A l’époque des Yéyés, un pianiste de jazz français et encore frais émoulu de sa province natale, et bien il lui arrive de trimer quelque peu pour joindre les deux bouts... Avec un peu de bol, en trainant à droite à gauche, il peut remplacer André Persiani au Tabou, passer au Saint Germain des prés et finir comme pianiste attitré du Blue-Note. Et là, accompagner les jazzmen américains de passage à Paris, tout de suite, ça le pose. Surtout qu’il est vraiment doué, sa formation de base classique ne le dessert pas, qu’il a fait du studio en veux-tu en voilà derrière les Tino Rossi, les Claude François, voire les Sheila... Dans la même veine,si je peux me permettre, glisser quelques accords d’orgue Hammond dans le «  Je t’aime moi non plus » de Gainsbourg (qui l’admirait, c’est une évidence), ça a du le faire marrer aussi. D’autant plus qu’il avait passé pas mal de temps à New York à batifoler avec Yusef Lateef, qu’il avait un trio régulier avec Saudrais et Sanson (pas Véronique, enfin...), qu’il avait déjà joué avec Baker,Mezzrow, Don byas, The Hawk. Je vous évite le listing complet, c’est long comme un jour sans pain.

Mais bon, j’peux pas ne pas écrire qu’il a joué avec Art Taylor, Anita O’Day, Dexter Gordon,Michel Legrand, Sonny Criss, etc. Il est si maître de ses quatre-vingt touches, si fluide dans son jeu, si bourré de swing, qu’il est incontournable. Et puis il est à l’aise dans tous les genres, le gars. Il a une science du jazz qui en fait baver plus d’un. En studio, une prise. Pas plus. A quoi bon essayer mieux. C’est toujours nickel au premier jet. Monsieur une prise, on l’appelait, j’invente pas. Tous ceux qui ont joué avec lui vous le dirons. Et ceux qui l’on vu joué, comme moi, vous diront aussi que mine de rien, derrière la ficelle qui retenait ses lunettes, la simplicité du bonhomme était à l’aune de sa maestria pianistique. Mais ça suffit pas pour être célèbre ça. Tout au plus célébré par un prix ou deux, une médaille. Ses pairs le reconnaissent, maigre consolation. En quelques décennies, le marseillais de naissance dont les parents venaient de Constantinople, il a gravé un ensemble de galettes assez impressionnant. Tiens, au hasard, écoutez donc l’album « Rencontre » avec Joe Chambers (un sacré client celui-là) et Ira Coleman. Enregistré au Japon, s’il vous plaît. Là-bas on l’accueillait à bras ouverts. Manquent pas de flair au pays des rizières... Nul n’est prophète en son pays, hein ? Ecoutez-le aussi attaquer le répertoire d’Ellington et de Gershwin, ça va vous calmer. Après des trucs pareils, vous irez pas dire que le dernier pianiste encensé par la critique est un héros. Ouais je sais, c’est du jazz classique. Mehldau, c’est autre chose. Mais Ravel aussi, non ? D’ailleurs ces deux-là, c’est pas demain la veille qu’il me f’ront taper du pied, la bouche fendue jusqu’aux oreilles, à regarder celui d’à côté pour voir si ça lui fait pareil. Parce que ça lui fait la même ! Trop dur de résister à son inventivité, à son aisance. C’est bien simple, on l’écoute et on oublie que Wittgenstein (pas ludwig, son frère, Paul) jouait des concertos pour la main gauche avec le bras que les français lui avait laissé en quatorze. On se souvient plus de types pourtant pas si mal derrière un Steinway qui nous avait fait lever le sourcil droit. En fait, ce genre de jazz, ça rend heureux. Sûr qu’il avait sous les doigts des septièmes diminuées (moi, je suis le quatrième de six, et bien diminué aussi), mais je fais pas la différence avec la soixante-sixième augmentée. Alors quand j’ai un musicien de cet acabit devant moi ou entre les portugaises, ce qui compte, c’est le plaisir qu’il me donne et le plaisir qu’il y prend. Point barre. Faudrait voir à pas oublier que le jazz est aussi une musique jubilatoire. Être festif, c’est un état d’âme comme un autre. C’est pas honteux. Voilà pourquoi c’est culte.

Au fait, son nom, c’est Arvanitas. GEORGES ARVANITAS. Compris ? Il a séjourné sur terre entre le 13 juin 1931 et le 25 septembre 2005.



L’album Soul Jazz est disponible en MP3. Ceux qui aiment les CD doivent aller faire un tout ici, s’il y en a encore.

3 AM et Cocktail for three sont réunis dans un CD disponible un peu partout.

L’album Rencontre est nettement plus difficile à trouver à un tarif raisonnable. Il faut chercher régulièrement sur internet la bonne occasion.

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