Une rencontre chaleureuse entre trois grands habitués du festival.

Habitué aux Rencontres Internationales de Jazz de Nevers, Daniel Humair n’est pas un batteur comme les autres. Certains diront qu’il est aussi peintre et amateur de grande cuisine. Il faudrait surtout ajouter qu’il est le précurseur de rencontres marquantes. Depuis plusieurs années, il n’hésite pas à servir délicieusement la rythmique de grands solistes européens et d’Outre-Atlantique. Certains se souviennent de ses passages lors des beaux soir du festival avec les quartets de Michel Portal et Joachim Kühn, en trio avec Marc Ducret et Bruno Chevillon ou encore avec son quintet Baby Boom, où il côtoie sans esprit de supériorité ses partenaires privilégiés de la nouvelle génération. Plus récemment, il agrémentait la rythmique de John Surman et Dave Liebman au côté de Jean-Paul Celea, contrebassiste régulier du batteur depuis quelques années. La venue du pianiste François Couturier n’est pas un hasard, lorsqu’on connaît la fidélité marquante qu’entretient le festival avec quelques artistes majeurs de la scène européenne. Il était présent en 2003 dans le quintet Et la tosca passa du flûtiste Michel Edelin avec Daniel Humair. Pour les amateurs attentifs du festival, le pianiste accompagnait dans les premières années le Swing Strings System de Didier Levallet, le Multicolor Feeling d’Eddy Louiss et le quintet Passaggio, formation phare des années 90 codirigée avec Jean-Paul Celea. Ces trois piliers du jazz français se retrouvaient le 13 novembre dernier sur la scène familière du petit théâtre à l’italienne de Nevers avec Tryptic pour un concert des plus attendus de cette 23ème édition du festival.

Daniel Humair
à Lyon (2006) | Photo © Yves Dorison

Certains pourraient se dire : « encore un trio à la formule piano contrebasse batterie, rien de bien différent de ce que l’on connaît déjà !  » Mais gare à ces propos rapides, trop généraux et exempts de connaissances. Daniel Humair ne sert pas le plat de cette soirée pour nous offrir les mêmes entremets que ceux partagés avec Joachim Kühn, René Urtreger ou Gabriel Zufferey. Tryptic n’est pas un trio habituel, bien que son instrumentation soit classique. Il est l’union de trois grandes pointures au langage charmeur, qui aiment flirter avec le classique, le jazz contemporain, l’improvisation collective et quelques standards. Au menu, des adaptations originales de Ludgwig Van Beethoven, Gustave Mahler et Benjamin Britten, jouées selon la sensibilité des trois complices. On retrouve le jeu chorégraphique très personnel du batteur où il explore délicatement les sons étincelants de ses cymbales et les résonances sèches de ses toms, qui relèvent le goût intensément riche et exquis de cette musique lyrique aux ingrédients scrupuleusement dosés. On aperçoit des regards complices et des sourires aux coins des lèvres, certainement significatifs d’une histoire commune longue et d’un plaisir intense à jouer ensemble. La musique fluide, raffinée et sensuelle répond à un critère trop peu visible dans les trios de piano : celui de créer un tout commun atypique sans soliste apparent dans la durée, où les trois pôles sont à peine discernables. L’abondance des propos est délaissée au profit de leur concision. Du grand art servi avec classe, où chaque agrément prend une place judicieuse dans ce plat raffiné, cuisiné par les trois maîtres avec une pointe de mélancolie qui satisfait tous les désirs.

Tryptic est un répertoire à consommer sans modération. Pour les spectateurs qui n’auraient pas pu être servis, rien à regretter : le plat des trois chefs peut aussi être commandé au prix modique de quinze euros sur internet, pour être consommé chez soi sous la forme concentrée d’une galette, qui ne demande qu’à être servie sans préparation. A ce tarif et à la veille des fêtes de fin d’année, on aurait tort de se priver d’un tel menu !


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