Le quartet du saxophoniste, en Basse-Normandie.

Les jazzophiles bas-normands qui, pensant avoir eu leur content de musique en mai à Jazz Sous les Pommiers, auraient dédaigné de se rendre à Louvigny ce samedi 30 mai pour écouter le saxophoniste Tony Pagano peuvent s’en repentir. Ils ont en effet manqué là une prestation digne de figurer sur la plus grande scène de n’importe quel festival, avec, en plus, l’avantage de la plus grande proximité avec les musiciens, dans l’ambiance confinée du sympathique Camion-Jazz.

L’âge ne semble avoir aucune prise sur cet homme paisible qui, à 78 ans, est encore et peut-être plus que jamais au sommet de son art.

François Gallix (contrebasse) et Tony Pagano (saxophone ténor).
Le Camion Jazz, Louvigny. Photo © J-P Poirier

Musicien américain installé en France depuis de nombreuses années, entouré de jeunes musiciens adhérant totalement à la démarche artistique du maître, Tony Pagano nous a offert une prestation éblouissante et profondément émouvante, une grande leçon d’expressivité musicale servie avec une énergie et une générosité sans faiblesse.

Musicien subtil doté d’une très grande culture et sensibilité artistique, chercheur et travailleur infatigable, son style d’improvisateur synthétise l’héritage des grands maîtres qu’il a longuement étudiés (Coltrane, Shorter notamment) et à partir duquel il s’est construit sa propre identité. Le discours est fluide, les phrases incisives, toujours impulsées par une intention claire et articulées par une respiration aussi naturelle que celle de la parole. Les effets de l’instrument, parfaitement maîtrisés, sont toujours au service de l’expression musicale. Tony ouvre des portes, dévoile des paysages, lance tantôt des trilles d’oiseau dans l’aigu, tantôt des graves gutturaux évoquant quelque paisible pachyderme, varie avec une grande subtilité les intensités énergétiques et sonores. Tony Pagano est un conteur, un magicien, sa musique est habitée.

Ses compositions sont inspirées par un esprit impressionniste évoquant une "Vallée de la lune" ou un souvenir de séjour dans le Sahara marocain. Il rend également hommage à des compositeurs qu’il admire tels Joe Henderson ou encore le saxophoniste d’origine caennaise Gaël Horellou (Chant pour la Terre) qu’il présentera comme un "grand musicien". Dans la bouche d’un artiste d’une telle envergure, ce n’est pas un compliment à prendre à la légère.

Fort de sa longue expérience, il entraine habilement dans cette aventure ses jeunes accompagnateurs, les poussant à donner le meilleur d’eux-même. A la contrebasse, François Gallix ( par ailleurs membre du nouveau quartet du sus-nommé Gaël Horellou ) joue avec une intensité et une liberté parfaitement en accord avec l’estéhtique musicale du saxophoniste. Sa sonorité très profonde dans le grave en fait l’élément terrestre, presque tellurique, du paysage.

Le batteur Stéphane Foucher fait preuve d’une belle inventivité mise en valeur à plusieurs reprises dans des interventions subtilement amenées et accompagnées par les autres musiciens. Quant au pianiste, Étienne Deconfin, âgé de seulement 18 ans (!), il s’agit là tout simplement d’un jeune prodige. Tony Pagano dit de lui qu’il joue déjà "comme les plus grands", et l’on est en effet stupéfait face à l’aisance et à la culture musicale dont il fait preuve.

Ce soir là, à Caen, quelques amis que le saxophoniste avait connus, pour certains, musiciens avec qui il avait joué, alors qu’il résidait en Basse-Normandie dans les années 80, étaient venus l’écouter. Visiblement ému et heureux de ces retrouvailles, Tony donna sans doute le meilleur de lui-même. Toutefois, l’authenticité et la profondeur évidentes de son engagement artistique, sur lesquelles s’appuie cette belle énergie qui l’habite, laissent à penser qu’il ne doit jamais décevoir son public, envers qui il fait preuve d’un respect exemplaire et d’une touchante humilité.

La marque d’un grand artiste.


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