Le trompettiste Nicolas Folmer poursuivait son chemin avec Daniel Humair à Lyon en invitant Dave Liebman... Résidence en octobre, disque en février.
En résidence à Lyon en octobre 2013, le trompettiste Nicolas Folmer poursuivait le cheminement amorcé avec avec Daniel Humair (batterie) dans le disque
Lights (Cristal records - 2012). Yves Dorison nous a déjà donné son point de vue sur une des soirées (5 octobre). Marceau Brayard y revient au moment où va paraître le disque annoncé pour restituer ces journées lyonnaises.
Les 4 & 5 octobre dernier nous étions à l’amphi de l’opéra de Lyon. Pourtant nous n’étions pas deux fois le même spectateur lors de ces deux soirées composées à l’identique par les musiciens.
L’une et l’autre furent vécues de strates d’écoutes qui venaient enrichir, embellir, la précédente, voire la suivante, en complétant notre compréhension de cet ensemble.
Et puis ne nous a-t-on pas appris qu’on ne se baigne jamais dans le même fleuve ? Pour l’étoffe musicale c’est pareil. Les croisements des fils instrumentaux s’entrelacèrent de reliefs enrichis d’une ardeur renouvelée à chaque fois. Quel que soit le sens dans lequel on replaçait la lecture contextuellement.
De toute évidence en sortant de ces deux épopées on ne pouvait que constater que nous avions été confrontés à un précieux sésame.
Dès lors tout ne se passera pas comme sur un terrain idéologique où d’habitude la première préoccupation des participants consiste à verbaliser cette phrase vide de sens « je ne suis pas d’accord ! ». Le jeu du Je participant souvent à clamer son simple narcissisme haut et fort.
Lors de ces deux soirs, le cadre se situait dans l’écoute préliminaire avant que d’oser prétendre quoi que ce soit. Et lorsque tout s’embrasait il n’y avait pas une once de contradiction puisque la vérité musicale déployée sous nos yeux n’était dangereuse pour personne et ne comportait aucun piège. Ils s’égarèrent dans cette confiance réciproque et même dans des déchirures qui restèrent plausibles à l’entendement de celui qui voulait bien les sentir. Cette articulation s’optimisait sous l’égide des attentions de chacun, face à la magnanimité qui s’y développait devant une salle devenue muette.
Dans la caverne de l’Amphi de l’Opéra tout reste possible pour se comprendre s’entendre s’accepter dans cet état de grâce où l’on peut partir à la recherche d’une mine d’or qui ne demande qu’à être fouillée.
Pour l’unisson global de sa résidence, le trompettiste Nicolas Folmer a fourni la matrice nécessaire pour que se confectionne ce vertigo jazz, permettant aux conduites instrumentales de tracer leur empreinte de caractère en respectant malgré tout la logique des fonctions naissantes.
Dave Liebman, l’invité du trio, a véritablement une auréole de prestige au-dessus de sa tête. Il a le génie en lui dès qu’il retire le capuchon de ses saxophones, soprano et ténor. Il a une allure de sphinx à la maîtrise divine. Il y a un cri d’amour à la vie pour cet homme qui a toute sa vie durant surmonté des réparations corporelles pour revenir incessamment à ses instruments qui lui réclamaient une recherche perpétuelle à découvrir de nouvelles silhouettes pour en extirper sa véracité d’une fiévreuse ténacité.
Peut-être partagerait-il cette vision d’Antonin Artaud issue de ses Fragments d’un Journal d’Enfer : « Toutes les choses ne me touchent qu’en tant qu’elles affectent ma chair, qu’elles coïncident avec elle, et à ce point même où elles l’ébranlent, pas au-delà. Rien ne me touche, ne m’intéresse que ce qui s’adresse directement à ma chair. »
Le quartet s’anoblissait avec sa venue et les accompagnateurs le suivaient, divinement émerveillés, par ce qu’il diffusait sans relâche en plaçant un gnosticisme à ciel ouvert savamment orchestré dans les différentes allures incantatoires. Il exploitait avec ivresse les compositions du jeune trompettiste, qui lui servaient juste d’appât, pour venir tyranniser ses anches au point de les faire parfois soupirer d’un désir torride, mais aussi de douleurs persistantes qui traduisaient une quête à l’issue impalpable.
De ces cinq fonctions instrumentales, nous tirions la vision d’une soudaineté magnétique qui nous submergeait de bout en bout. Tel un envahissement conçu méticuleusement avec des avancées en bloc, jaillies dans une suite moderne structurée. D’ailleurs l’inébranlable batteur Daniel Humair également invité, se cabrait face au jazz des années 60. Il ne veut plus jouer des standards, il veut une ligne moderne qui renouvelle les rythmes serviles qui risquent de donner une image étriquée se trompant d’époque en oubliant le présent. Et pour cela il a la souplesse professorale révélée d’un esthète de sagesse qui s’oppose à toutes les lourdeurs.
Dans ce truchement ils décortiquaient la trouvaille en s’éclairant sous le regard des autres, qui de façon isolée accompagnaient ce processus de fabrication partagée.
Cette transposition demeurera réussie au moyen des différents épisodes et ses convocations de styles, mélangeant ainsi une forme de suspens à cette démarche savoureusement érudite. Au tournant des deux jours le renversement scrupuleux s’invitera pour certains titres, dont « Chanson » que Nicolas Folmer a conçu pour son fiston que le jazz impressionne encore. Cette douce mélodie il y a plusieurs façons de la concevoir. Il allait donc falloir s’y coller, ils allaient devoir se délester de quelques présupposés. Dans une cogitation partagée ils devaient prendre de la hauteur et atteindre ainsi une dimension jazz spirituellement remplit d’une passion issue du destin collectif. Ces gens-là ne sont pas des fanatiques, ils avaient le goût pour s’équilibrer d’une équité suprême. Ils manipulaient la balance musicale interne sans être courbés sur eux-mêmes, permettant ainsi un éloignement des vaines futilités routinières.
Nicolas Folmer : trompette / Daniel Humair : batterie / Dave Liebman : saxophones ténor et soprano, flûte ethnique / Emil Spanyi : piano / Laurent Vernerey : contrebasse
Parution le 11 février 2014. |
Nicolas FOLMER : "Sphere" Venu des quatre jours passés en résidence à l’Opéra de Lyon, ce nouvel album regroupe les plages enregistrées avec Dave Liebman (lire ci-dessus) et Michel Portal, second invité du quartet pour les deux autres journées lyonnaises. Dans les deux premières parties de Lunaire, on n’entend que le quartet en l’absence de ses anges des anches. .::Thierry Giard: :. Un disque à retrouver dans la Pile de Disques de février 2014 (publication fin janvier). |
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