"La Marmite Infernale est ce qui se fait de mieux dans le domaine des grandes formations en France depuis trente ans...". Jean Buzelin en parle...
Dans ce gigantesque et joyeux fourre-tout qu’est devenu le festival de Coutances, La Marmite Infernale, si j’en crois mes amis Denise et Thierry Giard, a été particulièrement mal placée dans la programmation. Les conditions acrobatiques du concert ne leur ont pas permis d’apprécier réellement la qualité du travail musical et de son exécution, et par voie de conséquence, d’en rédiger un compte-rendu argumenté.
Or, la Marmite Infernale est ce qui se fait de mieux dans le domaine des grandes formations en France depuis trente ans. Naturellement, ce résultat est le fruit d’une longue pratique commune des musiciens qui se connaissent sur le bout des doigts et des lèvres, qui se sont assemblés sur une idée forte : la façon d’envisager la création musicale et artistique en général, à partir d’affinités dont le jazz était l’élément moteur. Ce fut la naissance de l’Association à la Recherche d’un Folklore Imaginaire (ARFI) et le rassemblement de tous au sein d’un joyeux big band libertaire qui, de bric et de broc qu’il était à ses débuts, est devenu un ensemble d’un niveau exceptionnel, sans que jamais ne soient perdus son enthousiasme, sa spontanéité et sa joie de jouer. Et donc de transmettre ce bonheur au public à travers une grande exigence de qualité. Pas de hiérarchie dans ce collectif, chacun devenant tour à tour le catalyseur, le maître d’œuvre ou le chef d’orchestre en fonction d’une idée ou d’une proposition acceptée par tous.
Et c’est l’un des "vétérans", Alain Gibert, qui a eu l’idée de proposer une "relecture" de l’œuvre d’Hector Berlioz, dans le cadre du Festival Berlioz qui se tient chaque année à la Côte-Saint-André, le pays natal du compositeur en Isère. Mais tandis que l’essentiel du répertoire, jusqu’alors, était constitué de pièces originales, celui qui fait l’objet de ce disque trouve ses bases dans la musique de Berlioz. Un album-concept ? Si l’on veut. Mais alors que ce concept, fabriqué par n’importe quel orchestre national de jazz — toute ressemblance… etc., etc. —, aurait abouti à une œuvre ampoulée, boursouflée, inutilement compliquée, raide et dépourvue de swing (d’autant que la musique du grand Hector ne se distingue pas toujours par sa légèreté !), la Marmite Infernale, pleine d’audace et de jus comme d’habitude, a réalisé là un coup de maître. Une suite totalement originale, aussi diverse — sept arrangeurs/dérangeurs — qu’homogène et cohérente — la composition de la Marmite, la saveur de l’ARFI —, pleine de richesses et de surprises qui laisse l’auditeur dans un état de curiosité, d’étonnement et de ravissement constants.
Je ne me risquerai pas à entreprendre une vaine description musicale des dix bijoux qui constituent ce "Cauchemar" le plus agréable que l’on puisse éprouver, chacune des pièces étant succinctement mais parfaitement présentée dans le livret. Occupation de l’espace dans toute son ampleur et sa profondeur, tension, force, ampleur et volume orchestraux, innovations musicales, climats, mouvement, rythmes, cadences… s’inscrivent dans un "esprit ARFI" absolument reconnaissable, tout en marquant, comme à chaque nouveau répertoire, une évolution constante. _ Au fil du temps, de jeunes musiciens se sont joints à une équipe de "vieux copains" qu’on aurait pu croire figée. Quelle erreur aurions-nous fait ! Quasiment trois générations cohabitent et s’entendent à merveille et les goûts et innovations de la jeune classe s’inscrivent, sans heurt mais avec quelques bousculades salutaires, dans les recettes éprouvées des anciens. Olivier Bost (guitare électrique), Clément Gibert (clarinette), Guillaume Grenard (trompette) — j’espère qu’on retrouvera à ses côtés le vieux briscard Jean Méreu la prochaine fois —, tous arrangeurs de surcroît, apportent ces idées neuves et cette jeunesse qui font de la Marmite, l’une des plus anciennes grandes formations françaises (et pas que), la plus fraîche et la plus jeune de toutes !
Nous avons à portée de nos oreilles (pourtant bien trop hexagonales), un orchestre absolument exceptionnel ; il serait temps que tout le monde le sache, programmateurs compris, et le place à sa véritable place : la première !
> LA MARMITE INFERNALE : "Le Cauchemar d’Hector" - ARFI AM 052 - distribution Abeille Musique
Guillaume Grenard : trompette, trompette à coulisse / Jean-François Charbonnier : tuba / Alain Gibert : trombone, flûte à eau / Patrick Charbonnier : trombone, daxophone / Jean-Paul Autin : saxophone sopranino / Jean Aussanaire : saxophone alto / Guy Villerd : saxophone ténor et voix / Éric Vagnon : saxophone baryton / Clément Gibert : clarinette / Xavier Garcia : sampler, traitements / Olivier Bost : guitare, trombone / Jean Bolcato, Éric Brochard : contrebasse / Michel Boiton, Christian Rollet : batterie.
01. La Corsa all’ abisso / 02. En mer, voyez six vaisseaux ! / 03. Préface des “ Mémoires ”/Despair and Die / 04. La Chasse à la grosse bête / 05. Scènes aux champs / 06. Pas d’esclaves nubiennes / 07. Marche funèbre / 08. Fragments symphoniques / 09. Lacrimosa / 10. Le Fantastique nain de Sophie.
Enregistré à Saint-Priest (69), en janvier 2012.
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