Dans la vitrine : Airelle BESSON – Nelson VERAS ; Jason MORAN ; Florent NISSE ; THE MAN THEY CALL ASS ; Mark TURNER
Cinq disques ont particulièrement retenu notre attention ce mois-ci pour diverses raisons (que la raison ignore sans doute...).
Cinq disques porteurs, chacun à leur manière, de l’esprit du jazz vivant et libre.
Parmi eux, le disque carrément rock de notre intrépide danois à la six cordes, le mystérieux (??!) "Ass". Lui n’a pas reçu de "Oui", mais le cœur y est. On est en marge ou on ne l’est pas : il faut assumer !
Par ordre alphabétique :
À l’écoute de ce disque la première impression est celle d’un certain bonheur qui ne provient pas de la joie qu’il procure mais des couleurs qu’il propose : vous choisirez celle qui vous plaît.
Et c’est bien de cela dont il s’agit : de plaisir. D’un plaisir ostensiblement calme et intime mené avec sûreté par deux musiciens complices. Dans certains duos nous avons droit à unE confrontation l’un contre l’autre qui engendre les développements, ici c’est plutôt de l’ordre du jouer ensemble, de l’osmose, de sérénité et de paix, toutes choses si rares aujourd’hui et qui peuvent nous paraître d’un autre monde. Il faut dire aussi que ce duo existe depuis maintenant dix ans et que pour ces musiciens exigeants, rien ne doit se faire gratuitement. Nous sommes ici en dehors de toute urgence.
Airelle Besson déploie dans cet enregistrement un jeu très vocal, en phase avec ce que l’on peut percevoir d’elle sur scène, un jeu très Bakerien dans son aspect le plus lyrique (coïncidence ? voir le projet de Riccardo Del Fra). Celui de Nelson Veras, sans médiator, sur guitare nylon une musique proche de ses racines brésiliennes dont on connaît les richesses rythmiques et harmoniques.
Quoi qu’il en soit nos deux ami(e)s font preuve d’un sens de la composition sur papier et instantanée qui laisse rêveur. Un rêve, deux portraits entremêlés, une image donc de jeunes musiciens dont cette musique s’avère être le beau reflet concentré.
.::Pierre Gros: :.
> Naïve NJ624911 / Naïve
Airelle Besson : trompette, composition / Nelson Veras : guitare acoustique, composition
01 . Ma Ion / 02 . Pouki Pouki / 03 . O Grande Amor / 04 . Neige Lulea’s Sunset / 06 . Full Moon In K. / 07 . Vertiges / 08. Virgule (improv.) / 09. Body & Soul / 10. Birsay / 11. Time To Say Goodbye
Retrouvez ce disque dans "Pile de disques" d’octobre 2014 : ici
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Jason, dans la mythologie grecque, c’est le type qui court après la toison d’or. Moran, dans la mythologie à venir du Jazz , c’est le musicien qui cherche la veine qui le conduira toujours plus près de l’inaccessible note. Comme il est intelligent, très intelligent, il prend son temps et son itinéraire s’en trouve, sans être erratique, enrichi des rencontres que l’art sinueux de la bal(l)ade, le nez au vent, suscite.
D’un bref regard dans le rétroviseur, il a aperçu le vieux Fats qui l’appâtait, clope au bec et melon prêt à choir, d’une œillade rigolarde. Jetant l’autre œil dans son pare-brise, il a rencontré la contemporaine Meshell Ndegeocello qu’il n’a eu aucun mal à convaincre de tenter l’aventure. Laquelle ? Celle d’une idée en germination qu’il a liée avec des vents et des mots pour proposer un de ces improbables projets dont lui seul connaît la recette et l’art de la cuisiner.
Au final on obtient une galette aux saveurs surprenantes qui renouvelle sans l’affadir et avec une énergie communicative la musique d’un artiste légendaire passé de mode. On regrettera cependant que plusieurs morceaux n’aient pas eu la fin qu’ils méritaient, parce que pour tout dire, le fade out, ce n’est pas notre tasse de thé.
Hommage ou clin d’œil ? Peu importe. Jason Waller et Fats Moran n’y perdent aucunement la singularité qui les caractérise...
.::Yves Dorison: :.
> Blue Note 0602537534296 / Universal Music France
Jason Moran : piano, claviers / Meshell Ndegeocello : basse, piano, guitare, voix, arrangements /Lisa E. Harris : voix / Tarus Mateen : contrebasse, basse / Nasheet Waits : batterie / Leron Thomas : trompette / Josh Roseman : trombone / +/Steve Lehman : saxophone.
01. Put Your Hands On It / 02. Ain’t Misbehavin’ / 03. Yacht Club Swing / 04. Lulu’s Back In Town / 05. Two Sleepy People / 06. The Joint Is Jumpin’ / 07. Honeysuckle Rose / 08. Ain’t Nobody’s Business / 09. Fats Elegy / 10. Handful Of Keys / 11. Jitterbug Waltz / 12. Sheik Of Araby - I Found a New Baby
Retrouvez ce disque dans "Pile de disques" d’octobre 2014 : ici
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Mois après mois, notre "Pile de disques" tente de faire une (petite) place au plus grand nombre de nouvelles productions. Allez savoir pourquoi, il y a inévitablement des disques qui nous "accrochent" dès la première écoute. Il en est ainsi de cet hommage "Aux Mages" du contrebassiste Florent Nisse. Il faut alors brouiller les pistes pour mettre à l’épreuve cette pulsion affective. La lecture numérique aléatoire de la playlist du mois est un bon outil pour cela. À chaque fois, les titres de ce disque ont retenu mon attention. Un signe ?
Cette musique coule de source, naturelle, aérée, fraîche, limpide. C’est assez rare dans un monde qui a souvent peur du silence.
Pour isoler les ions positifs de ses compositions, Florent Nisse a suivi les trois Mages qu’il a passionnément écoutés pour tracer son chemin de musicien de jazz.
Le batteur Paul Motian a rejoint ses étoiles il y a trois ans déjà. Il a confié l’or de cette musique à deux de ses disciples ici présents : le saxophoniste Chris Cheek (fluidité du son, aisance d’un phrasé ciselé avec finesse) et le subtil guitariste danois Jakob Bro.
Second Mage, Charlie Haden, incontournable contrebassiste de référence encore de ce monde quand ce disque a été enregistré. Il a depuis tiré sa révérence et rejoint son copain Motian. Haden apporte l’encens de cette musique, un sens impalpable de la mélodie et du chant limpide dans un esprit de liberté.
Enfin, Bill Frisell, guitariste bien vivant qui offre la myrrhe, l’arôme voluptueux et les sonorités évaporées de guitare qui font s’envoler une musique nourrie de la multitude des parfums du jazz et portée par un profond sens du partage.
L’esprit ne ferait pas tout s’il n’y avait la valeur et la complicité des musiciens au fondement de ce projet, le trio très soudé que composent Florent Nisse, le pianiste au jeu mesuré, Maxime Sanchez, venu avec trois partitions de sa plume et le batteur Gautier Garrigue au jeu tout en finesse.
Oui, ces mélodies aériennes, ouvertes et libres sont tout aussi captivantes les unes que les autres et ce disque s’écoute avec un bonheur qui ne s’émousse pas au fil des écoutes. Une très belle réussite du nouveau label NOME (après le très beau disque -aussi !- de David Enhco, Layers.).
.::Thierry Giard: :.
> NOME 002 / L’Autre Distribution (sortie le 10 novembre 2014 - digital le 27 octobre)
Florent Nisse : contrebasse, compositions sauf 2, 5 et 7 / Chris Cheek : saxophone ténor / Jakob Bro : guitare / Maxime Sanchez : piano, compositions 2, 5 et 7 / Gautier Garrigue : batterie
01. Eternal Thursday / 02. À la pluie / 03. H Code / 04. Ombre et Brouillard / 05. Intrépide / 06. Rêve normal / 07. Image F / 08. A way away / 09. Des lits d’initiés / 10. Priceless // Enregistré par André Charlier au Studio des Egreffins, 91890 Videlles (en 2013 ?)
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« Hey hey my my Rock n Roll can never die » dixit le vieux Young, Neil de son prénom. Et HassE est d’accord avec lui. Poulsen pousse les murs, repousse les cadres et dépoussière les rideaux. Tout feu tout flamme, il revendique d’aimer autre chose que le jazz expérimental, ce qui paraît, au vu de son parcours terrestre, on ne peu plus normal. Et ce ne le serait pas que l’on s’en moquerait éperdument.
L’essentiel, c’est le désir.
Désir de musique, désir d’engagement.
Ceci étant écrit, le danois d’ici et d’ailleurs demeure « underground » et frôle même par moment l’esprit de la punkitude. Ce qui nous fait bien marrer en ces temps de sombre mécréance où l’imagination est pointée du doigt comme l’une des pires vilenies qui soit.Bref, HassE Poulsen n’est jamais là où on l’attend (la perche bien sûr). Qu’il soit Tom Waits ou un autre hétéronyme rockeux importe assez peu, pourvu qu’il continue à agiter le bocal à notes qui dénotent.
.::Yves Dorison: :.
> Das Kapital Records CD0466-6 / L’Autre Distribution
Hasse Poulsen, alias The Man They Call Ass : chant, guitares / Henrik S. Simonsen : basse, contrebasse / Edward Perraud : batterie, électronique / Claudia B. Poulsen : voix sur 11 et 12 / Quatuor IXI (Guillaume Roy, Régis Huby, Irène Lecoq, Atsuhi Sakai) : cordes sur 2 / Gilles Olivesi : son
01. The president of France is a criminal / 02. I told you / 03. Until Everything is Sold / 04. I’d Like to Fly / 05. Pinnocchio is Dead / 06. Ballad in Plain A / 07. Marshmallows & Yellow Fever / 08. Michael Moore / 09. There’s Nothing in Heaven / 10. New Year / 11. Success / 12. Let’s Get Contemporary / 13. Forever Again / 14. So Many // Enregistré au Danemark et en France.
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Il nous aura fallu attendre 13 ans pour que Mark Turner sorte un nouvel enregistrement en tant que leader. Il y avait eu les disques du trio Fly dont il partage la direction avec Larry Grenadier et Jeff Ballard, ceux de Billy Hart et d’autres encore. Cependant dans ce nouvel album Mark Turner a eu la liberté de conduire seul le groupe et la musique comme il le désire, de s’entourer des musiciens de son choix qui correspondent pleinement à son univers.
Le répertoire ici joué se partage entre nouvelles compositions ou relecture fondatrice et reprises d’anciens thèmes, une synthèse à la Wayne Shorter, les titres sont ainsi repris retravaillés, remodelés, renommés. Et si on connaît ses principales inspirations John Coltrane et Warne Marsh, on connaît aussi le penchant de Mark pour les lignes directrices fortes qui rappellent les convictions de Lenny Tristano. On peut aussi y entendre l’influence d’un Ornette Coleman, d’un Sonny Rollins période East Broadway Rundown, mais également l’esprit du The Blues and the Abstract Truth d’Oliver Nelson. La mélodie, le contrepoint sont donc ici à l’honneur, les voix de Mark et du formidable trompettiste Avishai Cohen se mêlent dans de subtils entrelacs longuement maturés. Les improvisations se posent, se développent et ce sans faiblesses, encouragées par la basse ancrée dans la tradition de Joe Martin et le drumming inspirant de Marcus Gilmore.
On sent à l’écoute de ce disque le musicien qui a pris son temps, à l’ancienne, pour nous livrer une musique réfléchie et si les références littéraires sont évidentes (Lathe of Heaven roman de science fiction d’Ursula K.Le Guin, The Edenist référence au The Night’s Dawn Trilogy du romancier Peter F. Hamilton) la question du blues semble ici tout aussi prégnante.
Serons-nous prêts à attendre si longtemps d’autres œuvres à ce point abouties ? Cet album porte déjà la marque des classiques qui tourneront sans fin sur nos platines.
.::Pierre Gros: :.
> ECM 378 0663 / Universal Music France
Mark Turner : saxophone ténor / Avishai Cohen : trompette / Joe Martin : contrebasse / Marcus Gilmore : batterie
01. Lathe of Heaven / 02. Year of the Rabbit / 03. Ethan’s Line / 04. The Edenist / 05. Sonnet for Stevie / 06. Brother Sister 2 // Enregistré en juin 2013 aux Avatar Studios, New-York (USA)
Retrouvez ce disque dans "Pile de disques" de septembre 2014 : ici
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