Retour sur la première semaine du festival isérois.

> Vienne, vendredi 29 juin 2012

  Chick Corea & Bobby McFerrin

FFP
Jazz à Vienne 2012

Chick Corea et Bobby McFerrin, c’est une histoire ancienne qui perdure à travers les ans. Les deux compères ouvraient ce soir le bal d’une soirée "celsiusement" chaude tandis que leur manager ouvrait les hostilités, d’une soirée "pixellement" triste, avec les photographes. Sur ce dernier point, nous remettons la palme au manager de Richard Bona – est-ce le même que celui de Robert et Armando Anthony ? – qui jusqu’à l’ultime instant souhaita que les professionnels de l’image donnassent leurs photographies dès la fin du premier morceau joué (bis dat qui cito dat) , étant entendu que le dit morceau était bien sûr le seul autorisé. Nous en sommes tout émus encore... Vivement ce soir ! Peut-être que le manager d’Erykah Badu montera un laboratoire de développement backstage pour les professionnels amateurs de photographie argentique. Eh oui, il en reste encore !

Ah que vienne, que vienne le temps des clashes à Vienne... "Le XXIème siècle sera spirituel ou ne sera pas". Dixit Dédé. Faites votre choix mais, par les temps qui courent, ce siècle encore impubère fricote avec le mercantilisme, la vénalité – que dis-je ? la cupidité – et les imprésarios ( ainsi les nommait-on par le passé) toujours plus avec l’illégalité en matière de propriété intellectuelle et de droit à l’image. Hier soir à Vienne, certains photographes eurent le réflexe de poser leur reflex en bord de scène, en guise de protestation, et d’autres travaillèrent. La solidarité n’étant pas le trait marquant de la corporation, chacun balaiera devant sa porte, les vaches seront bien gardées, tout vient à point à qui sait attendre et après moi le déluge. Alea jacta est, fiat volontas tua et tutti quanti. Ecce homo ! qui dans sa misérable finitude en oublie presque qu’il y avait de la musique à écouter dans ce lieu tant aimé, si haï, où tout se crée et rien ne se transforme.

FFP
Jazz à Vienne 2012

Bobby et Chick, cheek to cheek, c’est une belle affiche, d’autant que le vocaliste aime à faire participer le public et que le pianiste scientologue se prêta, en la circonstance, aimablement au jeu. Vivats enthousiastes au menu donc pour une flopée de standards, que l’on apprécie grandement, mais qui bénéficièrent ici d’un traitement a minima de la part de deux artistes dont tout un chacun attendait un peu plus. Certes, de belles improvisations agrémentèrent le set et la complicité fut au rendez-vous. Mais il manquait le je-ne-sais-quoi, ou le presque-rien qui font la différence sur scène. Quant à Richard Bona venu croiser son Afrique natale avec les rythmes cubains, il fit ce qu’il avait à faire avec une réelle conscience professionnelle et un sourire de bon aloi. Rien de désagréable donc, mais rien de notable non plus qui nous permette de ressentir un quelconque émerveillement.

J’allais oublier : cette année à Vienne, les organisateurs ont voulu que la presse et les photographes ne soit plus mêlés à celles et ceux qui fréquentent habituellement l’arrière scène, artistes compris. Les us et coutumes se perdent donc et l’espace mis à disposition – ce n’est pas à proprement parler un lieu en soi – tranche sur le reste du festival par sa spartiate simplicité, voire son indigence. Serait-ce une mesure de rétorsion ou juste un aménagement nécessaire afin que chacun identifie en conscience sa juste place et son utilité ?


> Vienne, samedi 30 juin 2012

  Robert Glasper experiment

Robert Glasper au théâtre antique ? Une très bonne idée et une belle expérience. On attendait de voir comment s’arrangerait sur scène le quartet pour reproduire le très produit "Black radio" et nous ne fûmes pas déçus.
L’univers musical hybride du pianiste texan (Glasper, pas Moran) est assez conséquent pour s’adapter à tout type de groupe. En quartet, avec un Casey Benjamin omniprésent, un peu trop peut-être, d’autant plus que la modification constante de sa voix ou du saxophone déclenchèrent subrepticement chez nous une certaine lassitude, discret derrière ses claviers, Robert Glasper laissa parler sa musique. Le pianiste est inventif, possède parfaitement ses fondamentaux et laisse de l’espace à ses musiciens. Tout pour plaire quoi. Les influences multiples et bien digérées se marièrent avec une subtilité évidente dans une ambiance aux odeurs urbaines marquées.
Il est intéressant de noter que ces musiques actuelles semblent ne pouvoir exister sans un fond bitumineux laissant accroire que la cité et sa brutalité latente, sa superficialité et sa diversité, est par définition le creuset d’une création musicale captive de ses origines. Nous attendons d’écouter l’avenir de ces sonorités afin de comprendre comment et pourquoi elle s’affranchiront ou non d’une « tradition » ancrée dans l’éphémère.

  Erykah Badu

FFP I (I pour insolite)
Jazz à Vienne 2012

La soirée mix continua avec la diva Erykah Badu. Pour être honnête, nous n’en n’avions jamais écouté ne serait-ce qu’une note avant ce concert. De prime abord, le début du concert nous surprit en bien par l’originalité de thèmes exposés, la maîtrise instrumentale du groupe et l’indéniable présence scénique de la chanteuse. Cette première impression positive fut peu à peu estompée par une la dilution progressive des idées initiales dans un mix hip hop soul R’n’B convenu et, disons-le, assez fade. Bien évidemment, ce type d’artiste a ses inconditionnels à chaque apparition et l’ambiance fut au beau fixe. Une soirée honorable donc avec cette impression étrange laissée par le compteur numérique XXL de mademoiselle Badu qui égrène les secondes du début à la fin du show, sans rappel.


> Lundi 02 juillet 2012

  Gregory Porter

FFP
Jazz à Vienne 2012

En ouverture d’une soirée très prometteuse, le très prometteur Gregory Porter ouvrit le bal avec l’art et la manière de celui qui est convaincu, à raison, que le chant est sa vie. Pas de posture, pas d’esbroufe et un message à transmettre au travers de compositions originales de belle facture qui renouvellent avec brio la veine du chant jazz masculin. Avec l’aisance que possèdent seuls ceux qui vivent leur art avec sincérité, Gregory Porter imposa sur la scène du théâtre antique une présence rayonnante. Le public ne s’y trompa pas et, on le sait, il a bien souvent raison.

  Kenny Barron, Mulgrew Miller, Eric Reed & Benny Green

Un seul de ces pianistes suffirait à enchanter une scène. Nous nous interrogions donc au préalable sur le bien-fondé de cette drôle d’idée d’une réunion, pléthorique par le talent, pour un exercice de haute voltige plus propice à l’étalage du savoir qu’à l’interprétation musicale pure. Cependant, nous dûmes nous rendre à l’évidence. Ces quatre-là avaient préparé le coup. Soli, duos et quartet se succédèrent et chacun des pianistes put s’exprimer. Monk est omniprésent et personne ne s’en plaint. On ne reviendra pas sur le tour de force des huit mains pour deux claviers, si ce n’est pour dire qu’évidemment ce furent des moments de bonheur musical à la hauteur de la complicité qui animent les protagonistes de cet étrange combo augmenté pour un temps du pianiste Hervé Sellin.

  McCoy Tyner trio avec Ravi Coltrane

FFP A
Jazz à Vienne 2012

La légende est là sur la scène du théâtre antique avec son style inimitable et l’énergie qui le caractérise. Ce soir, il joue avec Coltrane... Ravi. Sur le clavier, il impose sa percussivité et cette aptitude unique à articuler les mélodies autour d’un leitmotiv communicatif à l’ensemble de ses musiciens. La rythmique est en place, à sa place même tant elle suit le pianiste bouillonnant. Coltrane fils, lui, impose sa touche personnelle et il faut le souligner car la difficulté de la situation, imposée par son patronyme, est malgré tout présente à l’esprit de chacun. Tout au long du set, le jeu d’accords de Tyner nous a semblé plus appuyé encore que par le passé mais, incontestablement, il demeure unique. L’ensemble possède cette saveur toujoujours vivace d’avant-garde maîtrisée que l’on aime encore quelques décades après.

À noter une interview sympathique de McCoy Tyner par Laurent De Wilde :
laurentdewilde.com/mccoy-tyner


> Mercredi 04 juillet 2012

  Tigran Hamasyan trio

Nous parlions hier d’énergie. Résident viennois, jeune et sauvage, le pianiste arménien a proposé un concert puissant qui nous musicalement laissé sur notre faim. Dans un genre pop rock ethnique et symphonique, Tigran Hamasyan a alterné en boucle les séquences introspectives et explosives, ces dernières un peu trop marquées à notre goût du désir d’emporter l’adhésion. Ses vocalises ont en outre développé notre sentiment de lassitude à l’égard d’une emphase musicale superfétatoire qui ne rend pas hommage à son incroyable talent. Seul le rappel, avec quelques citations methenienne nous a réconcilié avec le jazzman créatif et virtuose que l’on apprécie. Une erreur de jeunesse vraisemblablement que ce concert plus proche du show grand public que de la musique qui nous est chère.

  Pat Metheny Unity band

Fotophone Façon Public (FFP)
Jazz à Vienne 2012

Repoussé au fond de la grande scène pour des raisons qui nous sont inconnues, à tel point que les spectateurs du premier se plaignirent de ne voir du guitariste que le bout de son imposante tignasse, le Pat Metheny Unity Band à fait mouche. Composé de quatre fortes personnalités, capables de poser leurs égos dans la loge avant de monter en scène et qui nous ont donné à entendre que le meilleur de leur art, ce Unity Band très unitaire a dominé la soirée sans peine. Les choix réalisés dans le répertoire pléthorique du guitariste ont établi une set list qui avait des airs de best of. Ce que personne n’a regretté d’ailleurs tant la force identitaire des compositions du missourien, découvert par Gary Burton, est prégnante. Qu’il aborde le répertoire de 80/81 ou qu’il nous gratifie d’un "Are you going with me" avec un étonnant Chris Potter à la flûte, qu’il nous remémore Beyond the missouri sky ou telle autre pépite, Pat Metheny a démontré que son apport à une musique en son temps nouvelle – certains l’abhorrent quand d’autres la révèrent – ne perd aucunement de sa substance avec le temps, d’autant plus qu’avec un Antonio Sanchez inspiré (pléonasme), un Chris Potter officiant comme un lien tendu entre les différentes tendances du guitariste et un Ben Williams au jeu étonnamment mature (nous l’avions découvert il y a quelques années avec le très doué et encore insuffisamment reconnu Marcus Strickland), son concert nous est apparu comme l’un de ses passages viennois le plus abouti.


> Jeudi 05 juillet 2012

  Bigre !

Diantre ! On les connaît bien les jeunes du Périscope avec leur jazz funk rock improbable et survitaminé. Sans complexe en ouverture de soirée, ils ont donnÉ à ouïr leur musique à un public rapidement séduit par la qualité de la prestation. Toujours sérieux et appliqué, ce big band sait justement ne pas se prendre au sérieux. C’est là l’un de ses grands mérites et la preuve que lon peut faire du jazz en France sans avoir la nécessité de paraître intellectuel et éminemment concerné. Mention spéciale au festival qui ose programmer des régionaux sur la scène du théâtre antique.

  Aldo Romano & Enrico Rava inner Smile

FFP
Jazz à Vienne 2012

Enrico Rava, à son niveau habituel, n’a pas laissé passer l’occasion de briller. Thomas Bramerie et Baptiste Trotignon, solides comme de coutume, et Aldo qui fit du Romano ont laissé le fringant septuagénaire triestin marqué le concert de son empreinte. Qu’on l’aime ou non, les avis divergeaient backstage, il a dicté la marche à suivre à ses collègues, fort de cette culture jazzistique alimentée depuis bien longtemps par un bouillon d’influences qui lui permettent encore aujourd’hui d’affirmer sa personnalité et son originalité. Infatigable, il fut pertinent sous les pistons tandis que son co-leader nous semblait légèrement en retrait, non pas dans la frappe, mais dans l’approche.

  Lars Danielsson Quartet

Au club de minuit, où l’on retrouve Tigran Hamasyan, plus convaincant que sur la grande scène, dans le quartet de Lars Danielsson, le contrebassiste suédois. Flanqué de Magnus Öström, le batteur orphelin de E.S.T, au jeu si incisif et de John Paricelli, guitariste de la nuance aboutie, il a distillé sa vision de cette musique conjointement composée avec Tigran Hamasyan. Ce dernier, dans ce contexte, fait preuve d’une grande adaptabilité et, surtout, d’une retenue de bon aloi qui lui sied mieux. Lyrique et mélodique, l’art de Lars Danielsson tient dans cette capacité qu’il possède de transcrire l’espace et l’atemporalité des paysages nordiques à l’instar d’autres musiciens du crû de sa génération. Hamasyan apporte sa touche orientale et le mélange fonctionne harmonieusement et on ne peut s’empêcher de penser que la richesse du brassage en musique devrait être un exemple pour les esprits étroits qui nous emmerdent au quotidien, enferrés qu’ils sont dans leurs croyances étriquées.


> Vendredi 06 juillet 2012

Larry Carlton

FFP améliorée (FFP A)
Jazz à Vienne 2012

Imagine-toi à L.A., du côté de Santa Monica. Tu marches sur Ocean Park Boulevard un matin en direction du pacifique. D’un palmier l’autre, tu as le soleil dans le dos et tu sais qu’au bout il y a les vagues. Si t’écoutes pas du Larry Carlton sur ton Ipod, tu ne peux pas comprendre. Sauf qu’à la grande époque de Mister 3-3-5, le walkman était balbutiant. Il valait donc mieux faire le trajet avec une copine, à moins de traîner à bout de bras un magnéto cassette à piles avec un vrai son de chiottes, sous peine de s’emmerder grandement. À l’époque dont je te parle, Carlton avait déjà fait trois mille séances de studio et imprimé sa patte chez Steely Dan. Le son FM west coast était à son apogée et si tu écoutais Larry, il y avait de grandes chances pour que tu écoutes aussi David Sanborn et Lee Ritenour. En gros, c’était smooth. Un peu comme les vagues alanguies en début d’après-midi. Mais le problème avec les vagues, c’est qu’on les oublie l’une après l’autre. Ca ronronne et aucune en particulier ne retient ton attention bien longtemps. C’est FM west coast eighties quoi.
Alors oui, Larry Carlton est un type sympa et un putain de guitariste avec un putain de son qui n’appartient qu’à lui. On est content de le retrouver et les dix premières minutes nous remémorent nos vingt ans. Les dix suivantes, on admire sa technique incroyable. Après, on écoute attentivement ce qu’il est capable de créer sur son manche. Au bout d’une demi-heure, on est content qu’il nous apporte le soleil et les vagues. Et puis, les vagues étant ce qu’elles sont, on commence à papoter avec son voisin. On parle du bon temps, un peu de Larry aussi ou de son fils qui est pas mauvais du tout à la basse dans ce style inimitable tant de fois repris (?), du groove aussi... bref de tout un pan de la musique américaine dont l’immense succès n’a d’égale que la superficialité du genre. Ce qui n’est pas forcément une critique d’ailleurs ; il est doux et bon quelquefois de se laisser aller à la facilité. Ça mange pas de pain... C’est cool quoi. Allez ! fais tourner.

  Al Di Meola World Sinfonia

FFP
Jazz à Vienne 2012

Années 80 encore, toujours sur la côte ouest. Qui n’a pas son Friday in S.F ? En conférence de presse Al Di Meola se souvient que McLaughin était mauvais perdant aux cartes et ça le fait bien marrer encore aujourd’hui. Nous aussi. Il nous explique qu’un jour il en a eu plein le dos du gros son et qu’il est conséquemment revenu vers l’acoustique, dans les années 90 avec la première mouture de la World Sinfonia qu’il a mise au programme du soir avec entre autres, Gonzalo Rubalcaba au piano et Maraca à la flûte. Et nous, on attend d’écouter/voir car, soyons honnête, on l’a un peu perdu de vue Al. Tout comme son compère John, parce qu’en fait on préfère Paco. Et Al, ce soir, il nous colle une bonne baffe avec cette musique hispanisante flirtant avec le tango et le flamenco. Un accordéoniste remarquable d’aisance et d’inventivité relève la sauce. Un deuxième guitariste quasi-essentiel (c’est rare), un percussionniste aussi pertinent qu’économe augmentent le trio Di Meola/Rubalcaba/Maraca. Ce qui nous étonne un peu, avouons-le, c’est que Al ne fait pas le show. Il fait de la musique en très bonne compagnie et ses échanges avec son pote Gonzalo rentrent aisément dans la catégorie des duos que l’on retient, tout comme les improvisations à trois avec Maraca qui mirent en joie un public réceptif. A noter également une belle version solo du Blackbird de Sir McCartney.

  Bireli Lagrene

Joker.


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