Une 17ème édition multicolore !

Dans le genre "je me dois de m’intéresser à la culture", il y a des élus qui font acte de présence et d’autres qui viennent par plaisir.

  • Philippe Duron, le maire de Caen, est sorti très souriant et visiblement enthousiaste de la grande salle du Théâtre. On le comprend car cette 17ème "Nuit du Jazz" (qui ne dure "que" 4 heures et quelques afters !) fut une belle et chaleureuse soirée, un de ces moments à l’issue desquels on a envie de rester à discuter dans le hall et, mieux encore, de pousser une porte pour s’asseoir au Café-Côté-Cour et prolonger en écoutant le solide quartet constitué de Baptiste Herbin au saxophone (musicien au phrasé alerte et imaginatif), Emmanuel Duprey (piano agile, de retour dans "sa" ville), Mathias Allamane (contrebasse de référence) et Rémi Vignolo (batterie effervescente).

La formule actuelle de la Nuit du Jazz (dans le cadre du festival Focus Jazz [1] est construite de manière fort judicieuse avec deux concerts dans la grande salle du théâtre entrecoupés d’un set de 30 minutes dans les foyers avant le final en formule club au Café Côté Cour. Le public est invité à se déplacer : c’est bon pour se dégourdir les jambes (sans mettre le nez dehors) et ça crée de la convivialité en invitant aux rencontres et aux échanges.

Mark Turner - Photo © Christian Ducasse.

En ouverture, le pianiste Baptiste Trotignon présentait son trio augmenté du saxophoniste étatsunien Mark Turner. Une affiche alléchante d’autant plus que le belge Dré Pallemaerts était à la batterie, toujours aussi pertinent et efficace, et l’excellent Diego Imbert à la contrebasse, décidément une des plus belles sonorités actuelles sur cet instrument.

Avec Baptiste Trotignon, on a droit à du très grand piano pour donner toute sa dimension à un jazz inventif, solide sur le plan harmonique et rythmique et toujours en mouvement. On ne s’ennuie pas une seconde à écouter les accords ciselés, une main gauche qui s’affirme avec autorité, un phrasé sophistiqué qui reste naturel et abordable. Du très beau piano disait-on et un musicien très ouvert aux échanges comme le prouve sa complicité avec Mark Turner.

  • Il nous semble bien que le saxophoniste new-yorkais ne s’était encore jamais produit en Basse-Normandie et sa venue à Caen faisait figure d’évènement [2]. On se réjouit d’autant plus de le voir et d’entendre son jeu si personnel qu’il nous avait fait peur en 2009 quand il avait été victime d’une grave blessure à la main. Aucun doute, il est en pleine possession de ses moyens ! C’est non seulement un saxophoniste étonnant d’inventivité mais c’est aussi un musicien capable de se fondre dans le projet de B. Trotignon comme s’ils jouaient ensemble chaque jour. Certes, ils se connaissent bien et l’entente est remarquable entre le trio et celui qu’on pourrait qualifier de soliste s’il ne s’agissait d’une vraie musique d’ensemble pleine de vitalité et de swing impertinent.
  • Une remarquable entrée en matière pour cette "Nuit" 2011.
Omar Sosa - Photo © Christian Ducasse

Le pianiste cubain Omar Sosa, lui, est un homme de contrastes au croisement des cultures traditionnelles et contemporaines (un côté roots branché !). Un sacré personnage qui aime jouer au personnage sacré comme en atteste le cérémonial en prélude à chacun de ses concerts : photophore écarlate, chasse aux mauvais esprits, attitudes incantatoires dans une gestuelle très esthétique. Tout cela fait partie intégrante de son univers.

  • Nous devons reconnaître que la musique d’Omar Sosa ne nous laisse pas insensible (comme le prouvent les chroniques deses disques récents parues sur CultureJazz !). Son tout dernier opus, Calma (chez World Village), en piano solo "harmonisé" par une touche subtile d’électronique est tout autant digne d’intérêt et nous allons en reparler très prochainement.
  • Seul devant son piano, il entame le concert dans une ambiance très méditative et poétique (un beau toucher de clavier !). Un à un les instrumentistes entrent en scène. Un dialogue entre piano et sanza amplifiée (par le bassiste Childo Tomas) nous fait dériver vers des ambiances africaines (écouter le disque Afreecanos...). La batterie de Marque Gilmore installe une pulsation de plus en plus intense et le chant du saxophone (Leandro Saint-Hill), méditatif et aérien au soprano devient beaucoup plus stéréotypé à l’alto dans un esprit fusion à la David Sanborn.
  • C’est à ce moment là, de notre point de vue, que la musique perd ses couleurs chatoyantes, inventives et mouvantes pour prendre une forme beaucoup plus rigide, mécanique et électrique qui bascule du côté du funk et du groove. Omar Sosa se métamorphose et garde la contrôle et joue fort habilement "de" son quartet, créant des ruptures, relançant les solistes. Le pianiste fait alors preuve d’une grande habileté dans l’emploi de ses claviers pour créer des ambiances fort bien agencées... mais la musique a perdu de son originalité.
  • Si le critique chipote, le public, lui, se régale et en redemande dans une ambiance très chaleureuse qui nous permet de remarquer que la moyenne d’âge des spectateurs s’est sérieusement abaissée au théâtre de Caen ! Un rajeunissement fort encourageant !
Baptiste Herbin, Emmanuel Duprey, Mathias Allamane et Rémi Vignolo
Photo © CultureJazz

On terminera en saluant à nouveau la disponibilité et la générosité des quatre mousquetaires chargés de l’interlude et du final. Le quartet Herbin-Duprey-Allamane-Vignolo, uni pour la cause du jazz et pour la circonstance a totalement rempli sa mission en jouant une musique venue du be-bop, nourrie d’influences diverses avec un engagement qui n’existe que dans notre musique favorite !

Rendez-vous au printemps 2012 pour une nouvelle nuit du jazz à laquelle Michel Dubourg, infatigable programmateur, réfléchit dès à présent !

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> Liens :

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© Association CultureJazz® - avril 2011 - www.culturejazz.net®

[1Un mois de jazz en Basse-Normandie au début du printemps - 5ème édition en 2011 - www.focusjazz.fr...

[2On le retrouvera lors de l’édition 2011 du festival Jazz sous les Pommiers à Coutances aux côtés des pianistes Bill Carrothers et Jozef Dumoulin dans le cadre d’un projet initié par Dré Pallemaerts (batterie)