A cheval entre deux mois, une vingtaine de disques qui méritent le détour. Histoire de se dérouiller les oreilles quel que soit le genre abordé.
| 00- FRANÇOIS RIPOCHE . Happy Moody
| 01- CHRISTOPHE MARGUET . Happy Hours - OUI !
| 02- SATOKO FUJII ORCHESTRA NEW YORK . Entity - OUI !
| 03- CARAVAGGIO . Tempus fugit
| 04- ALEXANDRE HERER . Nunataq
| 05- SINNE EEG & THE DANISH RADIO BIG BAND . We just begun
| 06- HENRI TEXIER . Chance
| 07- PREVITE - SAFT - CLINE . Music from the early 21st century - OUI !
| 08- CHARLES LLOYD . 8 Kindred spirits - OUI !
| 09- SEBASTIEN LOVATO . For Virginia
| 10- AMANDA GARDIER . Flyover country
| 11- REVERSO . The melodic line - OUI !
| 12- JEAN PIERRE COMO . My little Italy
| 13- DANIEL ROMEO . The black days session #1
| 14- JEAN-MARC FOLTZ . Wild beasts
| 15- BARRON / HOLLAND / BLAKE . Without deception - OUI !
| 16- LARA DRISCOLL . Woven dreams
| 17- BLESING / TOCANNE . L’impermanence du doute
| 18- NIKOLOV-IVANOVIC UNDECTET . Frame & Curiosity
| 19- ANDREAS SCHAERER - HILDEGARD LERNT FLIEGEN . The Waves Are Rising Dear ! - OUI !
Black & Blue
Steve Potts : saxophones alto et soprano
Glenn Ferris : trombone
Louis Sclavis : clarinettes
Simon Goubert : batterie
Darryl Hall : contrebasse
Geoffroy Tamisier : trompette
François Ripoche : saxophone ténor
François Ripoche se dit saxophoniste-bricoleur et jazzman. Cet activiste de la fine équipe du jazz nantais n’est pas un triste (en bon copain de Philippe Katerine, le chanteur !). Il nous a toujours proposé des projets réjouissants et cet "Happy Mood !" ne dépare pas dans sa discographie. La bonne humeur et l’humour sont effectivement au rendez-vous.
C’est un joli exploit de rassembler un tel all stars (comme on dit là-bas, en Trumpie) pour un disque. Le mieux, c’est que l’aventure continue sur scène. Réunir Louis Sclavis et Glenn Ferris ce n’est pas rien. Steve Potts est une vieille connaissance (souvenir du Jazzophone Quartet avec Potts dans l’herbe à Jazz sur Lie 2004 !). Geoffroy Tamisier est issu du même terroir ligérien. Darry Hall et Simon Goubert, rythmique ardente, entretiennent le feu collectif. Cet ensemble sans instrument harmonique a la générosité d’une fanfare qui célèbre le jazz, le swing fraternel sans frontières. Un beau message d’espoir et d’humanité. Une sorte de workshop « à la Mingus » (Music Matador d’Eric Dolphy y fait penser). François Ripoche a apporté la matière musicale (des compositions sobres et efficaces qui swinguent à chaque note). Il a emprunté Auprès de mon arbre à Brassens outre le Matador de Dolphy. Une joyeuse corrida sans mise à mort qui impulse une irrépressible envie de vivre.
Thierry Giard
Mélodie en sous-sol - L’Autre Distribution
Christophe Marguet : batterie, compositions
Hélène Labarrière : contrebasse
Julien Touéry : piano
Yoann Loustalot : trompette, bugle
Savourer la joie et le bonheur des moments partagés dans le plaisir du jeu collectif peut aller de pair avec une conscience claire des désordres du monde. Christophe Marguet l’a toujours prouvé dans ses propres projets longtemps présentés sous l’intitulé de Résistance poétique. Pour Happy Hours, il aborde la vie et la musique dans un superbe jeu de couleurs à travers des compositions qui invitent à l’engagement dans le jeu collectif. Incontournable rythmicien complice de tant de musiciens aujourd’hui, il a constitué un quartet soudé par l’amitié "qui prend une direction commune avec des personnalités affirmées" (C. Marguet). Avec Yoann Loustalot, il partage le projet de groupeOld and New Songs (quartet). La sensibilité mélodique de ce musicien, la chaleur de sa sonorité, son approche globale du jazz collent parfaitement à ce projet qui prend aussi, souvent, la forme d’hommages (à Don Cherry, Paul Motian mais aussi à Cédric Herrou, le paysan humaniste résistant). Hélène Labarrière rejoint ici son "vieux copain" (dit-elle) pour souder une rythmique pleine de vitalité. Julien Touéry trouve dans ce quartet une belle occasion d’affirmer la maturité de son jeu de piano, quelque part entre Joachim Kühn (le flux intense du discours) et McCoy Tyner (la densité rythmique). Il se dit sensible à la forme de joie teintée parfois de mélancolie qui se dégage des compositions et il le restitue avec finesse.
Voilà donc un disque qui dégage une puissante impression d’optimisme et de lucidité qui nous invite à vivre pleinement les moments heureux qui s’offrent à nous. Une réussite indiscutable !
Thierry Giard
wikipedia.org/Christophe_Marguet
Satoko Fujii : direction, compositions
Oscar Noriega, Briggan Krauss : saxophone alto
Ellery Eskelin, Tony Malaby : saxophone ténor
Andy Laster : saxophone baryton
Natsuki Tamura, Herb Robertson, Dave Ballou : trompette, bugle
Curtis Hasselbring, Joe Fiedler : trombones
Nels Cline : guitare
Stomu Takeishi : basse
Ches Smith : batterie
"Quand je compose, je travaille déjà avec l’orchestre même si je suis à Tokyo et qu’ils sont à New York. Est-ce étrange à dire ?". La pianiste-compositrice-improvisatrice japonaise Satoko Fujii a constitué cet orchestre new-yorkais en 1997 en conservant pratiquement la même équipe à quelques exceptions près. Cette connaissance mutuelle lui permet d’écrire pour chaque soliste. Et quels solistes ! Un vrai banquet de personnalités influentes du jazz créatif aujourd’hui. Après Fukushima (lire ici...) en décembre 2017 avec sa dimension humaine et écologique, elle se tourne pour "Entity" vers des concepts bouddhistes. "Je n’ai pas une connaissance approfondie du bouddhisme mais j’ai appris que Bouddha avait l’idée des particules élémentaires des siècles avant que les physiciens ne les découvrent. Le concept m’a inspiré pour ces compositions." explique Satoko Fujii qui délaisse cette fois encore le piano pour se consacrer à la direction de l’ensemble sur ses compositions. Entre les tutti puissants, les lignes mélodiques escarpées jouées en collectif, elle libère des espaces d’improvisation individuels très ouverts. Tous ces musiciens ont du caractère, des idées et savent s’intégrer au discours collectif pour les affirmer. Il en résulte une œuvre éminemment contemporaine d’une grande puissance libertaire, engagée sur le plan artistique mais passionnante de bout en bout.
Rappelons tout de même que Satoko a aussi un orchestre à Berlin, à Tokyo, à Kobe et se pose souvent en France pour travailler avec ses amis lillois du collectif Muzzix ou dialoguer avec le percussionniste Ramon Lopez... Le monde est petit pour cette grande musicienne !
Thierry Giard
satokofujii.com/satoko-fujii-orchestra-new-york . www.librarecords.com
Eole Records
Bruno Chevillon : basse, contrebasse, électronique
Eric Echampard : batterie, percussions, pad
Benjamin de La Fuente : violon, guitare électrique ténor, Mandocaster, électronique
Samuel Spighicelli : orgue Hammond, synthétiseurs, sampler
Invité :
Serge Teyssot-Gay : guitare (6)
Le groupe Caravaggio existe depuis plus de quinze ans. La musique protéiforme qu’il propose est à un carrefour où de nombreux chemins se croisent. Il y en a tant qu’elle n’appartient à aucun. Bref, elle s’appartient et l’identité qui en découle possède une dominante aventureuse. Fortement structurée et faisant souvent écho à un genre de sonorité que l’on qualifiera de post-industrielle, elle privilégie l’exploration avec une obstination notable. Les ambiances développées par les musiciens font une large part à une lourdeur sombre dans laquelle se meuvent des lignes mélodiques susceptibles (chacun verra midi à sa porte) de créer des images mentales plus ou moins agréables ou anxiogènes. Il nous a en effet semblé que tout dans cette musique originale avait l’apparence d’une bande son créatrice de paysages aussi bien organiques que mécaniques et que ces derniers s’autoalimentaient en fonction des orientations choisies par le groupe. Est-ce une sorte de bête étrange venue d’ailleurs qui porterait un regard dubitatif sur un monde inapproprié ? Nous ne savons pas. Nous avons écouté et conclu qu’il y avait là une forme de proto rock innovateur très écrit plutôt qu’une forme de jazz rock tel qu’on a l’habitude de penser le terme. Mais peu importe, la musique fait ses vies comme elle l’entend et l’auditeur fait ses choix.
Yves Dorison
Onze heures onze
Alexandre Herer : Rhodes, synthétiseurs
Gael Petrina : guitare basse
Pierre Mangeard : batterie
La musique d’Alexandre Herer dans cet album est dotée d’une personnalité froide. C’est voulu. Dans cette optique, c’est réussi. Les atmosphères se succèdent avec une constance qui semble vouloir tenir l’auditeur à distance. Peut-être est-ce pour le forcer à l’écoute approfondie. Souvent appuyée sur des rythmes hachés, la musique du trio se concrétise en circonvolutions aériennes qui laissent entrevoir un monde allégorique où domine un bleu réfrigérant (pas un bleu Klein). D’une tonalité assez angoissante, chaque morceau apporte son lot d’interstices où navigue une sorte d’absence fondamentale. Nous ne sommes pas rentrés dans cet univers musical car il nous a paru presque déconnecté de l’humain. D’autres le feront à notre place avec plus de bonheur.
Yves Dorison
http://www.onzeheuresonze.com/project/alexandre-herer-nunataq
Stunt Records
Line-up sur le disque ou en ligne, merci !
Prenez une chanteuse très expérimentée (que l’on aime écouter en duo) et donnez-lui un big band huilé comme un moteur de Rolls avec des arrangements aux petits oignons et non dénués d’intérêt. Juste pour voir. Dès le début, l’on sent bien le plaisir qu’elle prend à propulser son art vocal dans ce contexte. Sa tenue de voix, le filet de raucité qu’elle contient, sa science du placement, font que sur chaque morceau tout passe comme sur des roulettes. Cela se passe tellement bien qu’au bout de quelques morceaux la maîtresse de maison tient la baraque avec une poigne de fer et bien sûr un gant de velours. Sachant que Sinne Eeg sait habiter une chanson, le big band semble de fait lui obéir. Il est d’ailleurs excellent ce big band oscillant entre classicisme et modernité, notamment grâce à des solistes inspirés qui relaient efficacement la chanteuse. Que cette dernière aborde des compositions originales ou des standards choisis avec goût, elle s’approprie leurs univers respectifs avec les qualités qu’on lui connait, notamment un scat toujours parfaitement géré. Si l’on ajoute à tout cela que l’enregistrement est d’une exceptionnelle clarté, l’on obtient suffisamment d’atouts pour faire un très beau disque de jazz qui trouve sans peine sa place sur nos étagères.
Yves Dorison
Label bleu
Henri Texier : Contrebasse & compositions
Vincent Lê Quang : saxophones
Sébastien Texier : saxophone alto & clarinette
Manu Codjia : guitare
Gautier Garrigue : batterie
En homme libre sûr de son fait, Henri Texier continue d’arpenter les territoires connus de l’inconnu. Avec le son caractéristique qui est le sien, mâtiné par les années, et l’univers mélodique qui lui est propre, il perpétue son histoire musicale, celle d’une vie de musicien avec son itinérance, ses doutes, ses joies et ses rencontres. Les paysages sont bien là, avec cette ambiance pétrie de grands espaces où soufflent les vents de liberté qui animent le contrebassiste depuis toujours. Parfaitement accompagné, mais l’on sait depuis longtemps qu’il maîtrise l’art du casting, il propose dans ce nouvel album une autre lecture de sa musique, musique qui ne manque aucunement de puissantes envolées lyriques et de moments plus intimistes. C’est en toute occasion chaleureux, bourré d’humanité sensible et somme toute empli d’une positivité exempte de naïveté. Henri Texier cherche et découvre encore, avec un désir toujours renouvelé, un insatiable appétit, le fil musical sur lequel il s’exprime depuis quelques décennies. En fait, c’est un disque de jeune sage.
Yves Dorison
http://www.maitemusic.com/Henri-Texier
RareNoiseRecords
Bobby Previte : batterie, percussions
Jamie Saft : Orgue Hammond, Fender rhodes, Minimoog
Niels Cline : guitare, effets
Les trois musiciens qui composent ce trio sont des adeptes biens identifiés de la recherche sonique tendance no limit. Cet enregistrement public le prouve une fois de plus. Rien n’est écrit et tout se passe dans l’instant. Quelques genres musicaux sont passés en revue mais c’est le bruitisme qui l’emporte. Tout est organique et empathique entre ces trois-là. Alors que leurs explorations s’attachent à un jazz presque classique où qu’elles percutent de plein la fureur du rock, elles définissent des formes d’improbabilités musicales qui n’appartiennent qu’à eux. Et au milieu de ce que certains prendraient pour un joyeux bordel, coule une vitalité sonore et mélodique hors du commun qui se déchire sur les angles aigus du geste improvisé. Pas de garde-fous, juste une urgence d’approfondissement dans un espace immesurable. No limit disions-nous. Cela ne signifie pas que Previte, Saft et Cline font n’importe quoi ; ils savent faire en défaisant dans un processus d’attraction / répulsion une musique unique d’une abyssale profondeur et d’une densité peu commune. En un mot : alchimique. Et les martiens n’ont qu’à bien se tenir.
Yves Dorison
Blue Note
Charles Lloyd : saxophone
Julian Lage : guitare
Gerald Clayton : piano
Reuben Rogers : contrebasse
Eric Harland : batterie
Invités :
Booker T. Jones : orgue
Don Was : basse
Enregistré en public pour célébrer ses 80 printemps, l’année dernière, cet album présente un Charles Lloyd en pleine forme et toujours créatif. Interrogé sur son ressenti actuel, voici ce qu’il répond à un journaliste : « Aujourd’hui, j’apporte avec moi tout ce que j’ai déjà joué, mais je le fais avec un esprit de débutant. De cette façon, je profite à la fois de l’expérience et de l’envie de faire de nouvelles découvertes. Certaines nuits, je suis béni et les divinités me rendent visite. On ne peut pas apporter tout ce qu’on connaît en même temps, car c’est l’erreur de la jeunesse. Il faut choisir les bonnes notes, mais je constate que même maintenant je trouve de nouvelles notes que je n’avais jamais eues auparavant. » Cqfd. Dans cet album en forme de florilège ultime de son univers, le saxophoniste et ses amis font revivre des thèmes qui puisent à tous les genres et qu’ils magnifient avec une sorte de sérénité créative qui pousse l’auditeur à l’onirisme. La musique de Charles Lloyd est toujours plus le moyen de transport le plus sûr vers des confins où l’inédit se révèlent dans une approche toujours renouvelée des paysages mystiques qui l’habitent. Si l’on ajoute que le casting de luxe réuni lors de ce concert dans sa ville natale est à la hauteur de l’événement, on vous donne une bonne idée du plaisir que vous aurez à écouter ce disque.
Yves Dorison
Acel
Sébastien Lovato : piano, fender rhodes
Antoine Berjeault : trompette, bugle
Yves Torchinsky : contrebasse
Luc Isenmann : batterie
Invités :
Brunehilde Yvrande : voix
Manu Codjia : guitare
Dans ce troisième volume des « Music boox », au travers des deux ouvrages de Virginia Woolf, Mrs Dalloway et The Waves (en français, Les vagues), Sébastien Lovato rend un hommage à l’autrice anglaise qui s’appuie sur la parenté entre son style d’écriture et l’improvisation jazz. A l’écoute, la musique est d’une grande fluidité (une des particularités de l’écriture woolfienne) et les interventions de Brunehilde Yvrande, dont la diction remarquablement claire permet la compréhension du texte, sont en phase avec l’ensemble. Il va cependant de soi que pour pleinement profiter de ce beau travail, il vous faudra maîtriser la langue du Brexit. Fichtrement mélodique, le disque de Sébastien Lovato et des ses collègues musiciens donne à écouter des climats denses liés par un lyrisme omniprésent à l’instar du propos initial du projet. Virginia Woolf disait que « la vie est un rêve » et que « c’est le réveil qui nous tue ». Ce disque devrait réveiller en vous le désir de lire (ou relire) cette autrice majeure de XXème siècle. Ce n’est pas rien.
Yves Dorison
Green minds records
Amanda Gardier : saxophones alto et soprano
Ellie Pruneau : piano
Brendan Keller-Tuberg : contrebasse
Carrington Clinton : batterie
Soliste remarquée, la saxophoniste et compositrice Amanda Gardier trace son chemin avec constance. Ses compositions sont le plus souvent un mélange savant de riches harmonies et de mélodies aux schémas répétitifs qui se greffent sur des rythmiques complexes. C’est à l’écoute assez dense pour retenir l’attention de l’auditeur. La native d’Indianapolis sait faire dans le raffinement en se gardant de toute emphase déplacée. Un peu « Bad plus » aux entournures, entre autres, la richesse de son jeu rappelle cependant plus Miguel Zenon qu’aucun autre. Ardente dans l’improvisation, elle affiche une forte personnalité musicale et le trio qui la soutient enrichit son propos de par sa parfaite homogénéité et une énergie continue. C’est donc d’un jazz actuel qu’il s’agit, un jazz aux structures complexes mais qui demeure lisible. Il y a pas de groupe de cet acabit aux États-Unis ; il nous semble néanmoins que Amanda Gardier possède les atouts pour se démarquer de la concurrence.
Yves Dorison
Out Note records
Frank Woeste : piano
Ryan Keberle : trombone
Vincent Courtois : violoncelle
En s’intéressant de près au groupe de six compositeurs français du début du XXème siècle, parmi lesquels Darius Milhaud dont un des derniers élèves s’appelait Brubeck, Honneger, Poulenc, Tailleferre, etc, le trio Reverso tente une fois de plus la synthèse entre classique et jazz. Puisant dans le génome musical de ces compositeurs, ils ont (re) créé un monde musical qui leur est propre, une musique de chambre aux sonorités élégantes, emplie de rais lumineux apaisants. Nombre de jazzmen ont essayé de mêler Jazz et classique (ou l’inverse) avec plus ou moins de bonheur. Dans le cas qui nous occupe, le trio est bien au-dessus du lot. Leurs mélodies, dont l’écoute marque clairement leur double appartenance, sont ciselées si finement et avec tant d’originalité que l’on ne peut pas les comparer. Elles viennent d’un ailleurs lointain, porte intrinsèquement ses fruits, mais ne sont qu’elles, dans toute leur singularité. Leur temps s’étire sans contrainte et l’auditeur ne peut que décrocher de sa réalité ambiante. Quant à la résonnance chaleureuse entre les trois instrumentistes, elle magnifie ce travail d’orfèvre et définit un cadre intime où leur musique vit, et nous avec.
Yves Dorison
Bonsaï
Jean-Pierre Como : piano
Walter Ricci : chant
Felipe Cabrera : contrebasse (1,2,4,6,8,11)
Rémi Vignolo : contrebasse (3,5,7,9,10)
André Ceccarelli : batterie
Mino Garay : percussions (2,4,6,8,9,10)
Invités :
Louis Winsberg : guitare (7,9)
Christophe Lampidecchia : accordéon (8)
Si vous aimez l’Italie, si vous appréciez que des musiciens ayant un lien racinaire avec ce pays l’abordent en musique, alors cet album est fait pour vous. Jean-Pierre Como et Walter Ricci, à l’avant du navire, marient leurs cordes et réinventent par la composition une autre vue de notre voisine transalpine. Il ne s’agit donc pas de reprendre « Bella ciao » une énième fois, mais bien de porter un regard sur cette contrée méditerranéenne, un regard imaginaire, plus proche du rêve, qui permet aux musiciens une évocation distancié et intime à la fois. Ce disque est par conséquent plein de lumière, de senteurs, et l’on peut l’écouter en laissant le temps s’alanguir dans une moelleuse chaleur. Le timbre chaud de Walter Ricci s’accorde parfaitement à cette mémoration diablement suggestive. Alors, accompagné par des cadors, le chanteur napolitain n’a qu’à faire filtrer l’imagination afin de vous faire entrapercevoir toute les tendres douceurs de l’humanité latine. Hum… Sexy ?
Yves Dorison
Cqfd
Daniel Roméo : basse
Arnaud Renaville : batterie
Eric Legnini : Fender rhodes
Julien Tassin : guitares
Christophe Panzani : saxophones
+ invités
Le bassiste belge est depuis toujours entre deux mondes, la pop et le jazz. The black days session doivent leur nom à une période de la vie du musicien assombrie par des décès. Avec un line-up de qualité (c’est le moins que l’on puisse dire), il propose un jazz souvent funky et pour l’essentiel groovy qui ne manque pas d’hybridation. N’ayant écrit que les thèmes, lui et ses acolytes enregistrèrent les morceaux en live dans le studio en laissant la part belle à l’improvisation. On le sent à l’énergie qui se dégage de l’ensemble tout au long du disque. A noter que c’est le deuxième album solo de Daniel Roméo, vingt-quatre ans après le premier. Pour ceux qui aime ce type de musique, ce Cd sera un vrai bonheur tant sa musique parait sincère et maîtrise parfaitement les codes du genre. Pour les autres, c’est à découvrir sans œillères.
Yves Dorison
https://www.cdzmusic.com/release/daniel-romeo/
Vision fugitive
Jean-Marc Foltz : clarinettes
Philippe Mouratoglou : guitares
Sébastien Boisseau : contrebasse
Christophe Marguet : batterie
Les bêtes sauvages de cet enregistrement font référence au travail du photographe Nicolas Bruant réalisé en Afrique à partir duquel le clarinettiste a écrit ses compositions. Avec une part d’animalité, un part de rêve et un soupçon de spiritualité, les quatre musiciens de ce quartet acoustique nous racontent des histoires en forme de portraits musicaux faisant partie intégrante d’un univers paysager plus vaste, bien plus vaste. Sur des rythmiques propices à l’interrogation, les mélodies développées tissent des fils sonores que notre imaginaire peut interpréter à sa guise sans nuire au discours musical original. C’est conséquemment une musique forte, quasi initiatique, qui interpelle l’auditeur sans jamais faillir. Avec des musiciens redoutables d’inspiration, de précision et de finesse, habitués à jouer ensemble, la musique de cet album porte haut les couleurs d’un jazz contemporain exigeant mais jamais abscons, expressif et empreint d’une sauvage liberté.
Yves Dorison
http://www.visionfugitive.fr/accueil.html#actualite
Dare2 Records
Kenny Barron : piano
Dave Holland : contrebasse
Jonathan blake : batterie
Entre un disque de jazz classique en trio et d’autres disques du même acabit, il existe quelquefois une ou des différences subtiles qui font qu’au final l’un reste et les disparaissent. Est-ce uniquement dû à la science des artistes qui enregistrent ou est-ce une autre chose indéfinissable ou presque ? L’on penche pour la seconde solution. Kenny Barron et Dave Holland appartiennent au cercle restreint des monstres vivants du jazz. Ceci explique peut-être cela et Jonathan Blake sera un jour un monstre du jazz qui se hisse au niveau des ses maîtres. Toujours est-il que ce trio offre à l’auditeur une musique lumineuse, sans effets ostentatoires où l’art de la nuance est porté à son paroxysme. Qu’ils livrent leurs compositions ou fassent vivre celle d’autres grands du genre, le pianiste et le contrebassiste dévoile une empathie épatante enrichie par la présence rythmique brillante du batteur. Tout paraît simple car cette musique est faite d’honnêteté et de simplicité. Entre la fluidité de Kenny Barron et la rugosité charnue de Dave Holland un point de rencontre existe. Il doit s’appeler « amour du jazz » ou quelque chose du genre. C’est lui qui donne à cet album son homogénéité et en font dès sa sortie un classique du trio jazz. Aucunement passéiste, le trois musiciens aiment à fricoter avec les limites et ne nous lassent jamais. En fait, la subtilité est leur fond de commerce et cela fait toute la différence dont nous parlions ci-dessus. Recommandé, bien sûr.
Yves Dorison
Firm Roots Music
Lara Driscoll : piano
Dave Laing : batterie
Paul Rushka : contrebasse
Lara Driscoll est une jeune pianiste Franco-américaine basée à Chicago. Avec son trio montréalais, ville dans laquelle elle vient de finir ses études musicales, elle sort un premier disque que l’on trouve prometteur. Dans une veine contemporaine qui ne renie jamais la mélodie, elle offre à écouter une musique qui se concentre sur le détail. Sa rythmique à une présence discrète qui sied parfaitement au propos de la leader. Tout est très aéré, clair et limpide. Lara Driscoll possède un goût sûr et n’en fait jamais trop. Nous irons même jusqu’à dire qu’elle maîtrise pleinement une économie de moyen qu’elle met au service de sa musique dont le raffinement est patent. Entre ses compositions originales, dont une suite inspiré par Fred Hersch (ce n’est pas la pire des références), et des standards bien choisis (un Autumn in New York réharmonisé de belle facture, entre autres), elle a construit un disque très juste et équilibré où rien ne semble déplacé. C’est un très beau travail de jazz, déjà très abouti, par un trio de jeunes pousses que l’on prend beaucoup de plaisir à écouter.
Yves Dorison
https://www.laradriscoll.com/home
Le Petit Label
Alain Blesing : guitare
Bruno Tocanne : batterie
Alain Blesing et Bruno Tocanne, c’est une rencontre renouvelée qui perdure de décade en décade, pour le meilleur et le meilleur. Dans ce duo, l’on retrouve leurs fondamentaux : un besoin inextinguible de liberté, une radicalité intelligente et une envie de musique qui donne à l’improvisation toute sa place. Comme toutes les musiques où se mêlent l’intime, l’organique et l’universel, la leur est un creuset où s’élaborent les instants nécessaires à la durée du dialogue entrepris sous les auspices de l’improbable paysager, de l’incoercible aventureux et du souffle extensible. C’est donc une musique des grandeurs qui se joue dans la confidence amicale car elle s’articule autour de petits éclats atemporels dont on doute de la permanence… Pour citer Jacques Lacarrière (1925-2005), c’est une sorte de pays sous l’écorce, un repaire où les esprits libres peuvent réinventer un monde meilleur qui leur appartient en propre mais qu’ils aiment à partager avec les sensibles, les écorchés, les taiseux, les joyeux, et tous les autres aussi car, après tout, quand on est libre, on n’est pas sectaire et il est donc difficile de se taire. Et la parole militante passant aussi par la musique, point n’est besoin de la faire commerciale pour la rendre audible aux gens de bonne volonté. Il s’agit donc d’une richesse à redistribuer sans compter.
Yves Dorison
https://www.imuzzic-brunotocanne.com
MoonJune Records
Vladimir Nikolov : piano, compositions, arrangements
Srđan Ivanovic : batterie, compositions
Luka Ignjatović, Kristijan Mlačak, Đorđe Kujundžić : anches
Marko Đorđević : trompette, bugle
Teodor Blagojević : cor
Vladimir Vereš : trombone
Miloš Budimirov : tuba
Mihail Ivanov : basse
Noé Clerc : accordéon
+ Malik Mezzadri (alias Magic Malik) : flûte, voix
C’est Noé Clerc qui ouvre ce disque à l’accordéon en évoquant la musique des Balkans. Il se retrouve tout comme l’invité Magic Malik second français dans cet ensemble qui nous vient de Serbie. Cet Undectet séduit d’emblée avec ce disque tout beau tout chaud publié sur le label new-yorkais MoonJune Records. Les mélodies évoquent souvent les terres d’origine de cette formation à travers les arrangements aérés et subtils. Le pianiste Vladimir Nikolov prouve ainsi qu’il a une bonne connaissance des grands orchestres d’aujourd’hui qui l’inspirent inévitablement, celui de Maria Schneider par exemple. Outre Magic Malik qui sait tenir sa place d’invité sans s’imposer, on découvre, au fil des plages, des solistes qui ne manquent pas d’inspiration. Cette musique colorée, joyeuse, sensible et profonde sait toucher l’auditeur et on souhaite longue vie à cet ensemble que gagnera en maturité avec le temps. Un très bon cru au demeurant à déguster sans modération.
Thierry Giard
www.srdjanovic.com/undectet . horatiosmarketplace.bandcamp.com/frame-and-curiosity
ACT
Andreas Schaerer : voix, compositions
Andreas Tschopp : trombone, tuba
Matthias Wenger : saxophones alto et soprano, flûte
Benedikt Reising : saxophones alto et baryton, clarinette basse
Marco Müller : contrebasse
Christoph Steiner : batterie, marimba
+ Vincent Peirani : accordéon (6)
+ Jessana Némitz : voix (6)
Au milieu de ses montagnes, la Suisse est une marmite où se mitonnent des saveurs parmi les plus fines et corsées du jazz créatif européen. Andreas Schaerer est, en ce moment, le fleuron des musiques inventives helvétiques. Remarquez, nous à CultureJazz, nous avons repéré cet "OVNI" (dixit Yves Dorison) il y a presque une décennie avec ce groupe épatant intitulé Hildegard Lernt Fliegen. Ce titre est en lui-même toute une histoire (cette mystérieuse Hildegard qui apprend à voler...). Il colle bien aux multiples talents de ce chanteur, conteur, acrobate sur cordes vocales et compositeur émérite qu’est Andreas Schaerer. Lors de son passage dans un célèbre festival normand en 2018, il déclarait en interview que cet étonnant sextet (H.L.F.) donnait le meilleur sur scène et préférait les disques "live" mais il annonçait pour 2020 un disque en studio. "Ça va être fort !" disait-il.
Nous y sommes. Les vagues successives qui déferlent sur les neuf plages de ce disque sont autant d’histoires enchaînées, portées par des mélodies addictives. C’est plutôt l’Andreas Schaerer chanteur qui est mis en valeur ici. Ses prouesses vocales se fondent dans un ensemble très cuivré d’improvisateurs capables de slalomer entre les balises de compositions finement travaillées. Écoutez donc Embraced by The Earth avec son côté pop-progressive Andreas Schaerer et Hildegard Lernt Fliegen ont invité pour cette plage Vincent Peirani et son accordéon et la vocaliste Jessana Némitz. Un moment fort d’un disque sans points faibles. Une réussite donc !
Thierry Giard