| 01- QUINSIN NACHOFF’S FLUX . Path of totality - OUI !
| 02- R.DUMOULIN / B.RUDER / A.BISCAY . Das Rainer trio - OUI !
| 03- THE JOE POLICASTRO TRIO . Nothing here belongs - OUI !
| 04- JOACHIM KÜHN . Melodic Ornette - piano works XIII - OUI !
| 05- AMINA FIGAROVA . Road to the sun
| 06- JORIS TEEPE. In the spirit of Rashied Ali
| 07- FRANCOISE TOULLEC . Un hibou sur la corde - OUI !
| 08- BUILDING INSTRUMENT. Mangelen min - OUI !
| 09- JUNIOR COOK / LOUIS HAYES Quintet. Live at Onkel Pö´s Carnegie Hall
| 10- NICOLAS PARENT TRIO. Mirage
| 11- RIGMOR GUSTAFSSON. Come home
| 12- DAVE MEDER. passage
| 13- GUY MINTUS TRIO. Connecting the dots
| 14- ANTOINE KARACOSTAS TRIO. Insulary tales
| 15- SARAH MCCOY. Blood siren
| 16- LAURENT BONNOT . Black Lion
| 17- FRANCK TORTILLER . Collectiv
| 18- MELUSINE . Chroniques - OUI !
| 19- JOE FIEDLER. Open Sesame
| 20- JEANNE LEE / RAN BLAKE . The newest sound you never heard - OUI !


  Quinsin NACHOFF’S FLUX : « Path Of Totality »

Whirlwind Recordings / Bertus

David Binney : saxophones alto et C melody
Quinsin Nachoff : saxophones ténor et soprano
Matt Mitchell : piano, Prophet 6, modular synthesizer, Novachord, clavecin, Estey pump harmonium
Kenny Wollesen : batterie, Wollesonic percussion (#1, #3, #4, #6)
Nate Wood : batterie (#1, #2, #5, #6)
musiciens additionnels (cuivres...) sur certaines plages.

Merci Whirlwind, beau label britannique qui nous permet d’écouter ces musiques empaquetées et présentées un soin particulier. La qualité est au rendez-vous à tous les échelons de la production et le souligner est bien la moindre des choses à l’époque de la dématérialisation.
Et voilà donc un nouveau Quinsin Nachoff, tout beau, tout chaud, tout doux (toucher velouté de la pochette) et très costaud. Quelle imagination bouillonnante, quelle détermination chez ce canadien de Toronto, new-yorkais d’âme et de cœur ! Après un magnifique trio en 2017 ("Ethereal" Trio, chez Whirlwind itou - OUI ! CultureJazz), le saxophoniste partage son énergie créatrice avec le groupe Flux, réunion d’étoiles du jazz d’aujourd’hui. Il a composé "Path of Totality" à la suite de l’éclipse solaire totale de 2017 et a vu dans ce passage temporaire à l’obscurité une métaphore des perturbations politiques et humaines de notre monde actuel. On écoutera donc cette œuvre comme un ensemble logique, une narration qui se construit en six volets complémentaires inspirés autant par le jazz, les musiques de recherche du XXè siècle (John Cage) que par les technologies d’électronique musicale. On est frappé par la cohérence de l’ensemble et l’architecture spatiale qui se construit et éveille l’imagination. Les trouvailles sonores sont nombreuses, la géométrie de l’ensemble fluctue, les rythmes surprennent par leur complexité maîtrisée. Quinsin Nachoff ose, assume et témoigne ainsi d’une grande maîtrise de son art. Une mention spéciale à Matt Mitchell qui confirme qu’il est un des grands maîtres actuel du piano, ouvert aux outils de son temps (et du passé, le clavecin !) au service de la musique, bien au-delà du simple effet de son(s). Vivement recommandé, bien sûr !

Thierry Giard


music.whirlwindrecordings.com . quinsinnachoff.bandcamp.com/path-of-totality


  REMI DUMOULIN / BRUNO RUDER / ARNAUD BISCAY . Das Rainer trio

Neuklang

Rémi Dumoulin : saxophones, compositions
Bruno Ruder : Fender rhodes
Arnaud Biscay : batterie

Dans cet espace musical incertain où peut surgir la créativité, il s’en faut de peu qu’elle agonise ou se révèle dans toute sa splendeur. Das Rainer trio permet de retenir la deuxième option et c’est heureux pour les oreilles amoureuses du beau. Dans cet album, les musiciens savent aller à l’essentiel, à l’essence, sans être aucunement aride dans leur propos, bien au contraire. Et c’est tout l’art des ces trois-là que de livrer une musique ouverte à l’impromptu, dense et légère à la fois, sensible en toute occasion et remarquablement interprétée sur le fil d’une réelle inspiration. Mélodique pour le meilleur, rien de compliqué à déchiffrer laborieusement, cet enregistrement (six compositions originales, une reprise de Michel Legrand et une de Billy Strayhorn) laisse la part belle à l’émotion. Bruno Ruder, en orfèvre du Fender Rhodes, et Arnaud Biscay, tout en nuances, créent subtilement un cadre sur lequel le saxophoniste peut s’appuyer pour mieux s’envoler. Les thèmes, baignés dans cet esprit de liberté propre au jazz que l’on aime plus que tout, se chargent quasi naturellement d’une amplitude que l’on n’attribue qu’aux musiques bien nées, aux musiques créées par des formations symbiotiques peuplées d’âmes riches qui savent que le dialogue et l’imagination donnent sa dimension réelle à l’humain.

Yves Dorison


https://kinosounds.wordpress.com/biographies/remi-dumoulin/
https://www.bauerstudios.de/de/data/shop/6638/ncd4206.html


  THE JOE POLICASTRO TRIO . Nothing here belongs

JeruJazz Records

Joe Policastro : contrebasse
Dave Miller : guitare
Mikel Avery : batterie

Un trio guitare / basse / batterie dont le leader est le contrebassiste, ce n’est pas si commun. Et d’ailleurs il n’est pas commun dans son approche musicale. Si un morceau nous tire du côté du rock, le suivant nous plonge dans un jazz parfaitement mainstream. Dans tous les cas de figure, c’est mieux que bien fait. Une énergie chaleureuse parcourt l’ensemble des morceaux. Le leader s’autorise quelques beaux soli sans trop abuser. Le batteur, avec un set très rudimentaire, est plus que solide et le guitariste qui n’utilise aucune pédale impose une sonorité remarquable. Les trois semblent prendre un plaisir évident à jouer de concert (c’est leur quatrième album) et cela s’entend. Chacun propose et ensemble ils disposent. Tout est très organique et le groove est là. A la fois brut et souple, cette musique ne s’embarrasse pas de faux semblants. Elle va droit au but qu’elle se fixe avec une capacité à lâcher prise uniquement qui n’est permise que grâce à la grande cohésion entre les trois musiciens qui sont pour le moins des virtuoses décalés. Un vrai souffle de liberté est présent dans ce CD nourri par une multitude d’influences emmagasinées et parfaitement digérées (on y trouve, outre les compositions originales, des arrangements audacieux de chansons de Bruce Springsteen, The Talking Heads et Santo & Johnny). . Le plus étonnant, c’est qu’il sort de ce melting pot un disque furieusement original et jouissif.

Yves Dorison


http://www.thejptrio.com/


  JOACHIM KÜHN . Melodic Ornette Coleman Piano works XIII

Act

Comme on a déjà tout écrit sur Joachim Kühn à maintes reprises, nous voilà bien embarrassés. Et comme l’on a déjà écrit à maintes reprises notre amour pour l’immense Ornette Coleman, nous voilà plus qu’embarrassées. Seul pianiste véritablement adoubé par le modeste et néanmoins génial Ornette, le natif de Leipzig se livre dans cet enregistrement à la musique de son aîné. Avec la virtuosité qu’on lui connait, virtuosité qu’il a toujours su contenir des excès qui nuisent à la lisibilité, le pianiste aborde le monde colemanien avec la sensibilité d’un musicien aguerri, sûr de ses choix, ouvert sur l’inconnu, mais toujours respectueux des compositions choisies par ses soins, compositions jouées sur scène entre 1995 et 2000 avec le multi-instrumentiste mais jamais enregistrées auparavant (à l’exception de Lonely woman). L’on découvre dans ces plages plus détendues un autre Coleman, bien moins free que par le passé, dont l’écriture demeure cependant colorée et proche de sa source. Joachim Kühn avec son jeu des profondeurs et cet art de la conversation sans frontière insère sa personnalité musicale et humaine dans cette musique avec un à propos que seul peut se permettre un musicien qui a côtoyé longtemps Ornette. A 75 ans, Joachim Kühn nous offre avec cet enregistrement le témoignage d’une aventure musicale doublé d’une amitié notable qui est incomparable dans le paysage du jazz.

Yves Dorison


https://fr.wikipedia.org/wiki/Joachim_K%C3%BChn


  AMINA FIGAROVA . Road to the sun

AmFi Records

Amina Figarova : piano
Bart Platteau : flutes
Alex Pope Norris : trumpet
Luques Curtis  : bass
Wayne Escoffery : tenor, soprano sax (3,6,8,9,10,11)
Marc Mommaas : tenor, soprano sax (1,2,4,5,7)/
Jason Brown : drums (6,8,9,10,11)/ Brian Richburg JR : drums (1,2,3,4,5,7)
Hasan Bakr : percussion (1,2)
Sara Caswell : violin (1,2,4,5,7)
Lois Martin : viola (1,2,4,5,7)
Jody Redhage Ferber : cello (1,2,4,5,7)

Inconnue jusqu’alors de nos étagères, Amina Figarova, pianiste Azerbaïdjanaise résidant aux États-Unis, y fait une belle entrée. Une vingtaine d’années de carrière, plus d’une dizaine de disques, c’est fou tout ce que l’on peut rater… Quoi qu’il en soit, la musique proposée dans ce CD est sensible et très évocatrice. Bien que l’on sente la formation classique dans son jeu, la pianiste sait propulser son écriture musicale grâce, notamment, à des harmonies lumineuses et des mélodies très chantantes évoquant diverses contrées. Brillamment orchestré, l’ensemble des compositions offrent un panel d’impressions auditives riches et non dénuées d’intérêt qui ne sont jamais agressives. Très écrit mais sophistiqué sans excès, ce disque bénéficie de la présence de solistes impressionnants de maîtrise qui mettent en valeur sans coup férir l’univers musical de la pianiste. Chaque thème, s’il révèle une esthétique particulière, conserve la cohérence d’un projet assurément travaillé avec passion et bon goût. L’on ne peut que ressentir une certaine sérénité et une joie paisible à l’écoute de cet album aux chatoiements délicats qui s’insinue en vous comme si de rien n’était. Recommandé.

Yves Dorison


www.aminafigarova.com


  JORIS TEEPE . In the spirit of Rashied Ali

Jazz Tribes

John Betsch : batterie
Freddie Bryant : guitar
Wayne Escoffery : saxophone
Johannes Enders : saxophone
Michael Moore : saxophone
Joris Teepe : contrebasse

En hommage au batteur Rashied Ali, né Robert Patterson (1933-2009) qui fit l’histoire avec Coltrane, ce disque appartient indubitablement à un genre que l’on affectionne, le genre sans concession. Joris Teepe, contrebassiste néerlandais qui vit entre Amsterdam et New York, a joué neuf ans le percussionniste free. Le groupe qu’il réunit dans cette galette ne manque pas d’allure et se fond dans le projet avec aplomb. Derrière ses fûts le grand John Betsch tient la baraque. Devant, les soufflants et le guitariste font le boulot avec clairvoyance, parfaitement dirigé par le maître de cérémonie dont les quatre cordes sont particulièrement claires. Au programme Monk, Don Cherry, Frank lowe, deux compositions originales et un magnifiquement bluesy Turnaround colemanien auquel devait impérativement s’ajouter une suite en cinq mouvements de Rashied Ali lui-même. De bout en bout, la musique interprétée est séduisante par bien des aspects. C’est rigoureux et libre à la fois, c’est coloré et flottant, c’est toujours juste et équilibré, arrangé avec brio. Bref, cette musique est une pâte sonore richement structurée avec goût et réalisée avec des musiciens confirmés. Selon nous, un grain de folie supplémentaire n’aurait pas nui. A vous de voir. A noter que le CD contient un livret de près de 40 pages fort intéressant comme préambule à l’écoute du disque.

Yves Dorison


https://www.joristeepe.com/


  FRANCOISE TOULLEC . Un hibou sur la corde

Gazul Records

Françoise Toullec : piano (102 touches avec des cordes parallèles obliques)

Sur le piano de concert étonnant créé par Stephen Paulello, la musique de Françoise Toullec possède une profondeur qui d’emblée la singularise. Et cette musique aborde ses mystères sans les dévoiler totalement. C’est donc dans l’art poétique du non dit expressément révélé que la pianiste impose une vision musicale marquée par une forte dramaturgie. Qu’elle s’attèle à une composition ou à une improvisation, Françoise Toullec avance entre les silences et les résonnances. On pense aux faux silences de la vie forestière (remarque personnelle) et aux vies minuscules qui l’habitent. L’exploration des timbres étendus de cet étrange instrument apporte à l’auditeur les dernières nouvelles d’un au-delà musical où ne se promènent que quelques créatures, élues ou non, aux discours intrigants. Dans cette contemporanéité affirmée et miraculeusement sans âge, les notes et accords interrogent la raison auditive, interpellent l’émotif et suscitent des frissonnements minéraux subreptices. Le temporel semble subir des étirements qui confinent à la dislocation et les sens en alerte se meuvent entre inquiétude et quiète exaltation, entre saisissement et désarroi. Françoise Toullec propose avec cet enregistrement une expérience d’écoute musicale aussi inusuelle que séduisante. Un monde en soi(e) vit là qu’il vous reste à découvrir urgemment tant il est fertile et prodigue en sensations inaccoutumées. Mais pourquoi donc avons-nous pensé à relire "Le pays sous l’écorce" de Jacques Lacarrière ?

Yves Dorison


http://francoisetoullec.free.fr/


  BUILDING INSTRUMENT . Mangelen min

Hubro

Mari Kvien Brunvoli : voix, électronique, cithare & omnichord
Oyvind Hegg-Lunde : batterie & percussions
Asmund Weltzien : synthés & électronique

Fortement déconseillé aux amoureux du swing, le disque du groupe norvégien Building Instrument perpétue la tradition de la maison Hubro qui promeut une musique ouverte, expérimentale et toujours surprenante. Dans cet opus, si l’on retrouve l’électronique en nappes flottantes caractérisant l’expérience musicale nordique, l’on trouve aussi beaucoup de traits mélodiques et une rythmique marquée plutôt inhabituels dans ce type d’enregistrement. Et ce qui fait tout son intérêt réside dans la faculté des trois musiciens à varier les angles d’approche, à arpenter des territoires où le groove est pondéré mais toujours à l’affût. Les constructions orchestrales sont subtiles et leur mise en son atypique. La voix de Mari Kvien Brunvoli évolue dans cet ensemble de manière souvent insolite, avec une tessiture souvent quasi enfantine, offrant son lot de douces surprises. Comme souvent avec ce type de groupe, la densité de la musique tient de la profondeur éthérée. Notons cependant dans ce disque une épaisseur supplémentaire apportée par la variété narrative et un traitement limpide de la mélodie. Nous nous sommes laissé séduire par cet univers musical serein et sans frontières dont les repères dépaysants délivrent des vues sonores aux échos inclassables mais créant des mélodies singulières, aussi ingénieuses qu’aventureuses.

Yves Dorison


https://www.facebook.com/Building-Instrument-1392929010921515/


  LOUIS HAYES / JUNIOR COOK Quintet . Live at Onkel Pö´s Carnegie Hall, Hambourg - 1976

NDR Info

Woody Shaw : trompette
Junior Cook : saxophone ténor
Ronnie Mathews : piano
Stafford James : contrebasse
Louis Hayes : batterie

Pour le coup avec ce live de 1976, enregistré à Hambourg par la NDR, on revient aux fondamentaux. Le quintet de Junior Cook (1934-1992) et Louis Hayes (1937, toujours bon pied bon œil), c’est du hard bop efficace. L’immense et un peu oublié Woody Shaw (1944-1989) est de la partie, Ronnie Mathews (1935-2008, vu avec Art Blakey, Max Roach, etc) tient les 88 notes et Stafford James (1946, il a joué avec trop de monde…) la contrebasse. Si ce quintet n’est pas resté dans les annales, c’est qu’il fut éphémère, comme bon nombre à cette époque. Mais on se prend à rêver qu’il ait duré car le potentiel est bien là. Sur des thèmes typiques du genre qui s’étire entre 10 et 22 minutes, les solistes se taillent la part du lion et ne mégotent pas, c’est le moins que l’on puisse dire. La rythmique est carrée et coriace. Elle porte les soufflants en compagnie d’un piano inspiré et chatoyant. Alors même si les musiciens de ce line-up ne sont pas parmi les plus connus, ce ne sont pas des seconds couteaux, loin s’en faut. Écoutez un solo de Woody Shaw ou de Junior Cook pour vous en convaincre. Cela devrait suffire. Qui plus est, l’enregistrement du concert est bien plus qu’honorable. Vous n’avez donc aucune raison de vous en priver de ce petit bout d’histoire du jazz, partie prenante d’une époque insouciante et rieuse où l’on fumait et buvait et riait, etc, dans des clubs bondés et festifs. Mais on ne vous fera pas le coup de « c’était mieux avant », quoique…

Yves Dorison


http://www.louishayes.net/


  NICOLAS PARENT TRIO . Mirage

L’intemporel

Nicolas Parent : guitares + compositions
Kentaro Suzuki : contrebasse
Guillaume Arbonville : percussions

Invité : Vincent Segal, violoncelle

Loin des raffuts en tous genres, le trio de Nicolas Parent s’aventure sans réserve dans les sonorités multiples d’un monde musical à l’esthétique savante et subtile (qui nous rappelle par certains aspects les ambiances d’Anouar Brahem). Chaque composition apporte une couleur à la palette et des variations douces, toutes emplies d’une sérénité contagieuse à l’écoute. Le trio est soudé et cela s’entend. Vincent Segal intervient avec justesse (peut-il faire autrement ?) sur deux titres et, si c’est un plus notable, le trio en soi est néanmoins suffisamment envoûtant. La musique respire, donne au silence tout son sens et son intrinsèque poésie avec, en sus, ce qu’il faut de rythme pour porter les lignes mélodiques. L’auditeur ne peut que voyager avec les musiciens au travers d’un kaléidoscope d’itinérances aux tons pastels soutenues le délicat étirement des notes et la suspension d’un temps presque immobile.

Yves Dorison


www.nicolasparent.com


  RIGMOR GUSTAFSSON . Come home

Act

Rigmor Gustafsson : vocals
Jonas Östholm : piano
Martin Höper : bass
Chris Montgomery : drums

Depuis le temps, vous devriez savoir qu’on ne connait pas tout. Ceci pour dire que Rigmor Gustafsson, nous ne connaissions pas encore. Eh oui. La suédoise n’avait pas encore atteint nos oreilles bien qu’elle ait déjà beaucoup donné à la musique (11 albums depuis 1996). Comme souvent dans ces contrées nordiques, le jazz des chanteuses se teinte de couleur pop et celui de madame Gustafsson n’y échappe pas. Ce n’est pas ce qu’on préfère mais force est de constater que la native de Värmskog est rompue à l’exercice. Accompagnée de ses complices fidèles, elle peut à l’envie jouer de sa voix, moduler, chercher l’écart et revenir au cœur du morceau sans jamais commettre d’impair. C’est très professionnel, travaillé dans le moindre détail, et cela finit hélas par nous paraître un peu trop lisse. Cela n’empêche pas ce disque d’être très musical, jamis mièvre, avec un fond d’e.s.titude typiquement suédois, et cela devrait satisfaire les amateurs de voix précises et habitées. Notons tout de même une belle version du « Big yellow taxi » de Joni mitchell et une autre plutôt convaincante du « Wuthering Heights » chanté par Kate Bush en 1978 (soit 131 ans après la parution du livre d’Emily Brontë).

Yves Dorison


http://rigmorgustafsson.com/


  DAVE MEDER . Passage

OutsideIn Music

Dave Meder : piano
Tamir Shmerling : contrebasse
Kush Abadey : batterie

Invités : Chris Potter et Miguel Zenon

Le jeune pianiste Dave Meder (28 ans) ne manque pas de tempérament et on le sent immédiatement à l’écoute de son disque. Très musical et très savant, son jazz est parfaitement contemporain et s’insère dans une mouvance très actuelle. Brillamment accompagné par une rythmique imparable (impérial Kush Abadey), il forme un trio interactif où la musque circule sans autres contraintes que celles que s’imposent les musiciens. Les compositions du floridien sont souvent très marquées rythmiquement, voire par moment percussives et toujours pleines d’énergie et de densité. Avec de temps à autre des accents monkiens (et quelques références à Jaki Byard, nous a-t-il semblé) il ouvre d’autres horizons et démontre sa belle capacité d’intégration des contenus harmoniques et mélodiques des maîtres. Ayant beaucoup joué à l’église dans sa jeunesse, Dave Meder met un point d’honneur a enregistrer dans chacun de ses disques un de ces chants qu’il a entendu et pratiqué. Ici c’est « the old rugged cross », une belle mélodie, très groovy, qui démontre là encore toute l’étendue de son talent. Nous avons également noté dans cet album le beau duo, très intuitif et serpentin, avec l’excellent Miguel Zenon. A découvrir, donc.

Yves Dorison


https://www.davemeder.com/


  GUY MINTUS TRIO . Connecting the dots

Jazz family

Guy Mintus : piano
Dan Pappalardo : contrebasse
Philippe Lemm : batterie

Invités : Sivan Arbel, voix (5) et Dave Liebman (9)

Encensé par la critique, multi-primé, ce jeune pianiste à l’indéniable talent sort un second disque en trio qui ne manque pas d’attrait. Essayant de relier entre elles diverses influences et différents espaces musicaux, il propose avec ses acolytes une musique chatoyante, de facture somme toute classique bien que se réservant le droit à quelques écarts plus contemporains. Lyrique, un peu trop pour nous par moment, il joue beaucoup sur les brisures rythmiques pour narrer des mélodies plutôt bien ficelées et puisant leurs sources dans divers terreaux harmoniques. D’une ambiance l’autre, l’on peut se laisser porter par la qualité intrinsèque des musiciens. Nous avons néanmoins moyennement adhérer à la musique de ce trio. il nous a manqué un petit quelque chose, vous savez, ce truc qui ajoute à l’écoute attentive une dimension supplémentaire qui au final vous satisfait. Faites-vous une idée, nous vous laissons seuls juges.

Yves Dorison


http://guymintus.com/


  ANTOINE KARACOSTAS TRIO . Insulary tales

Parallel Records

Antoine Karacostas : piano
Ansers Ulrich : contrebasse
Simon Bernier  : batterie

Invités : Andreas Polyzogopoulos, trompette et bugle - Federico Casagrande, guitare

Ce trio ne manque pas d’atouts pour séduire les auditeurs adeptes de jazz moderne. Tout semble évident à l’oreille. Aérienne, suffisamment, rythmée, tout autant, la musique de ce jeune pianiste emprunte des chemins mélodiques non dénués d’attraits. Assez originale dans son traitement, elle offre quelques beaux moments d’élégance musicale. Basée sur la poésie des paysages des Cyclades, l’écriture de cet album est assez homogène et orienté vers un lyrisme (tirant quelquefois sur la pop music) de bon aloi. Mais là encore, cette une affaire de goût qui définira votre inclination, ou non, pour cet enregistrement de qualité. Ce disque peut néanmoins faire consensus auprès de nombreuses oreilles aimant la musique bien faite et étant sensibles à ce type de climat musical.

Yves Dorison


https://www.antoinekaracostas.com/index.html


  SARAH MCCOY . Blood siren

Blue Note / Universal

Sarah McCoy : piano, guitare, voix, Rhodes…
Chilly Gonzales : Synthetizers, synth bass, celesta…
Vincent Taurelle : modular synthetizer…
Stella Le Page : violoncelle

La presse spécialisée dit bien des choses, toute plus dithyrambiques les unes que les autres, sur cette musicienne. Cabossée par la vie, ogresse, phénomène, secret le mieux gardé, talent roots, blablabla, on en passe. Si l’on se contente d’écouter son disque, on rencontre un monde s’exprimant dans la pénombre, un monde sensible et par moment très inspirant. La native de Pine Plains (N.Y.) dit que ces chansons ont été écrites dans les deux décennies qui précèdent, ce qui la fait débuter l’écriture dès l’adolescence. Soit. Si rien ne nous a irrités dans cet album, nous n’avons cependant pas particulièrement accroché à l’ensemble. Cela ne nous empêchera pas de lui souhaiter le meilleur pour la suite, bien évidemment.

Yves Dorison


https://www.sarahmccoymusic.com/


  LAURENT BONNOT . Black Lion

Jazz family

Laurent Bonnot : basse électrique
Sylvain Boeuf : saxophone ténor
Pierrick Pedron : saxophone alto
Pierre de Bethmann : piano, Fender Rhodes
Manu Codjia : guitare électrique
Franck Agulhon : batterie

Nous évoquions (5-11-18) la sortie du CD Exil de la formation Hand Five réalisé sous la baguette du batteur Jean Luc “ Nasta “ Mondélice, réunie autour de ses propres compositions largement inspirées du hard bop. Il y a quelque chose de cela dans la parution quasi simultanée du troisième enregistrement de Laurent Bonniot (basse électrique) Black Lion, bâti, là encore, autour de ses propres compositions et arrangements avec des musiciens chevronnés de la scène française. Ainsi les saxophonistes Pierrick Pedron (alto) et Sylvain Boeuf( ténor) le guitariste Manu Codjia et enfin le pianiste Pierre de Bethman et le batteur Franck Aguilhon. Et tout ce beau monde contribue à mettre en valeur l’univers plutôt pop–rock sans excès inventé par Laurent Bonnot. Ces métissages ne sont pas tout à fait nouveaux ni la musique complètement inédite mais le résultat est enlevé, coloré ; écrit certes mais pas trop ; improvisé mais jusqu’à un certain point... Equilibre tel est le maître mot de cet enregistrement, équilibre entre les styles, entre les chorus et les arrangements d’ensemble, et jusque dans la distribution des chorus eux-mêmes. On s’étonnerait presque de la discrétion du leader Laurent Bonnot qui a pourtant toujours côtoyé des musiciens aguerris : Emmanuel Bex et Dave Liebman dans son premier enregistrement The Time of Monsters en 2015. Ou bien encore Serge Lazarevitch et Médéric Collignon, Laurent Dehors, peu de temps après pour son second CD Hermit’s Dream.
Musique à écouter, de ce fait, sans modération.

Jean-Louis Libois


www.facebook.com/laurentbonnotofficiel . www.cdzmusic.com/laurent-bonnnot


  FRANCK TORTILLER . Collectiv

MCO

Pierre Bernier : saxophone ténor & soprano
Maxime Berton : saxophones alto & ténor
Abel Jednak : saxophone alto
Joël Chausse : trompettes, bugles
Rémy Béeseau : trompettes, bugles
Tom Caudelle : saxhorn, flugabone
Léo Pellet : trombone
Yovan Girard : violon, voix, textes
Pierre-Antoine Chaffangeon : piano électrique
Pierre Elgrishi : guitare basse
Vincent Tortiller : batterie
Franck Tortiller : vibraphone, composition, arrangement, direction

Après quinze ans à la tête de diverses grandes formations, associant une approche et une écriture très personnelles (programmes « And Drums… », « Sept chemins », « Psaumes » en compagnie d’un chœur d’enfants, l’octet de percussions claviers « Isokrony ») et une volonté de se réapproprier des répertoires populaires (« Close To Heaven » sur Led Zeppelin, « Janis The Pearl » en hommage à Janis Joplin avec le regretté Jacques Mahieux, « Rhapsody in Paris » autour de George Gershwin avec l’Orchestre Pasdeloup, « Sentimental ¾ » en hommage aux différentes formes de valse…), Franck Tortiller poursuit son travail de direction d’orchestre et s’engage dans un nouveau virage musical.
Il mise sur la génération émergeante du jazz français (déjà engagé dans cette démarche au sein de l’Orchestre de Jeunes Jazzman de Bourgogne (OJJB) fondé en 2010 et sur l’instrumentation acoustique du big band dont il connait les secrets, pour avoir fait partie des rangs du Vienna Art Orchestra pendant plusieurs années et arrangé des musiques de Duke Ellington avec l’OJJB.
Nous reconnaissons dans ce disque la sensibilité mélodique du compositeur (très présente dans « Sana Coeli »), son attache aux harmonies sophistiquées et à l’écriture précise sans être un frein à la créativité des improvisations. La rythmique du tandem basse batterie (représentée par Pierre Elgrishi et Vincent Tortiller) propulse cet orchestre résolument très cuivré, mis en valeur par les chorus des souffleurs de choc dont les noms commencent à rester dans les mémoires du public français (Léo Pellet, Tom Caudelle, Maxime Berton…).
Le compositeur s’inspire de la période électrique de Miles Davis (« Suite in F »), la soul de Roy Ayers (« Up and Standing »), du jazz de Charles Mingus (« Hobo Ho ») ou encore du rappeur américain Q-Tip (« Give the Floor », « Opening is Bizarre », co écrits avec le violoniste Yovan Girard) et des réflexes d’écriture de Matthias Ruëgg [1] reconnaissables dans « Collectiv ».
Ce nouvel orchestre présente un répertoire exigeant et cohérant, gorgé de diverses influences et surtout de sens, taillé sur mesure pour ces musiciens prometteurs. Une très belle représentation de ce que peut être le big band d’aujourd’hui sans copier de clichés standards, à découvrir absolument sur scène, qui sortira en mai prochain un deuxième album live « Shut Up’n Sing Yer Zappa », autour des chansons de Franck Zappa que l’on attend avec impatience.

Armel Bloch


http://www.francktortiller.com/


  MELUSINE . Chroniques

Babil Records

Christophe Girard : accordéon, composition
William Rollin : guitare électrique
Anyhony Caillet : euphonium
Simon Tailleu : contrebasse
Stan Delannoy : percussions

Pour son deuxième disque, Mélusine nous offre avec Chroniques une musique minutieusement écrite et très structurée, interprétée sur mesure par des musiciens matures, qui comptent parmi les plus intéressants de la nouvelle génération du jazz actuel. Avec cette suite passionnante comptée en sept actes, à la fois dense et concise (le tout est dit en un peu plus de trente minutes), l’accordéoniste Christophe Girard (déjà repéré pour ses qualités de brillant soliste et compositeur au sein des groupes Exultet et Smoking Mouse) signe une musique très narrative, attentive à l’alternance des climats et nuances, aux détails et discours de chacun. Parsemée de timbres riches, détours rythmiques et mélodiques inattendus, les compositions sont généreuses de contenu et gorgées de sens, laissant à l’auditeur la liberté de s’imaginer les personnages et paysages de ces histoires musicales sans parole. Dans ce quintet à l’instrumentation singulière (accordéon, guitare, euphonium, contrebasse, percussions), chacun trouve sa place et respecte l’identité collective du groupe, en occupant alternativement les rôles de soliste, accompagnateur, mélodiste et improvisateur. Le tout avec une grande cohérence de style et d’interprétation collective. Cette fine équipe dispose de toute la sensibilité musicale et du talent nécessaires pour faire de ce deuxième disque une œuvre ravissante et originale, qui devrait éveiller les oreilles des non-initiés et convaincre de nombreux auditeurs sur les scènes jazz en 2019, disposant du soutien de l’AJC en tant que lauréat du dispositif Jazz Migration.

Armel Bloch


https://www.babil.fr/
https://www.christophegirard.eu/


  JOE FIEDLER . Open Sesame

Joe Fiedler  : trombone
Jeff Lederer : saxophones soprano et ténor
Sean Conly : basse électrique
Michael Sarin : batterie

Invité : Steve Bernstein, trompette

Avec joe Fiedler, le groove n’est jamais loin. Vu par le passé avec Fast ‘n’ Bulbous (quelques joyeux drilles qui rendaient homme à Captain beefheart), il est depuis dix ans le directeur de la cultissime et cinquantenaire émission américaine pour enfants « Sesame Street ». Souvent décalé et rieur, le tromboniste est surtout un sacré client sur son instrument, comme on dit. Son dernier CD, comme son nom l’indique est entièrement dédié à la musique de l’émission précitée. C’est bien souvent funky, écrit au millimètre jusqu’au moment où, de temps à autre, la mayonnaise tourne un tantinet, ce que lui et ses compères apprécient visiblement. Et comme ils sont tous musicalement monstrueux, l’on ne s’ennuie jamais. La présence du trompettiste invité Steve Bernstein sur certains titres rajoute une couche discrète dans la dérision et le fun mais plus encore dans l’excellence musicale car, ne vous leurrez pas ce quartet augmenté est constitué de musiciens de haut vol qui servent une musique affûtée en tout point épatante.

Yves Dorison


www.joefiedler.com


  JEANNE LEE / RAN BLAKE . The newest sound you never heard

A-Side Records

Jeanne Lee : chant
Ran Blake : piano

Jeanne Lee et sa voix sensuelle avec le piano acéré de Ran Blake pour deux heures de musique inédite enregistrée en 1966 et 1967 en Europe, cela méritait une écoute approfondie. Et au cas où vous ne l’auriez pas deviné, cela fonctionne aussi bien que le disque enregistré en 1961. Hypnotiques et denses, ces traces inestimables sorties du néant d’un duo hors norme méritent le détour. Avec son phrasé si particulier et sa capacité de transcendance et d’appropriation des standards les plus éculés, la chanteuse livre là des prestations à la hauteur de sa légende. Ran Blake, avec elle, déploie son jeu impressionniste, de par les couleurs révélées, et extrêmement contemporain dans le traitement. De brisure en relance, d’écart en saut de côté, les deux musiciens semblent par moment se chasser l’un l’autre sans jamais vouloir se séparer complètement. Leur musicalité est presque féroce quand elle plonge dans l’expression de chaque mot en apportant une variété incessante à une dynamique qui décrit le contour de chaque phrase avec une douceur limpide. Les chansons qu’ils interprètent dans cet album sont autant de tableaux bourrés d’imagination et d’intuition qui flottent avec précision dans une profondeur inaccoutumée. Le clair-obscur leur sied, l’atemporalité aussi. C’est un univers unique, presque mystique, que celui de Ran Blake et Jeanne Lee, un territoire en soi, d’un raffinement ultime et d’une tangible originalité, qui leur est commun, comme par magie. Et la magie opère dans les vingt-cinq titres exhumés à la façon aventureuse qui fut la leur dès les premières notes de leur fructueuse collaboration.

Yves Dorison


https://ranblake.com/
https://en.wikipedia.org/wiki/Jeanne_Lee

[1Matthias Ruëgg fut le fondateur et directeur du Vienna Art Orchestra pendant plus de trente ans, dont Franck Tortiller était l’un des membres de ses pupitres pendant dix ans.