Jazz dans le cadre du festival des Boréales.

Jonas Kullhammar à Caen le 24 novembre 2012.
© Thierry Giard / CultureJazz.fr

Je ne sais pas pour ce qu’il en est pour vous, mais moi je n’avais jamais entendu parler du saxophoniste suédois Jonas Kullhammar (né en 1978) pourtant honoré dans son pays d’un Django D’Or entre autres distinctions et "exporté à l’international".
La Toile nous permet d’esquisser un portrait où pointe un humour décalé, un sens de l’auto-dérision et un attachement aux principes du jazz que ne laisserait pas imaginer un site aux allures post-psychédéliques !
Raison de plus pour aller écouter/voir son quartet dans le cadre du programme "Jazz dans les Foyers" concocté par Michel Dubourg qui, chaque année en novembre, associe un de ces concerts du samedi au Festival des Boréales en Normandie à la rencontre de la littérature et de l’art scandinave.
Une belle occasion pour découvrir (gratuitement dans les foyers, il faut le rappeler) une formation venue de Scandinavie.

À quoi tient la réussite d’un concert ?
- À la qualité de la musique évidemment,
- À la prestation des musiciens, à leur expertise technique et musicale, certes...

Oui, mais, pas que...
- À l’originalité du répertoire, à la singularité de la formule ?
Pas forcément.

Pourquoi ces quatre suédois, en apparence bien calés dans une formule assez classique de quartet "saxophone-piano-contrebasse-batterie", campés sur de solides bases venues du be-bop et de ses extensions coltraniennes, ont-ils conquis le public dès le premier morceau ?

Jazz dans les Foyers : Jonas Kullhammar quartet le 24 novembre 2012, à Caen.
© Thierry Giard / CultureJazz.fr

Et le public dans les Foyers du Théâtre de Caen ? Il est partout, à droite à gauche, devant, au-dessus sur les balcons. Quelques centaines de spectateurs de tous âges venus profiter d’un moment de jazz, en fin d’après-midi avec une certaine gourmandise et une attention soutenue.
Alors, quand on est musicien, la surprise aidant, ça vous booste ou ça vous coince...

Jonas Kullhammar, lui, n’est pas du genre coincé. Impressionné, de toute évidence, par cette "beautiful audience" qui l’étonne tant et qu’il remercie chaleureusement à de nombreuses reprises (en anglais ! le "couteau suisse" linguistique).
Il a su se mettre en phase avec les auditeurs caennais. Prise de distance, humour, sincérité, authenticité... Tous les ingrédients nécessaires étaient rassemblés pour qu’on ouvre grandes nos oreilles.

L’attitude est donc un élément déterminant. Attitude devant le public et positionnement par rapport à la musique et aux courants de référence.
Jonas Kullhammar n’est pas de ceux qui s’évertuent à marcher dans les pas de maîtres, au plus près du modèle.
Il est plutôt du genre à faire un pas de côté et à avancer, le nez au vent, en suivant des cadres mélodiques et harmoniques assez structurés mais pour mieux s’évader sans chercher à "ressembler à...".
Si les grands saxophonistes du dernier demi-siècle ont sans doute mobilisé son attention dans un premier temps, on sent qu’il aborde son instrument avec un esprit très ouvert et une fantaisie naturelle mais sans brutalité. Une forme d’intelligence musicale assez instincive. On pense parfois à un Daniel Erdmann pour la prise de distance...

Le quartet est parfaitement proportionné pour une approche du jazz qui propose une musique riche et captivante avec un certains sens de "l’entertainment" (autre usage du "couteau suisse" linguistique !).
Un concert est aussi un spectacle et ce quartet ne l’oublie pas en cultivant un sens de l’humour et de la dérision toujours mesuré, sans excès.

Le pianiste Tornbjörn Gulz s’exprime avec une grande finesse. Un garçon sans doute sérieux et mesuré en apparence, très attentif au cheminement d’un leader parfois fantasque. Il pose le cadrage harmonique et mélodique de compositions toujours captivantes. En soliste, il s’exprime dans un style assez raffiné et contrasté, développant avec assurance des idées musicales qui révèlent aussi une certaine fantaisie.
Le soutien de la section rythmique est étonnant de souplesse et vraiment réjouissant.
Le contrebassiste Tornbjörn Zetterberg est assez imprévisible, une sorte de Pierrot Lunaire qui met beaucoup d’énergie dans un jeu qui privilégie l’expression directe plutôt que la finesse technique et la justesse appliquée de la note.
L’équilibre pourrait être instable si le batteur Jonas Holgersson ne venait tempérer l’ensemble en assurant un soutien rythmique aéré mais solide, capable de belles inventions sur l’instrument comme il l’a démontré dans un solo construit avec une grande intelligence.

Jonas Kullhammars Quartet à Caen, le 24 novembre 2012.
© Thierry Giard / CultureJazz.fr

Construit comme un parcours sans temps morts au gré des compositions originales pleines de vivacité, le concert a captivé les spectateurs.
Une satisfaction qui s’est chaleureusement exprimée par des salves d’applaudissements nourries. Une heure trente de musique, c’est assez rare pour cette série de concerts habituellement "calibrés" autour d’une heure.
Ces quatre suédois jouaient pour la première fois hors de Paris. Ils n’auront pas fait le voyage pour rien et on ne peut qu’espérer les entendre à nouveau ailleurs. Ce quartet le mérite amplement.

Un remerciement tout particulier à Milko Topic, cheville ouvrière essentielle du Théâtre de Caen qui a réparé l’oubli de mon appareil photo en me confiant un boîtier professionnel bien plus sophistiqué que mon outil habituel ! - T. Giard

Suite de la saison 2012/2013 "Jazz dans les Foyers" - Théâtre de Caen, le samedi à 17h, entrée libre : Trio Berg-Jeanne-Surmenian (15/12) - Prabhu Edouard, Renaud Garcia-Fons, Louis Winsberg (12/01) - DPZ (16/02) - Bibendum Jazz Orchestra (23/03) - Yves Rousseau Quartet (6/04)


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