Bonus Track !

Tout a commencé le 21 juin - tiens, tiens - en l’Eglise St Eustache de Paris. Le Projet Bach/Coltrane de Raphaël Imbert. Je vous jure que les poils de mes avant-bras se sont dressés jusqu’à la voûte quand il a attaqué « After the rain » au ténor. Prestation d’ autant plus émotionnelle qu’André Rossi a pu utiliser les grandes orgues. Et beaucoup plus coulée que le disque, les titres n’étant que rarement séparés.

C’est à Bercy le 24 juin que j’ai ressenti mon deuxième choc parisien. Avec le Santana Band. Certes le jeu de guitare de Carlos est toujours aussi flamboyant, avec ce son unique, mais ce qui a changé c’est la cohésion et la furia de l’orchestre. Carlos m’a dit que depuis son divorce il s’investissait affectivement et musicalement à 120% avec ses musiciens.

  • « Tu vas voir, je n’ai jamais eu un groupe aussi bon »,
  • « Mais Carlos, ce sont les mêmes musiciens depuis dix ans »,
  • « Oui, mais tu vas voir ». 

J’ai effectivement ENTENDU. En prime, un « Naima » en duo avec le trompettiste et trois titres de…Albert Ayler, dont « Truth is marching in » ! Ainsi que les habituelles citations de « Afro blue » et « A Love Supreme ». On m’a assuré que les deux concerts de Monaco étaient du même tonneau.

L’anche d’Ornette Coleman !
Photo © Michel Delorme

À Vienne le 3 juillet, Ornette Coleman a donné un concert exceptionnel. Denardo à la batterie, il faudra s’ y faire jusqu’ au bout, un bassiste électrique et un contrebassiste. Lequel a passé sont temps à jouer des suites de Bach à l’archet, que survolait l’alto blanc du chef. Scène cocasse dans les coulisses après le concert : moi au contrebassiste :

  • « Vous connaissez l’extrait de la Cantate La Chasse, May sheep safely graze ? », - « Non »,
    je lui fredonne,
  • « Ah oui » et il chante avec moi.
    Ornette passe alors une tête dans l’entrebâillement de la porte de sa loge et entendant la chose, se met à chanter avec nous. Encore un inédit qui s’envole dans les nuages ! À part ça, il s’est passé une histoire pas banale pendant le concert de Wayne Shorter l’avant veille. J’ai l’autorisation de filmer tous les concerts du quartet auxquels j’assiste (merci pour une copie de Coutances, même audio !) et à un certain moment il y a eu des sortes de petites étincelles au dessus des musiciens. J’ai alors choisi de braquer ma caméra sur l’un des deux écrans géants où on voyait mieux le phénomène.

Après le concert, Wayne me dit : « Miles était là ce soir » ! Quoi qu’il en soit, personne à ma connaissance n’a encore signalé combien il est paradoxal que ce compositeur, l’un des deux ou trois plus grands du 20eme siècle, s’obstine à ne plus exposer ses thèmes sublimes et se contente de les effleurer. Il faut oser ! À deux pas, chaudement recommandé, le Jazz Mix de notre ami Réza Ackbaraly au Magic Mirror où l’on entend jusque tôt le matin du funk, du groove, de l’électro. Je garde un grand souvenir de la prestation de Linley Marthe, un temps bassiste chez Michel Portal, entre autres.

Michel Delorme et Joachim Kuhn à Porquerolles
Photo © Geneviève Peyregne

En l’Isle de Porquerolles le 11, c’est incontestablement au grand Joachim Kühn que revint la palme. Avec son trio, Majid Bekkas, gembri, oud, et Ramon Lopez, batterie, percussions, il s’est envolé loin au dessus du CD correspondant. Un concert plein des belles et bonnes compositions de Joachim, du drumming (?!) insensé de Lopez, du chant et du jeu de Majid, et empreint d’une folie communicative. Pourquoi Joachim Kühn n’est-il pas programmé plus souvent ? 

Puis le 12, Avignon pour la magnifique pièce musicale de Luc Clémentin « A Love Supreme ». Pièce inspirée du texte d’ Emmanuel Dongala. 




Keith Jarrett - festival d’Antibes Juan Les Pins 2008
Photo @ Robert Yvon

Antibes-Juan les Pins le18. Il n’y a pas eu photo (sic) pour Mr Keith Jarrett. Concert éblouissant, en particulier les deux rappels, un « God bless the child » funky/gospel et un « When I fall in love » à l’invention mélodique et harmonique enthousiasmantes. Dire que le pianiste-star a débuté en France sur cette même scène en 1966 dans le quartet de Charles Lloyd, aux côtés de Cecil McBee et d’un certain Jack DeJohnette. Etonnant, non ?

À noter que Virginie Teychené enleva la première place des Révélations, plébiscitée à la fois par le Jury et le Public, chose extrêmement rare qui mérite l’admiration.
 
Chez sa voisine Nice, ex-aequo entre Maria Schneider et le San Francisco Jazz Collective. Avec Maria, la beauté du voicing des arrangements le dispute à la qualité de grands solistes, en particulier le ténor fou Donny McCaslin et le nouveau monstre de la guitare Ben Monder.

Maria Schneider
Photo © Robert Yvon

C’est bien simple, on ne parle plus que de trois musiciens actuellement, Dave Douglas et les deux précités. J’ai eu accès par le truchement de la télévision à deux autres concerts, Vienne et Vitoria Gasteiz, et je dois dire que celui des espagnols fut le plus réussi, surtout à cause d’un solo de guitare ahurissant et du choix des compositions. Pour Vienne, tout fut d’un égal bonheur sauf que « My ideal » n’est pas une composition de la dame mais de Whiting et Chase. Je vous ai déjà parlé de McCoy Tyner et « Naima », mais il y eut aussi le cas de Chucho Valdes qui touchera des droits d’auteur pour le standard « Stella By starlight » ! Quant au SF Jazz Collective, Dave Douglas (encore lui ?!) et Joe Lovano étaient les plus connus d’un rutilant All Star Band. Et quand je vous aurai dit qu’ils ont joué en majorité des compositions de l’immense Wayne Shorter, vous saurez de quoi je parle. Là aussi je suis preneur d’une copie, de quelqu’endroit de la planète qu’elle provienne. 

Choix cruel encore à La Seyne sur Mer : Freddie Redd, Moutin Réunion, Pete la Roca….Mais je voterai pour un grand set de David Murray, emballant d’un bout à l’autre. Et quelle armada de saxophonistes dans ce festival : Jesse Davis, Rick Margitza, Tony Malaby, André Jaume, Lew Tabackin, Hervé Meschinet, Jean-Michel Proust, George Garzone, Eric Seva, Steve Potts, Thierry Mauci, Bob Mintzer, David Murray ! 

David Murray & Friends
Photo © J. Angelini

Grande soirée de piano (évidemment) à La Roque d’ Anthéron, ou plutôt dans les Carrières de Rognes. Un Tigran Hamasyan phénoménal, formidablement propulsé par le tandem Moutin. À un moment donné, Louis était assis vingt centimètres ….au dessus de son siège ! Joachim Kühn donna un concert moins fou qu’à Porquerolles, mais plus beau. 

Marciac 2008. Malgré une spectaculaire soirée John Zorn et un set sublime de Paolo Fresu, c’est Brad Mehldau qui m’a le plus emballé. Ce diabolique pianiste, et musicien, fut à son sommet de sensibilité dans « Samba y amor » de Chico Buarque, « The falcon will fly again » de lui-même, « Something good » Roger /Hammerstein, et « My ship » de Kurt Weil, et non de George Gershwin comme certains l’ont écrit. Fidèle à son habitude, il investit des titres de Massive Attack et Brian Wilson. Je rêve de l’entendre interpréter quelques merveilles d’Elton John. La soirée donna lieu à polémique, les uns s’ennuyant à Mehldau, les autres, dont je fus, à Mc Coy Tyner. Le géant qu’il était avec Coltrane et l’excellent pianiste il y a peu avec Joe Lovano (ou surtout deux sets au Yoshi’s d’ Oakland avec Ravi Coltrane et Phraroah Sanders), est devenu un concertiste. Certes, il y eût de bons moments, de belles intros notamment, mais il frappe maintenant son clavier à tours de bras (sic). Si certains n’entrent pas dans la musique de Mehldau, c’est peut-être parce qu’il me semble utiliser sa main gauche comme une main droite, créant une sorte d’ostinato, et cela s’emmêle dans leur esprit. Et pour conclure en beauté, les sets de Virginie Teychené au Off de la place de l’ Hôtel de Ville. Un Off qui ferait pâlir de jalousie bien des programmes de scènes principales et c’est Virginie qui aurait dû être sous le chapiteau le 3 août.