Ce second volet, qui se ferme sur l’année 2023 et s’ouvre sur 2024, est consacré au label franco-allemand Umlaut, sans doute l’un des plus intéressants et passionnants à l’heure actuelle.
Notre second volet, qui se ferme sur l’année 2023 et s’ouvre sur 2024, est consacré au label franco-allemand Umlaut, sans doute l’un des plus intéressants et passionnants à l’heure actuelle, et l’un des seuls à surprendre voire désarmer l’auditeur en quête de création. Avec ces musiciens véritablement engagés dans ce collectif transfrontalier, l’amateur curieux et exigeant ne sait jamais ce qu’il va découvrir quand il enfile son disque dans le tiroir de son appareil sonore. Et il est servi ! Témoin ces quatre productions aussi étonnantes que diverses qui enrichissent le catalogue de ce label épatant qui encourage la recherche et considère l’auditeur potentiel comme quelqu’un d’intelligent. En témoignent entre autres les feuilles promotionnelles fort bien rédigées et informatives, ce qui nous change des dithyrambes et alignements de références et de superlatifs auxquels plus personne ne peut croire.
La présentation du nouveau disque du Simon Rummel Ensemble en offre un exemple. Je cite : “Ce CD propose une grande variété de musiques différentes : compositions originales entre jazz, chansonnettes et post-romantisme microtonal ; tubes des années 60, classiques marginaux du répertoire jazz (…), une chanson traditionnelle de Biélorussie, une marche de Cologne des années 30, un chant de paix des États-Unis et un morceau dans lequel un lithophone programmable composé de plus de 200 dalles de pierre joue le rôle principal. Le tout dans une approche exécutée de manière délicatement imprévisible, etc.” C’est exactement ça.
Les onze mêmes musiciens nous avaient déjà déroutés à l’écoute de Im Meer, et leur CD inclus dans une enveloppe carrée contenant en vrac des photos et autres documents pliés [1]. Une seule pièce était au programme avec de multiples variations. Ici il y en a treize, dont six chantées, qui se succèdent du coq-à-l’âne durant une heure. L’écriture, serrée et contrastée, les arrangements légers aux couleurs fraîches et les harmonisations fines des instruments disparates, mettent en valeur chaque composition tout en laissant place aux improvisations. Une pochette-surprise où l’on trouve notamment, avec celles de Rummel, des pièces de Misha Mengelberg ou Jimmy Giuffre ainsi que La Tendresse, chanson créée par Bourvil en 1963, et We Shall Overcome, pièces où s’ajoute une chorale d’une trentaine de chanteuses et chanteurs.
Un disque qu’on a envie de réentendre aussitôt après une première écoute. C’est rare ! [2]
Lorsqu’il quitte l’ensemble ci-dessus, on peut dire que le clarinettiste Joris Rühl change de registre ! Il nous propose une suite de 50 minutes en quatre séquences (enchaînées sans index). Intitulée Feuilles, c’est une sorte de longue promenade dans les sous-bois, où le trio clarinettes-accordéon, parfaitement accordé, marche lentement la main dans la main, dans un unisson de longues phrases de notes tenues, avec d’infimes variations de hauteurs, se déployant progressivement dans l’espace. Il faut attendre dix minutes pour que des bruits légers (percussions) s’immiscent à la lisière. Le parcours musical se poursuit lentement, calmement mais avec parfois quelques stridences, un coup de vent, une clarinette qui s’écarte... Tant de subtilité et de simplicité (apparente) conduisent l’auditeur sensible dans une expérience d’immersion. La pure beauté.
Hormis le fait que leur folklore n’est pas “imaginaire” mais bien réel, ce Polonez me rappelle le Marvelous Band à ses débuts, lorsque toute une collection d’instruments de fortune complétaient les “sérieux”. Le quartette franco-polonais Lumpeks, à partir d’un collectage de chants et danses traditionnels polonais effectué par eux-mêmes, en ont choisi une dizaine qu’ils ont reconstruits à leur façon dans une démarche contemporaine laissant s’infiltrer l’improvisation. Le rendu, auquel la chanteuse Olga Kaziel contribue pour beaucoup est totalement d’aspect traditionnel, volontairement brut et rustique. Si l’on n’y cherche pas la moindre once de swing, c’est une curiosité tout-à-fait intéressante... et purement acoustique, cela va de soi.
Après un premier et magnifique travail consacré à à la grande Mary Lou Williams, je n’insisterai pas sur la qualité, unanimement reconnue et encore une fois vérifiée, du travail de Pierre-Antoine Badaroux et son Big Band devenu Umlaut Chamber Orchestra pour l’occasion, du fait de la présence de onze cordes. Yves Dorison l’a fait avant moi [3]. Mais il n’est pas inutile d’insister sur le fait que cette Zodiac Suite, composée comme une série de douze portraits d’amis musiciens et personnalités (plus une courte introduction) par la pianiste Mary Lou Williams en 1945 [4], est quasiment une première mondiale que tout amateur de jazz quel qu’il soit se doit d’avoir entendu. D’autant que c’est superbement joué, ce dont on se serait douté..
Voila le plus bel exemple d’une œuvre datée (1945) qui est devenu d’actualité en 2023 pour être écoutée en 2024 et rester dans l’Histoire !
> Simon Rummel Ensemble & La Chorale Transcendentale : “Singinging“ - Umlaut UMFR-CD39
Udo Moll (trompette), Matthias Muche (trombone), Carl Ludwig Hübsch (tuba, vocal), Lucia Mense (flûte à bec), Joris Rühl (clarinettes), Georg Wissel (saxophone alto, clarinette), Radek Stawarz (violon), Oxana Omelchuk (claviers casio DM-100, harmonium, vocal), Ketonge (electronics, vocal), Michael Griener (batterie), Simon Rummel (piano, harmonium, mélodica, vocal) + La Chorale Transcendentale (32 chanteuses et chanteurs, dir. Simon Rummel & Norman Eric Kunz).
Cologne, 26 & Moers, 29/05/2023
> Joris Rühl : “Feuilles” - Umlaut UMFR-CD46
Joris Rühl (clarinette, composition), Xavier Charles (clarinette), Jonas Kocher (accordéon), Toma Gouband (percussions).
Mésanger (44), 11/2022
> Lumpeks : “Polonez” Umlaut UMFR-CD44Louis Lorrain (cornet, appeaux, boîte à bourdon), Pierre Borel (saxophone alto, cabasa), Sébastien Beliah (contrebasse, basy, clarinette, boîte à bourdon), Olga Kaziel (chant, bebenek obreczowy, baraban, trompette) + Maria Stepien (violon).
Varsovie, 28/02 & 02/03/2023
> Umlaut Chamber Orchestra : “Zodiac Suite” - Umlaut UMFR-CD45
Chloé Tallet (flûte), Guillaume Retail (hautbois), Geoffroy Gesser (clarinette, clarinette basse, saxophone ténor), Pierre Fatus (basson), Brice Pichard (trompette), Harmonie Moreau (cor), Michaël Ballue (trombone), Stéphanie Padel, Florian Perret, Émilie Sauzeau, Raphaël Coqblin, Clémentine Bousquet, Clara Jaszczyszyn, Lucie Pierrard (violon), Elsa Seger, Valentine Garilli (alto), Myrtille Hetzel, Pablo Tognan (violoncelle), Matthieu Naulleau (piano), Sébastien Beliah (contrebasse), Antonin Gerbal (batterie), Agathe Peyrat (vocal sur 13), Pierre-Antoine Badaroux (direction).
[1] Voir Culture Jazz “Une autre petite pile de disques” - 10/01/2018
[2] Lire aussi la chronique de ce disque dans "Jazz en Bandes Organisées : la grande forme ?" - 8 novembre 2023 - par Thierry Giard
[3] Voir Culture Jazz “Umlaut Chamber Orchestra +” par Yves Dorison – 17/11//2023 OUI !
[4] Extraits enregistrés en 1945 (et une première imprécise au Town Hall non publiée), 1946 au Carnegie Hall avec 70 musiciens, 1957 à Newport avec l’orchestre de Dizzy Gillespie (voir Mary Lou Williams, Frémeaux FR 5449)...