L’album de la maturité ?

Troisième opus de l’actuel ONJ sous la direction artistique de Daniel Yvinec intitulé Piazzolla ! (et le premier tenant en un seul disque !). Ce nouveau projet d’Yvinec propose ici la rencontre de la musique du compositeur argentin Astor Piazzolla, des arrangements de Gil Goldstein et de la singularité stylistique de son orchestre.

ONJ-Daniel Yvinec : "Piazzolla"
Jazz Village / Harmonia Mundi

Goldstein, arrangeur et pianiste, mais aussi accordéoniste, évite l’effet trop attendu de faire sonner l’orchestre « à la manière » du maître du tango. Point de bandonéon ici. Piazzolla est revisité, et sa présence tient moins dans l’univers sonore représenté que dans la signature des compositions. L’apport indéniable de Goldstein est de se servir de la masse orchestrale disponible, acoustique comme électrique, pour générer de l’espace, dans une alternance de contrepoints et tutti. Mi Refugio, sans batterie ni électricité, ravive la somptuosité des harmonies du bandonéon piazzollien dans une orchestration à mi-chemin entre Gil Evans et le boisé de l’impressionnisme « à la française » du début du 20e siècle. Rythmiquement, cet équilibre entre respect et ré-écriture confère à l’album une certaine distance vis-à-vis de la consonance argentine propre au compositeur. La faible présence d’un tango explicite prouve également que Piazzolla avait su, lui aussi, transcender ses propres ressources compositionnelles.

Du reste, les moments de bravoure apparaissent infailliblement quand l’orchestre s’éloigne, par syncrétisme et métissage, du matériau original : le grand final de Libertango après un solo de Fender Rhodes bien binaire (Vincent Laffont), la trompette presque « Miles Electric » de Sylvain Bardiau sur TresMinutos Con la Realidad, ou encore la grande traversée d’Adios Nonino, avec solo de sax ténor (Rémi Dumoulin) et guitare scofieldienne (Pierre Perchaud), mêlés de backgrounds et tuilages à plusieurs vitesses. Les stars ici sont à la fois la musique de Piazzolla (à laquelle l’ONJ redonne une nouvelle peau) et les musiciens de l’orchestre – il faudrait tous les citer – qui se partagent des courtes plages d’improvisation toutes aussi enthousiasmantes les unes que les autres.

Piazzolla ! affirme une fois encore l’esthétique originale de l’actuel Orchestre National de Jazz et se présente assurément comme l’album de la maturité. Au-delà du goût pour les tourneries à caractère répétitif, une virtuosité affirmée, des chorus à l’épisme suggéré et une musicalité indéniable, et ce malgré les divers changements concernant la composition et les arrangeurs suivant les projets, ce disque confirme que la direction artistique de Daniel Yvinec aura su attribuer une couleur définitive à cet orchestre dont la principale qualité, probablement, est d’être à la fois multiple et unique.


> ORCHESTRE NATIONAL DE JAZZ – Daniel YVINEC : "Piazzolla !" - Jazz Village SP 9570007 - distribution Harmonia Mundi (parution le 25/09/12)

Eve Risser : pino, piano étendu, flûte alto / Vincent Lafont : Fender Rhodes, Wurlitzer, électronique / Antonin-Tri Hoang : saxophone alto, clarinette basse / Rémi Dumoulin : saxophone ténor, clarinettes / Matthieu Metzger : saxophones, systalk box / Joce Mienniel : piccolo, flûtes / Sylvain Bardiau : trompette, bugle, trombone à piston / Pierre Perchaud : guitare / Sylvain Daniel : basse électrique / Yoann Serra : batterie

01. Intro El Dia Que Me Quieras (Carlos Gardel) / 02. Chiquilin De Bachin - Balada Para Un Loco (Astor Piazzolla) / 03. Libertango (Astor Piazzolla) / 04. El Dia Que Me Quieras-Oblivion (Carlos Gardel - Astor Piazzolla) / 05. Tres Minutos Con La Realidad (Astor Piazzolla) / 06. Flores Negras (Francisco De Caro) par Roberto Di Filippo / 07. Mi Refugio (Astor Piazzolla) / 08. Adios Nonino (Astor Piazzolla) / 09. Soledad-Vuelvo Al Sur (Astor Piazzolla) / 10. Pantaleon Improvisacion (Matthieu Metzger & Sylvain Daniel) / 11. Sunny ’s Games (Astor Piazzolla)


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