Les courants alternatifs de notre Hexagone mesurés avec curiosité par Jean Buzelin...
Pas de critique, pas d’analyse, mais l’intérêt et le plaisir de l’écoute, et une invitation à la partager.
Ces deux productions de l’ARFI sont une nouvelle illustration du grand écart que se permet le folklore imaginaire. « Labyrinthe d’une ligne » initié par “l’électronicien” du groupe depuis 1988, Xavier Garcia, de pousser ses recherches électroacoustiques, sinon plus loin, du moins dans une autre direction que le duo Actuel Remix avec Guy Villerd et totalement indépendante de toute référence au jazz, même au sens large. En compagnie d’un autre partenaire, Lionel Marchetti, avec lequel il travaille depuis dix ans, un poème de ce dernier a été mis en ondes avec l’apport de deux chanteuses, Caroline Gesret et Laura Tejeda Martin. S’inspirant des méthodes de la musique concrète de Pierre Schaeffer, ils ont bâti une œuvre sonore où le travail de studio se conjugue avec l’interprétation vivante, laquelle trouve toute sa place dans l’espace. Une réalisation très soignée. « Labyrinthe d’une ligne » (ARFI AM075).
A contrario, « Chant Général » s’inscrit dans un “minimalisme acoustique” dont se souviendrons les vieux familiers de l’ARFI, ceux qui ont connu les débuts du Marvelous Band par exemple. Un air de (grande) famille, diront-ils. L’initiative de cette réalisation, dont le titre renvoie au Canto General de Pablo Neruda, revient au trio Olivier Bost (trombone), Clément Gibert (clarinette basse) et Clémence Cognet (violon et voix), laquelle a justement adapté les paroles de Neruda. Ensemble les trois, qui avaient déjà commis « La Bête à sept têtes » en 2018 (AM066), se partagent les quinze compositions – les quinze chapitres de Neruda – ou arrangements d’airs traditionnels, et reçoivent autant d’invités vocalistes, chanteurs ou chanteuses, sur chacune d’elles. Tout cela évolue dans un climat intimiste et dépouillé, les arrangements très fins, malgré l’instrumentation réduite, offrant une belle et subtile gamme de couleurs. Et, en finale, la “nouvelle” Marmite Infernale au grand complet qui joue, chante et défile dans nos oreilles !. Un beau témoignage d’ouverture et de communication. La marque de l’ARFI. « Chant Général » (ARFI AM076)
Continuons avec la nouvelle fournée des “Fou” qui commence par un autre minimalisme, cette fois du genre bruyant : 21 minutes d’un rock free déchirant en trois Morceaux remplis jusqu’à ras bord par la guitare électrique – et comment ! – de Jean-François Pauvros et appuyée de façon obsédante par la batterie de Gilbert Artman. Et où se trouve Jac Berrocal dont on perçoit brièvement, s’échappant du vacarme, quelque sonnerie d’embouchure de trompette ? Fondé par Berrocal autour de 1980, Catalogue était un trio dans sa version brute, mais aussi accueillait d’autres musiciens pour des projets plus ambitieux. La pochette étant vierge de toute information, Jean-Marc Foussat, qui a enregistré et publié ce disque, nous dira-t-il où et quand cette performance en studio a eu lieu ? Un disque radical. « Assassins » (Fou Records FR-CD 64).
Jac Berrocal était à Copenhague en octobre 2020 pour le Sparking Sound Festival au milieu de plusieurs musiciens expérimentaux : Vincent Epplay, (synthé, sampler), Tanja Schlander (vocal), Jorgen Teller (vocal), etc. Deux « Sparkling Sessions » composent ce disque, l’une en quartet enregistrée en studio, l’autre le lendemain en septette pour un concert. Dans les sept pièces élaborées en studio, le trompettiste survole une nappe sonore complexe, où l’occupation spatiale permet des échanges. Les trois pièces du concert donnent une large place aux vocaux de la chanteuse qui vont de la récitation aux hurlements, la trompette tirant avec à-propos son épingle du jeu. « Sparkling Sessions » (Fou Records FR-CD 60).
Voilà un disque très touchant que nous offre le batteur Luc Bouquet. Il raconte la belle histoire des bals clandestins durant l’Occupation lorsque son père batteur animait, avec son collègue accordéoniste, les dimanches après-midis des villages des Alpilles avec tous les risques que cela comprenait. Entourées par des Préparatifs et un Retour au son de l’harmonica, Luc Bouquet, avec ses tambours, a magnifiquement réussi à faire passer ce rai de lumière entre les mailles d’une époque sinistre.à travers quatre compositions spontanées, riches, colorées, retenues (prudentes ?) qui portent le nom des villages. Un bel hommage dans un langage contemporain et une réussite absolue. « au Bal clandestin » (Fou Records FR-CD 57)..
Deux longues pièces composent le disque de ce Quartet un peu Tendre qui réunit le fameux “duo siamois” Kristoff K. Roll et leur dispositif électroacoustique, et l’autre duo, pas tout-à-fait de circonstance, Sophie Agnel au piano et Daunik Lazro au saxophone baryton pour une confrontation électro et acoustique en deux temps [voir « Actions Soniques » in“Jazz ou pas jazz”- 08/12/18]. La première pièce est une émission enregistrée par France Musique au Carreau du Temple à Paris en décembre 2020, la seconde un concert donné à Saint-Nazaire en novembre 2021. Résultat d’un travail très élaboré et extrêmement soigné, la création radiophonique s’avère particulièrement réussie. On va bien au-delà de l’environnement sonore. Quant au concert, plus éclaté et spontané (sinon moins construit), il offre quantité d’ouvertures dont profitent Agnel et Lazro qui jouent admirablement le jeu. L’œuvre se déploie en plusieurs parties qui s’enchaînent avec une grande précision. Quelques temps faibles, parfois, permettent de relancer la machine et ouvrir vers de nouvelles directions. Ensemble, les quatre musiciens ont réalisé une performance magnifique et très originale.« Quartet un peu Tendre » (Fou Records FR-CD 63).
Jean-Marc Foussat (Synthi AKS, voix et jouets) retrouve Xavier Camarasa (piano et Fender Rhodes) [voir “Une autre petite pile de disques" - 30/01/18] sur trois suites composées à partir de deux concerts, l’un à Bordeaux, l’autre à Toulouse en juin 2023. S’ajoute au concert toulousain la présence singulière d’un saxophone-basse joué par Marc Maffiolo. Un ensemble très compact pour une musique forte, dense et très ouverte, avec toujours cette notion d’espace que permet l’électronique, et une capacité d’écoute et d’attention exceptionnelle. Une même attention est demandée à l’auditeur pour se rendre compte de la richesse de cette musique. « Seuil de Feu » (Fou Records FR-CD 58).
Fidèle en amitiés et complicités musicales, Jean-Marc Foussat renouvelle sa collaboration avec le saxophoniste Guy-Frank Pellerin [voir “Au FOU !" - 28/12/23] ; le duo invitant le guitariste Eugenio Sanna (qui manipule également divers objets) sur les quatre improvisations jouées lors d’un concert en Italie. La musique se pose, progresse lentement, le saxo-ténor en offrant l’assise. Viennent des éclats, des enchaînements, des rythmes… autant de séquences variées, Pellerin utilisant également le soprano et le baryton. Un disque plus “détendu” que le précédent. « Escale » (Fou Records FR-CD 59).
Max Atger est un jeune saxophoniste-alto qui a étudié à Avignon et Aix-en-Provence, se produit dans la région et a des responsabilités dans la Compagnie Nine Spirit. Sa route a donc croisé celle du pianiste Sébastien Lalisse très actif dans le secteur et un disque que l’on sent pensé et bien préparé est né du trio que complète le contrebassiste Pierre-François Maurin. Le jeu de l’alto ressenti, intériorisé se frotte donc à l’autorité de l’accompagnement du pianiste qui, comme à son habitude, joue la note “juste”, exactement placée et respectueuse de l’univers du saxophoniste. Atger est le compositeur principal des onze thèmes, chacun ayant mis la main à la pâte pour le reste. Une belle réalisation de jazz actuel et l’annonce d’un potentiel. « Refuge » (Free Monkey Records FMR 014).
Directement de la boîte aux lettres au lecteur CD, voilà une conclusion qui arrive in-extremis ! Il s’agit d’un duo de guitare électrique qui réunit deux amis de deux générations différentes, Philippe Deschepper et Noël Akchoté, mais avec nombre d’affinités et de goûts en commun. Alors qu’ils ont joué avec les uns comme avec les autres, ils ont mené des parcours différents et ne s’étaient jamais trouvé face à face. Or, l’entente est immédiate. Ils ont orienté leur répertoire vers une famille de musiciens : Paul Motian, Steve Swallow, Ornette Coleman, auxquels on ajoutera Henri Texier à qui ils dédient une de leurs compositions. Leur dialogue est vif, spontané, les échanges complexes quoique très lisibles – ils sont tous deux adeptes de la “note claire” – leurs jeux s’entremêlent avec fluidité. Et cela respire. Un grand vent de fraîcheur en cette chaleur d’été, un disque de passion(s). « MMXXIV AD » (Ayler Records AYLCD-181).