Avec le printemps qui arrive et le virus qui ne s’en va pas, cela fait une année entière qu’on l’on supporte quelques aménagements quant à notre liberté, notamment la privation de concert. Il nous reste les disques, en attendant mieux.
| 00- THE SCOTT SHERWOOD TRIO . Headin’ home
| 01- LARA SOLNICKI . The one and the other - OUI !
| 02- YUMAUESAKA/CAT TOREN/COLIN HINTON . Ocelot
| 03- DAVE SHELTON TRIO . Drift
| 04- MICHEL PORTAL . MP 85
| 05- JIM HALL . Jazzpar Quartet + 4
| 06- Ch.MONNIOT/D.ITHURSARRY - HYMNES A L’AMOUR . Deuxième chance
| 07- DIMITRI NAIDITCH . Ah ! vous dirai-je... Mozart
| 08- PIERRICK PEDRON . Fifty-fifty - New York sessions
| 09- THUMBSCREW . Never Is Enough - OUI !
| 10- NACHO SZULGA NS5 . Entramados Homeostáticos
| 11- MACHINE MASS SEXTET . Intrusion
| 12- BEDMAKERS . Tribute to an Imaginary Folk Band — Live in Berlin
| 13- WES MONTGOMERY . The NDR Hamburg Studio recordings - OUI !
| 14- VINCENT TOUCHARD / STEPHEN BINET . Happy hours
| 15- SIMON CHIVALLON . Light blue
| 16- LAW YEARS : THE MUSIC OF ORNETTE COLEMAN . Live at the birds eye jazz club - OUI !
| 17- NIK BÄRTSCH . Entendre
| 18- SANA NAGANO . Smashing humans
| 19- TRISTAN MELIA . Mistake romance
Art of life records
Scott Sherwood : guitare
Mike Nunno : basse
Paul Hannah : batterie
Scott Sherwood n’a enregistré que quatre disques avant de disparaître précocement d’un lymphome en 2009. Autodidacte, puis élève et ami de John Abercrombie, nourri par Jim Hall, le guitariste du Wisconsin possédait un jeu extrêmement fluide et une expressivité notable, doublée d’une belle sensibilité. Reconnu par ses pairs, il aurait pu faire une très belle carrière. Avec son trio, où la basse électrique remplace l’habituelle contrebasse (le premier à avoir osé ce changement, c’est à notre connaissance, Joe Pass dans son « Live at Donte’s enregistré en 1974 et sorti en 1981), les compositions jouées sont riches, ouvragées et laissent éclater au détour des soli quelques beaux moments d’empathique harmonie entre les musiciens. Toujours mélodique, et parfaitement secondé par une rythmique attentive et inventive, Scott Sherwood n’en n’était pas moins contemporain dans son approche stylistique. Ce concert enregistré en public à l’université de Rhode Island en 1996 en témoigne brillamment.
Yves Dorison
OutsideInMusic
Lara Solnicki : voix
Peter Lutek : saxophone alto, clarinette électro-acoustique, basson
Hugh Marsh : violon électrique
Jonathan Goldsmith : claviers, électronique, basse, guitare
Rob Piltch : guitare
Scott Peterson : contrebasse, basse
Rich Brown : basse
Davide Di Renzo : batterie
Lara Solnicki fait peu de disque et quand elle sort un nouveau, on le remarque car elle est détentrice d’un univers musical qui n’appartient qu’à elle. Dans cette sorte de fusion post-moderne, voire très actuelle, des courants jazz, elle invente un chemin sur lequel la poésie et l’improvisation sont prégnants. En confrontant textes et musique comme elle le fait, l’on sent naître des tensions fortes qui structurent les schémas narratifs. L’audace ne lui manque pas et, bien épaulée par son groupe, avec à sa disposition quatre octaves, elle est capable d’embarquer sans coup férir l’auditeur dans ses poèmes sonores, qui sous certains aspects scénaristiques se rapprochent du cinéma. La chanteuse canadienne sait en outre manier les palettes et texturer ses compositions, sans jamais lasser, laissant germer ainsi des émotions subtiles ou nettement tranchées, même quand elle se contente de dire son texte plutôt que de le chanter. Les climats se succèdent dans une unité de style démontrant toute la fine conceptualité d’un travail impressionnant à bien des égards. Quant à sa voix, elle est habitée par un monde étrange dont les intérieurs en clair-obscur expriment un large éventail de sensations pour le moins envoûtantes. Ne passez pas à côté de cette musicienne et poète rare (trois albums en dix ans).
Yves Dorison
577 Records
Yuma Uesaka : saxophone ténor, clarinettes
Cat Toren : piano, nord
Colin hinton : batterie, percussions, gong, glockenspiel, vibraphone
Ce trio basé à Brooklyn a le mérite de sortir des sentiers battus de belle manière. Atmosphérique de bout en bout, le trio sait d’une plage à l’autre varier les climats avec un sens très affûté de la spatialisation. Fruit d’un véritable travail de groupe, chacun apporte ses compositions, leur musique se construit sur des émotions traduites en vagues successives qui viennent prendre et reprendre l’auditeur là où ses désirs d’écoute le porte. Libre de forme mais toujours structurée en arrière plan, elle dévoile par des chemins personnels une vision globale du discours intense qui s’établit entre les trois protagonistes. Cat Toren, Yuma Uesaka et Colin Hinton savent en outre, à tout moment, passer du méditatif au rythmique sans effort apparent ; cerise sur le gâteau, ils ne perdent jamais de vue la mélodie, mélodie contemporaine certes mais aisément lisible. Ce disque intime aux multiples facettes, étonnamment coloré, est un beau témoignage de l’époque dans laquelle nous nous débattons. Rien n’y est simple mais tout est toujours possible. Et la profondeur humaine s’y révèle avec brio entre abstraction et évidence.
Yves Dorison
https://577records.bandcamp.com/album/ocelot
Davesheltonjazz
Dave Shelton : piano
Beth Kuhn : voix
Mike Staron : contrebasse
Rick Shandling : batterie
Voici un trio classique de bonne facture avec en sus une chanteuse au timbre assez particulier pour être remarqué. L’ambiance générale est plutôt cool, ce qui n’est pas désagréable. Le pianiste originaire du Missouri n’en fait jamais trop et sa rythmique le suit avec une efficacité largement due à la connivence entre les membres du trio. Sur chacun des morceaux où elle intervient, Beth Kuhn chante, quant à elle, avec une belle constance et un sens du placement qui démontre toute son aisance dans cet espace jazz entièrement dévoué au swing. Et nous, nous aimons bien que cela swingue aussi, nous ne sommes pas sectaires, à la façon de ces grands trio piano / contrebasse / batterie avec chanteuse qui furent en vogue il y a longtemps. Au final, que ce soit dans les thèmes instrumentaux où dans les pièces où Beth Kuhn s’exprime, l’on prend un certain plaisir à écouter ces musiciens (que nous ne connaissions pas) jouer avec conviction un jazz d’hier qui reste pertinent aujourd’hui ; parce que le swing de ces trios n’a pas d’âge et que c’est là tout son son mystère. A vous de vous faire une idée.
Yves Dorison
http://www.davesheltonjazz.com/music.html
Label Bleu
Michel Portal : clarinettes, saxophone soprano
Bojan Z : piano, claviers
Bruno Chevillon : contrebasse
Nils Wogram : trombone
Lander Gysenlick : batterie
Il n’y a pas d’âge pour les braves, comme on dit, et quand on est jeune, c’est pour la vie. Après dix années d’absence discographique, au saxophone soprano ou avec ses clarinettes, Michel Portal se paye une promenade à travers le vaste monde de la musique. Bien assisté par un quartet de fortes personnalités, le bayonnais fait parler la poudre. C’est du sérieux qui ne se prend pas au sérieux et cela fait toute la différence. Mais laissons-lui la parole : « la musique durant ces quelques jours d’enregistrement s’est inventée au présent en circulant de l’un à l’autre avec une vraie intensité collective. C’est ce mouvement fondamental d’ouverture qui, je crois, donne à la musique de ce disque sa couleur et sa direction comme un retour progressif à la vie. Ce que nous avons cherché là tous ensemble c’est de retrouver l’élan et l’insouciance du jeu, la joie simple de partager l’instant dans ce qu’il a de plus vif et explosif : cette faculté qu’a la musique, quand on la prend au sérieux avec suffisamment de légèreté, d’abattre tous les murs qui peuvent s’ériger entre nous. » Que voulez-vous que l’on vous dise de plus ?
Yves Dorison
https://www.maisondelaculture-amiens.com/label-bleu/actus/
Storyville
Jim Hall : guitare
Terry Clarke : batterie
Chris Potter : saxophone
Thomas Ovesen : contrebasse
The Zapolski quartet
Enregistré en 1998 lors de la remise du Jazzpar Prize décerné à Jim Hall pour l’ensemble de sa carrière, ce disque permet de retrouver le plus discret des très grands guitaristes. Musicalement sensible et intelligent au-delà du raisonnable, Jim Hall a laissé sur la guitare jazz une empreinte indélébile et un nombre certain de disques iconiques. On le retrouve là avec un quartet de circonstance un peu mou du genou et un quatuor à cordes, ce qui en soi peut être alléchant car il fut tout au long de sa vie un très brillant expérimentateur. Toujours économe de ses notes, Jim Hall, en leader confiant mais jamais omniprésent, déroule son savoir-faire, notamment sa qualité d’écoute. A l’évidence, ce disque, s’il est un témoignage de cette tournée danoise, n’est pas de ceux que l’on se repasse en boucle. Cela manque un peu trop de corps ; le jeune Chris Potter est encore très académique et la rythmique sans grande inventivité. Quant au quatuor à cordes, nous sommes restés un peu dubitatif. Allez ! On va réécouter « Live at the village west ».
Yves Dorison
https://en.wikipedia.org/wiki/Jim_Hall_(musician)
Emouvance
Christophe Monniot : saxophones alto & soprano
Didier Ithursarry : accordéon
Dans la famille des duos celui de Didier Ithursarry et Christophe Monniot appartient à la catégorie « corps à corps », genre « viens par ici que j’te lâche pas ». Lequel des deux emmène l’autre ? Cela dépend de l’instant. Une chose est certaine, les deux réunis ne manquent pas d’ardeur et c’est tout juste s’ils n’essoufflent pas l’auditeur. Et le souffle eux, ils le gèrent de manière inépuisable. Sensibles en diable, Christophe Monniot et Didier Ithursarry sont tour à tour des lutins démoniaques, des complices langoureux, au service d’une musique qui ne sait où donner du lyrisme, de la profondeur, de la facétie et encore, bien évidemment, de la virtuosité bien balancée. Chaque composition de leur disque est l’occasion d’une joute jamais fratricide entre frères de cœur assurés et sûrs de leur fait (sans pour autant frimer) quant à la validité de leur échange musical. Nul doute que cette deuxième chance qu’ils se sont offerte les a ravis ; tout comme elle enchantera les auditeurs insatiablement curieux.
Yves Dorison
http://www.christophemonniot.com
http://didierithursarry.com
Dinaï Records
Dimitri Naïditch : piano
Gilles Naturel : contrebasse
Arthur Alard : batterie
Cynthia Abraham : voix (2)
Après Jean Sébastien Bach en 2019, Dimitri Naïditch, pianiste ukrainien insatllé en France depuis longtemps, continue sa série « New Time Classics » et aborde un autre monument du classique, le génial Mozart. Rien Moins. Avec les mêmes acolytes pour la rythmique (Gilles Naturel à la contrebasse et Arthur Alard à la batterie) il continue un travail de réinterprétation fait preuve d’audace et savoir-faire. Assurément, les trois musiciens s’entendent comme larrons en foire et aiment à paraître légers. Il suffit d’écouter le résultat de leur travail pour comprendre que derrière cette apparente insouciance Dimitri Naïditch et ses deux collègues de jeu font un truc de tueur patenté : ils savent être gracieux, tendres et inspirés par la magie de l’instant, élégants et distingués, bourrées d’une énergie communicative… Bref, ils sont très très mozartiens. Et comme Wolfgang Amadeus était un peu un martien, leur trio a su voler haut dans un espace musical virtuose bien vivant, empreint de fraîcheur et vraiment très plaisant à écouter. Il serait dommage de vous priver d’un moment musical qui transmet une joie de vivre vivifiante.
Yves Dorison
http://www.dimitri-naiditch.com
L’autre distribution. Gazebo
Pierrick Pédron : saxophone alto
Sullivan Fortner : piano
Larry Grenadier : contrebasse
Marcus Gilmore : batterie
Comme line-up pour un saxophoniste alto en balade à New-York, franchement, on a vu pire… Deux jeunots qui poussent à la vitesse grand V, Marcus Gilmore et Sullivan Fortner, et un classieux incontournable, Larry Grenadier himself. Et devant ce beau monde, Pierrick Pédron, musicien curieux et polyvalent qui fête avec ce retour aux sources parkérienne ses cinquante balais. Comme il est habitué à côtoyer les pointures, cela visiblement ne lui a pas fait peur. A l’écoute, on le confirme volontiers. C’est un disque de jazz avec des américains qui ne font pas la pige. Cela rue dans les brancards du bop avec voracité ou cela coule en douceur dans les ballades avec la finesse nécessaire, mais en toute occasion, cela joue. L’élégance de l’alto, d’un bout à l’autre de l’enregistrement, démontre une maturité toute de fraîcheur et d’envie communicative. Redoutablement technique et léchée, la musique proposée ici n’en est pas moins festive et significative. Elle est dense et souple. Avec les musiciens qui l’accompagnent, Pierrick Pédron est dans cet album naturellement un leader ouvert qui fait autorité. Et nous, l’on a beaucoup aimé les ballades.
Yves Dorison
http://www.pierrickpedron.com/
Tomas Fujiwara : batterie
Mary Halvorson : guitare
Michael Formanek : contrebasse et basse électrique
Thumbscrew, la vis à ailettes, comme celles qui tendent les cordes des guitares et basses de Mary Halvorson et Michel Formanek pour serrer plus encore les boulons d’un trio d’exception qui publie son sixième album chez Cuneiform records. Thumbscrew est né du hasard d’un remplacement : Michael Formanek est arrivé au pied levé dans une formation où jouaient Mary Halvorson et Tomas Fujiwara. Depuis, ils ne se lâchent plus et leur premier album éponyme est paru il y a déjà 7 ans. Comme pour les deux disques faux-jumeaux "Ours" et "Theirs" parus en 2018, "Never Is Enough" a été enregistré en parallèle de "The Anthony Braxton Project" (CultureJazz, août 2020) pour célébrer les 75 ans de leur génial mentor, compositeur à anches multiples. Après la sélection d’œuvres d’A.B., ce C.D. est consacré exclusivement aux compositions d’une incroyable richesse créative d’un trio qui ne ressemble à nul autre. La guitare de Mary Halvorson est toujours aussi intrépide, jouant avec l’élasticité des notes pour composer une maille vivante qui déjoue les lois de l’équilibre musical. Michael Formanek (parfois à la basse électrique) et Tomas Fujiwara encadrent solidement les envolées éblouissantes de leur complice. La liberté de l’interprétation n’empêche pas ces compositions de conserver un ancrage fort à base de mélodies et de structures rythmiques qui restent sobres et rassurantes. Littéralement exemplaire ce trio !
cuneiformrecords.bandcamp.com/never-is-enough . www.michaelformanek.com . www.tomasfujiwara.com . maryhalvorson.com
Ignacio Szulga : contrebasse, compositions
Camila Nebbia : saxophone ténor
Gabriel Stern : saxophone alto
Pia Hernandez : piano
Nicolás del águila : batterie
+ Luna Felenbok : voix (4)
Depuis que le (contre)bassiste américain Matthew Golombisky s’est installé à Buenos Aires, il accueille sur son label Ears & Eyes Records nombre de musiciens argentins qui sont autant de découvertes inattendues quand on a le privilège d’avoir souvent de ses nouvelles ! C’est le cas une fois encore avec un contrebassiste-compositeur trentenaire, Nacho Szulga. "Entramados Homeostáticos" présente une suite de huit compositions (de Uno à Ocho, tout simplement). Elles sont nées d’une série de voyages effectués en 2019 et en particulier vers New York dans l’école de musique improvisée que dirige le trompettiste Ralph Alessi. Voilà une belle référence dont Nacho Szulga a su tirer profit (on l’imagine), pour donner du caractère à la musique de ce disque. Pas de trompette mais deux saxophonistes dont les esthétiques et couleurs sont très complémentaires. On retrouve d’ailleurs Camila Nebbia (au ténor), musicienne très inspirée dont l’album "Aura" (CultureJazz OUI !) nous avait touché l’an passé. Jouant avec une riche palette de formes instrumentales, de nuances, un attachement aux structures autant qu’à la liberté expressive, Nacho Szulga signe un beau disque. que nous vous recommandons (cf. Bandcamp).
earsandeyesrecords.bandcamp.com
Laurent Blondiau : trompette
Manuel Hermia : saxophones
Michel Delville : guitare, Roland GR09
Antoine Guenet : piano
Damien Campion : contrebasse
Tony Bianco : batterie
Oser écrire sur la musique de Michel Delville, c’est prendre le risque de voir sa bafouille laminée, décortiquée, réduite en poudre par cet éminent enseignant-chercheur qui enseigne la littérature comparée à l’Université de Liège... Je prends ce risque pour vous dire que ce disque mérite grandement d’être attentivement écouté par les jazzophiles parfois technophobes puisqu’il est essentiellement constitué de musique dite "acoustique". À la base, Machine Mass, c’est le duo "ultra-câblé" Michel Delville (Belgique) / Tony Bianco (USA) qui invita Dave Liebman sur un disque de 2014 (CultureJazz, ici...). Cette fois, ils ont convié quatre compatriotes en laissant la part belle à Laurent Blondiau (trompette) et Manuel Hermia (saxophone ténor), musiciens dont on respecte l’engagement dans le jazz européen. On retrouve également Antoine Guenet (Univers Zero, The Wrong Object...) musicien complet, dans la posture du solide pianiste "de jazz" (Africa) ou fin mélodiste (sur Intrusion, sa propre composition). Tony Bianco et Michel Delville continuent ainsi leur cheminement complice, le premier en assurant un base rythmique sûre et souple, le second en guitariste-coloriste capable de s’envoler dans des élans déchirants et électrisés ou de dessiner des arrières-plans subtils. Ce disque est un bel hommage au jazz "modal" puisqu’il s’ouvre avec Africa, la célèbre composition d’Alice Coltrane, pour s’achever par une interprétation très réussie du In A Silent Way de Joe Zawinul que parcourut Miles Davis jadis. Loin d’un jazz "vintage", cette musique un peu nostalgique mais sincère et vitaminée a tout pour vous séduire, peut-être... Merci Michel !
stilll-off.bandcamp.com/intrusion . www.micheldelville.com . fr.wikipedia.org/Michel_Delville
JazzDor Series / L’Autre Distribution
Robin Fincker : saxophone ténor, clarinette
Fabien Duscombs : batterie
Mathieu Werchowski : violon
Dave Kane : contrebasse
Nous retrouvons avec plaisir le quartet "Bedmakers" dont le premier album (studio) enregistré en 2017 avait retenu tout particulièrement notre attention (CultureJazz - mai 2018). Comme ce concert berlinois de juin 2018 a été organisé par l’équipe de Jazzdor qui établit des ponts entre France et Allemagne depuis Strasbourg, c’est tout naturellement dans la collection Jazzdor Series que paraît cet album. Si le concept de Bedmakers repose sur la composition spontanée inspirée de mélodies traditionnelles, ce disque reprend bel et bien la thématique du premier album interprétée avec l’esprit de liberté et de complicité qui est la raison d’être de cette formation. L’ambiance est un peu assagie en comparaison du premier album. Est-ce du au remplacement du bouillonnant Pascal Niggenkemper par Dave Kane dont le jeu est plus tranquille mais contribue efficacement à la solidité de l’ensemble ? Cette fois encore, Robin Fincker dont on connaît les grandes qualités tant au sax ténor qu’à la clarinette et le violon aventureux de Mathieu Werchowski nous entraînent dans des espaces musicaux aux apparences familières mais aux formes sans cesse mouvantes. Une autre vision des folklores imaginaires (comme on dit à l’ARFI de Lyon) qui ne manque pas de caractère.
jazzdor.com/jazzdor-series . jazzdorseries.bandcamp.com/bedmakers-live-in-berlin
Jazzline Classics
Wes Montgomery : guitare
Hans Koller : saxophone alto
Johnny Griffin : saxophone ténor
Ronnie Scott : saxophone ténor
Ronnie Ross : saxophone baryton
Martial Solal : piano
Michel Gaudry : contrebasse
Ronnie Stephenson : batterie
Un all-stars européen en 1965 chez les fondus de jazz de la Ndr de Hambourg, c’est vachement bien, surtout si dans le lot on trouve Martial Solal. Quand on ajoute un Johnny Griffin et qu’on place en tête de gondole Wes Montgomery (le roi du pouce), c’est encore plus que mieux que bien. Ca le fait cher grave comme ils disent maintenant, d’autant que le Wes, il est vraiment au sommet de son art. Hélas, trois ans plus tard, il va décéder d’un arrêt cardiaque, à 45 ans. Notons au passage qu’entre 1966 et 1968 il s’était consacré essentiellement à la pop music, inventant au passage le « smooth jazz », ce qui lui valut une célébrité certaine. Cela nous faire aussi dire que cette session historique, ce fut la seule tournée européenne du guitariste, est l’une des dernières traces intéressante du guitariste dans l’espace jazz. L’octet est épatant. Chaque musicien prend sa place et une saine émulation règne de bout en bout. Ca swingue terriblement avec en sus cet enjouement typique que l’on ne trouve plus guère de nos jours (c’était pas mieux avant, sauf ça). Griffin est au top, Solal toujours incisif et les autres sont au diapason. Le Wes se promène avec eux en maître débonnaire. Le fun est là et c’est du lourd. Quand vous pensez que ces sessions étaient organisées dans le but premier d’être télévisées, vous vous dites qu’un truc a dû arriver que personne n’a pas vu venir. Pour la petite histoire, Ronnie Ross a donné à Bowie ses premiers cours de saxophone et, quelques années après, ce dernier l’a invité pour jouer le solo de « Walk on the wild side » sur l’album Transformer de Lou Reed. Question subsidiaire : pourquoi les trois anglais sur ce Cd se prénomment-ils Ronnie ?
Yves Dorison
https://en.wikipedia.org/wiki/Wes_Montgomery
Jazz family
Vincent Touchard : batterie
Stephen Binet : piano
Sylvain Bœuf : saxophone ténor
Baptiste Herbin : saxophone alto
Duylinh Nguyen, Baptiste Morel : contrebasse
José Fallot : basse électrique
Sydney Rodrigues : guitare, chant
Claire Vernay, Mathieu Boré : chant
Est-ce le nom d’une formation ? Non. Le titre d’un album ? Oui et non. Il s’agit en fait de l’invitation lancée par deux musiciens Vincent Touchard, batteur et Stephen Binet, pianiste à une jam session à la fois bien réelle et, pour une autre part, imaginaire à des amis instrumentistes pour recréer ces heures de détente en musique. Sessions qui ont bien constitué les « heures bienheureuses » du Piano Bar du Prisme à Elancourt dans les Yvelines mais sessions qui, à défaut d’avoir été enregistrées en live du fait des confinements successifs, ont été recrées en studio, avec une seule prise par titre.
Outre nos deux protagonistes qui se sont connus au Conservatoire de Versailles, on trouve aussi bien des professionnels, des professeurs que des élèves des Conservatoires de cet ouest francilien, tous musiciens et familiers du lieu. Ils ont pour nom Sylvain Bœuf, Mathieu Boré, José Folliot et tout en complétant le duo piano/batterie, ils apportent leur touche personnelle. Ainsi se dessinent, au fil des titres, des trios de musiciens avec saxophone (Sylvain Bœuf, Baptiste Herbin), ou des quartettes avec chant (Claire Vernay, Mathieu Boré…) et contrebasse (Baptiste Morel, Duylinh Nguyen…).
Au carrefour de ces sympathiques rencontres il y a en partage, bien sûr, les standards ! Le disque s’ouvre ainsi avec All or nothing at all pour se clore, 12 titres plus tard, avec une composition d’A - C. Jobim.
Un album à consommer sans nostalgie mais avec aspiration. Aspiration à retrouver ces « Happy hours » autour d’un verre et des musiciens.
Jean-Louis Libois
www.vincenttouchard.com
www.stephenbinet.fr
www.lanotedalceste.com
Jazz&people
Simon Chivallon : piano
Nicolas Moreaux : contrebasse
Antoine Paganotti : Batterie
Voilà un jeune pianiste qui ne manque pas de présence. Amoureux de la mélodie, il se livre en toute simplicité à la musique qu’il aime avec un naturel assez désarmant. Accompagné par une rythmique plus que solide, il navigue entre les thèmes qu’il pioche dans tous les genres avec ce qui nous a semblé être de la gourmandise. Un peu de pop, un peu de chanson française, un soupçon de classique, une once de jazz, des compositions personnelles attractives et le tour est joué. Toujours sur un fil chantant, les improvisations sont fluides et en permanence musicales. Nicolas Moreaux, à son habitude, apparaît aussi inventif qu’imperturbable et Antoine Paganotti ciselle l’espace avec un à-propos convaincant. Bien dans son époque et dans son background, le trio sait accrocher l’auditeur grâce à une homogénéité plus que certaine et un goût prononcé pour la beauté des lignes. Pas encore trentenaire, Simon Chivallon (qui n’ignore pas l’existence de Brad Mehldau) possède déjà un jeu d’une grande clarté et, à n’en pas douter, un bel avenir. A découvrir.
Yves Dorison
https://www.facebook.com/profile.php?id=100010263817888
Miel Music
Miguel Zenon : saxophone alto
Ariel Bringuez : saxophone ténor
Demian Cabaud : contrebasse
Jordi Rossy : batterie
Le saxophoniste d’origine portoricaine Miguel Zenon a découvert la musique d’Ornette Coleman dans sa jeunesse et ce fut un choc. Aujourd’hui, accompagné par saxophoniste cubain, un contrebassiste argentin et un batteur catalan, il honore à titre posthume l’un de ses maîtres souffleurs à l’occasion de ce qui aurait pu être son 91ème anniversaire. Enregistré le 20 mai 2019 dans un club de Bale, il propose une relecture fameuse des compostions colemanienne, toujours entre free jazz et mélodies incomparables. Cette musique particulièrement flexible appuyée sur des rythmiques fluides est exigeante. Pour un musicien comme Miguel Zenon, c’est visiblement une délectation de plonger dans cet univers qu’il aime et qu’il maîtrise. Les entrelacements de saxophones entre lui et Ariel Bringuez renouvellent joliment l’approche des thèmes choisis et une chose est certaine, il ne démérite pas, loin s’en faut. C’est même une franche réussite et les morceaux, qu’ils soient vifs ou plus mélancoliques, sont tous impeccablement joués par un quartet très équilibré, non dénué d’idées et enclin à prendre sa part de liberté pour mieux célébrer le maître. Une réussite incontestable.
Yves Dorison
Ecm
Nik Bärtsch : piano
La musique complexe de Nik Bärtsch a pu par le passé quelquefois me lasser et laisser sur ma faim, notamment avec son groupe Ronin. Mais là, en solo, le pianiste fait une magnifique démonstration de l’originalité de sa démarche. Certes, la répétitivité est encore et toujours une pierre angulaire, mais nous avons trouvé que les mélodies étaient plus aisément déchiffrables dans cet opus, même pour un auditeur lambda. Ceci étant dit, l’esthétique minutieuse du natif de Zurich dans ses pièces modulaires pourra au final interroger quelques oreilles peu habituées à ce type d’univers musical. Mais il est toujours bon de s’interroger et c’est plutôt positif d’ailleurs. Se laisser bousculer par un territoire sonore fait de structures aventureusement précises qui se libèrent par le biais de restrictions choisies, c’est une expérience à tenter. Nous vous y engageons volontiers car rien n’est vain dans la musique de Nik Bärtsch. Après l’écoute, chacun pourra choisir son camp.
Yves Dorison
577 records
Sana Nagano : violon, Fx
Peter Apfelbaum saxophone ténor, mégaphone
Keisuke Matsuno : guitare électrique
Ken Filiano : contrebasse, Fx
Joe Hertenstein : batterie
La violoniste japonaise Sana Nagano vit aux États-Unis depuis une vingtaine d’années et son univers noisy pourra en déstabiliser quelques uns. Dans ce quintet furieusement avant-gardiste, l’on est très éloigné du jazz consensuel et d’ailleurs du jazz, il ne reste que la liberté de l’improvisation. L’ensemble grince, frappe les tympans, navigue à vue entre les lignes, pousse au-delà du possible le goût du risque et explore des lieux dont on pouvait penser légitimement qu’ils n’existaient pas. C’est là tout l’intérêt de cette musique au tempérament plus que marqué. Néanmoins, dans cet amalgame sonore déstructuré, le violon sait réunir les voix autour de sa sonorité. Sana Nagano joue de la tension et du tranchant avec délice et un à-propos réellement convainquant. Son jeu est clair, pour ne pas dire limpide. La thématique de cet album à l’énergie souvent dévastatrice est quasiment incluse dans son excellente pochette. Indice donné par l’artiste pour le troisième morceau : « cette chanson d’horreur a probablement été inspirée par la dimension alternative de Stranger Things, l’Upside Down et tous les autres mondes souterrains que j’ai rencontrés ou dont j’ai entendu parler. J’imagine le monstre orange mangeant les pauvres Bunnies et Poops, les Humains en Gris volant tout le temps qu’ils peuvent aux civils innocents. Pour des résultats optimaux et créatifs, visualisez l’univers fantôme de votre choix pendant que vous écoutez. » Cqfd.
Yves Dorison
Jazz family
Tristan Mélia : piano
Après un premier disque « No Problem » en trio paru en 2019, le pianiste récidive, en solo cette fois-ci. Après « No Problem », place à « Mistake Romance » ; cherchez l’erreur ! En fait, il n’y en a pas. On entend plutôt une continuité entre le fait de puiser dans les standards et les compositions personnelles (qui nous semblent plus nombreuses ici) mais aussi dans la simplicité recherchée de son approche pianistique. La nostalgie semble plus présente, étrangement pour ce jeune homme de 26 ans. Mais Charles Aznavour n’écrivait-il pas à l’âge de 18 ans cette chanson nostalgique qui allait devenir un « tube » deux décennies plus tard, « Hier encore, j’avais 20 ans » !
Cette nostalgie est bien sûr dans les textes qui accompagnent chaque titre, dans les titres eux-mêmes mais aussi dans les compositions. « Enfance », « Piano des souvenirs » écrites par Tristan Melia alternent avec « Smile » de Charlie Chaplin ou bien encore avec « Someday My Prince Will Come ». Tout un programme, on le voit, qui donne lieu à un piano sensible quittant ses rails avec modération, presque narratif. On songe parfois à ces pianistes qui accompagnent les films muets lors de ces rares séances de cinéma que certains festivals de proposent : ils improvisent tout en suivant le cours de l’histoire sur l’écran essayant d’en restituer l’émotion.
Sans se défaire des qualités de son précédent enregistrement réalisé en compagnie du contrebassiste Thomas Bramerie et du batteur Cedrick Bec qu’on pouvait qualifier de « jazz fait de mélodies à l’incontestable lyrisme « (Y.D, « Appeal » », mai 2019), le piano de Tristan Mélia semble ici suivre son propre film, avec l’imagination que cela suppose, emmenant son auditeur avec lui dans sa rêverie musicale.
Jean-Louis Libois