient la trompette de l’excellent Tim Hagans, on pense inévitablement au quintet de Dave Douglas, comparaison au demeurant très flatteuse. Signalons que le trompettiste succède à Tom Harrell et Ralph Alessi : belles références ! La base rythmique reste fondamentale dans cette musique enfiévrée au goût sauvage, c’est là qu’opèrent avec une belle complicité Yasushi Nakamura (contrebasse) et l’incontournable Rudy Royston, batteur décidément très sollicité ! Jon Irabagon s’impose une fois encore comme un des saxophonistes majeurs de notre époque comme l’avait démontré Sylvain Rifflet en l’associant à son projet sur Moondog il y a quelques années. Il est aujourd’hui très demandé et collabore à de multiples projets (Maria Schneider Orchestra, Barry Altschul Trio, avec Mary Halvorson ou Dave Douglas...) mais semble garder le cap pour rester fidèle à ses valeurs et à une vraie exigence artistique. On ne manquera donc pas de déguster le jazz de haute densité que contient ce remarquable album enregistré... à Buenos Aires. Le jazz du Dr. Quixotic n’a pas fini de nous faire voyager !
Thierry Giard
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L’enregistrement de ce Jericho Sinfonia (décembre 2015) fut réalisé entre celui d’Atomic Spoutnik (juin 2015) et de Tribute to Lucienne Boyer (janvier 2016). C’est donc le troisième album du Grand Orchestre du Tricot mais en fait le second chronologiquement (vous me suivez ?). Sur une période d’un peu plus de six mois, cet étonnant ensemble aux racines orléanaises aura présenté l’étendue des univers qu’il peut aborder avec une constante pertinence impertinente. Entre le récit dadaïste de l’improbable André Robillard (Spoutnik) et le répertoire de Lucienne Boyer amoureusement détricoté, voici, sous la conduite du professeur Monniot un vibrant traité sur la vibration (ses composantes, ses effets, ses conséquences) mais pas que... Éminent meneur d’hommes (sans en avoir l’air) et dresseur de croches démultipliées, Christophe Monniot est un conquérant des espaces musicaux anarchiques qui a trouvé chez les fortes têtes agitées du Tricollectif des êtres capables de partir à l’assaut de Jericho (sonnez trompettes), de faire vibrer des ponts en marchant au pas, de détruire un mur en enfonçant un clou. Ne croyez pas que je déraille (ce qui n’est pas impossible cependant), c’est dit dans le disque ! Car au-delà de la musique (inventive, intelligente, dérangeante, captivante, grandiose), cette Sinfonia est un étonnant montage de séquences enregistrées, de voix juxtaposées qui s’organisent comme une sorte de conférence scientifico-poétique partant d’une description de phénomènes physiques ou méta-physiques pour prendre une dimension quasi-spirituelle. Visiblement (audiblement !), le courant passe entre le meneur d’hommes et les hommes (et une femme) qui ne se laissent pas embrigader et expriment avec passion leur envie de liberté en musique. Christophe Monniot + le Grand Orchestre du Tricot : un puissant assemblage sur une même longueur d’ondes pour de bonnes vibrations !
NB : en mars, Christophe Monniot retrouvait sa ville natale (Caen) pour un nouveau projet avec le PanOrchestra, grand ensemble du Collectif Pan (Lire ici le compte-rendu de leur concert).
Thierry Giard
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Le titre est bien choisi. Nom de groupe Séisme pour un premier disque Jishin, signifiant aussi séisme en japonais. Un quartet de jazz orléanais pour le moins remuant, comprenant David Sevestre au saxophone (il est à l’origine des compositions et des arrangements), Jérôme Damien au piano, Nicolas Le Moullec à la basse et Adrien Chennebault à la batterie. Tous quatre y travaillent depuis bientôt 3 ans pour un résultat déconcertant comme un vent inattendu qui viendrait vous secouer et vous réveiller. En effet, le saxophoniste connu à travers le Road Quartet et Meloblast, affectionne par-dessus tout le free jazz qui est sa principale source d’inspiration pour ce projet mêlant improvisation, sonorités électroniques et ambiances venues de la musique classique également. Agitation de sons, bouillonnement de rythmes, éruption de notes sont au rendez-vous, impossible de rester indifférent.
Après une courte Onde de Volume décoiffante qui fait se dresser les cheveux sur la tête (surtout ne pas sortir le disque du lecteur), le titre éponyme ramène un calme très relatif et presque inquiétant sur sa ritournelle électronique malmenée à l’extrême se poursuivant avec Sumatra sur le même mode encore plus implacable et inexorable. Une composition où la montée en tension des quatre instrumentistes est volcanique ! Un vrai séisme pour le coup ! Moment très fort de ce disque ! Belle ouverture à la batterie sur Andaman qui se poursuit dans un exercice de free jazz très réussi, tandis que les notes d’une jolie ballade apaisée débutée avec le piano dans Shaanxi, puis celles qui entament Nankai sont des moments appréciés, avant de repartir dans les notes tempétueuses du saxophone et de la batterie. Un Nankai en deux volets où se révèlent toutes les subtilités de chacun, en particulier de la basse pour une nouvelle montée de lave incandescente tendue par le piano totalement non maîtrisé, un saxophone devenu fou et une batterie en roue libre. On en sort tremblant et tout secoué… avant de sombrer à nouveau dans la folie d’un petit refrain obsessionnel piano saxophone amenant de nouvelles escalades. Encore de beaux moments sur les rythmes de Kanto avant que le cercle ne se boucle sur une Onde de Love et nous voilà tout pantelants et étonnés d’avoir vécu une expérience hors du commun. Explorateurs de nouveaux territoires, ne passez pas votre chemin et allez gravir les pentes de Jishin ! Vous en redescendrez les yeux brillants d’une étrange lueur…
Florence Ducommun
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Bruno ANGELINI : "Open Land"
> Label La Buissonne - RJAL397031 / [PIAS]
Bruno Angelini : piano, compositions / Régis Huby : violon, violon ténor, électronique / Claude Tchamitchian : contrebasse / Edward Perraud : batterie, percussions
01. Tree Song (for John Taylor) / 02. Perfumes of quietness / 03. Indian imaginary song / 04. Jardin perdu / 05. Inner Blue / 06. Both sides of a dream / 07-09 You left and you stah (for Max Suffrin) – 07. Part 1 / 08. Part 2 / 09. Part 3 // Enregistré aus Studios La Buissonne (Pernes-les-Fontaines, 84) par Gérard de Haro du 19 au 21 juin 2017.
Terence BLANCHARD featuring THE E-COLLECTIVE : "Live"
> Blue Note / Universal Music France
Terence Blanchard : trompette / Charles Altura : guitare / Oscar Seaton : batterie / Fabian Almazan : piano, claviers / David Ginyard, Jr. : basse / Tondrae Kemp : voix.
01. Hannibal / 02. Kaos / 03. Unchanged / 04. Soldiers / 05. Dear Jimi / 06. Can Anyone Hear Me / 07. Choices // Enregistré récemment aux USA.
Jon IRABAGON Quartet w. Special Guest Tim HAGANS : "Dr. Quixotic’s Traveling Exotics"
> Irabbagast records - 010 / www.jonirabagon.com
Jon Irabagon : saxophone ténor / Luis perdomo : piano / Yasushi Nakamura : contrebasse / Rudy Royston : batterie /+/ Tim Hagans : trompette
01. The Demon Barber of Fleet Week / 02. Emotional Physics’ The Things / 03. You Own Your Own / 04. The Bo’ness Monster / 05. Pretty Like North Dakota / 06. Taipei Personality // Enregistré en septembre 2016 à Buenos-Aires (Argentine).
Christophe MONNIOT – GRAND ORCHESTRE DU TRICOT : "Jericho Sinfonia"
> Ayler Records - AYLCD-156 / www.ayler.com
Christophe Monniot : saxophones sopranino et alto, composition, direction artistique / Sylvie Gasteau : sonographie, livret, direction artistique / Roberto Negro : piano / Adrien Chennebault : batterie, direction artistique / Valentin Ceccaldi : violoncelle, horizoncelle, percussions / Florian Satche : batterie, percussions / Guillaume Aknine : guitare électrique / Jean-Baptiste Lacou : trombone / Gabriel Lemaire : saxophones alto et baryton / Quentin Biardeau : saxophones soprano et ténor / Alexis Persigan : trombone / Alain Regardin : trompette / Yoann Loustalot : trompette, bugle.
01. Veni Veni Emmanuel / 02. Pré-Hymne / 03. Hymne 1-Fil Rouge 1 / 04. Paix Nombres / 05. Hymne 2-Fil Rouge 2 / 06. Sonne, Heure / 07. Hymne 3 / 08. Fil Rouge 3 / 09. Ultime Atome / 10. Dans Cité // Enregistré à La Fabrique, Meung-sur-Loire du 27 au 30 décembre 2015.
David SEVESTRE SÉISME : "Jishin"
> Musique et équilibre / L’Autre Distribution
David Sevestre : saxophone, compositions, arrangements / Jérôme Damien : piano / Nicolas Le Moullec : basse / Adrien Chennebault : batterie.
01. Onde de volume / 02. Jishin / 03. Sumatra / 04. Andaman / 05. Shaanxi / 06. Nankai part 1 / 07. Nankai part 2 / 08. Kanto / 09. Onde de love // Enregistré récemment en France.