Un contexte difficile nécessite une réorganisation de la filière du disque.

Si le marché du disque est bien en crise, il est bon de rappeler que de nombreux labels français ont vu le jour au cours de ces trois dernières décennies, certains survivent ou disparaissent, d’autres naissent et la musique suit son cours, toujours disponible sous format physique. Voici, en deux parties, un aperçu du paysage des labels français, indépendants ou non, sans tous les citer car il y en a finalement beaucoup plus qu’on le pense...

Partie 1 : un contexte difficile qui nécessite une réorganisation de la filière du disque.

Personne n’ignore que les temps sont difficiles pour les labels de jazz avec la crise du disque. Ils souffrent des nouveaux modes de consommation de musique, plus voués à l’écoute live en concerts, au téléchargement (illégal ou non) sous formats numériques, au piratage (même si le jazz est loin de subir le plus ces deux dernières pratiques) mais aussi au peu d’intérêt et de consommation que suscite le jazz pour la majorité des auditeurs, sans doute davantage attentifs aux musiques plus "commerciales".

Petit aperçu des labels français


Autre constat : la crise économique peut freiner l’achat de disques, qui ne sont pas des produits de première nécessité. On observe petit à petit la disparition des disquaires, la réduction du mètre linéaire des disques au profit des DVD, livres, jeux vidéos, la diminution des effectifs dans les rayons consacrés aux produits culturels, lesquels sont négligés de ce fait pour les musiques qui se vendent peu (ruptures de stocks, mélanges des références, absence des nouveautés...). On observe parfois la fermeture de grandes enseignes de la distribution des produits culturels (cas de Virgin...). Les schémas économiques nécessaires pour la production de disques exigent un certain niveau de rentabilité si on ne veut pas perdre d’argent, alors que les recettes des ventes sont insuffisantes pour compenser les coûts de production, distribution et promotion... Il faut donc investir ses économies sans avoir de retour. Même si l’obtention de subventions existe sous certaines conditions, elles ne compensent pas l’intégralité des frais d’un disque. C’est rageant mais le monde culturel est ainsi. Beaucoup de musiciens enregistrent mais après, c’est une autre histoire qui commence...

  De l’enregistrement au disque...

Les artistes d’aujourd’hui sont donc de plus en plus attachés à leur indépendance.
Ils interviennent, pour la plupart, à chaque étape de la conception de leurs albums, prenant la plupart du temps à leur charge les frais d’enregistrements, de mixage et de mastering. Ces étapes peuvent être réalisées à leur propre initiative ou confiées à des personnes compétentes dans ces domaines. Il faut dire que les avancées technologiques permettent de boucler un enregistrement rapidement avec peu de matériel, même en recollant des bouts de ficelles. La période où l’on pouvait se permettre de passer une semaine en studio est quasi terminée.

Un disque enregistré est une bonne chose, mais c’est loin d’être suffisant.
Beaucoup d’artistes se retrouvent avec des enregistrements sous le bras sans que ces derniers puissent être édités. Il y a d’abord le souci de devoir trouver un label. Et là vient le problème de devoir proposer un disque non pas pour dire qu’il existe et intéresser les programmateurs mais pour qu’il puisse être vendu et acheté, ce qui nécessite que la musique plaise pour garantir un certain niveau de ventes. Autre difficulté majeure, celle de devoir entrer dans l’esthétique musicale d’un label (dans certains cas).

  Trouver un distributeur...

Ensuite, il faut trouver un distributeur pour que le support musical soit le plus "visible" possible et donc disponible à la vente. De nos jours, les canaux classiques de distribution ne sont quasiment réservés qu’aux "têtes d’affiches" nationales et internationales, qui grignotent peu à peu le mètre linéaire restant pour les musiques aux esthétiques moins porteuses ou d’auteurs moins connus. Notons qu’il existe toutefois chez certains disquaires et grandes enseignes (même si c’est de moins en moins le cas chez ces dernières) des dépôts-ventes qui peuvent donner un sérieux coup de main aux groupes régionaux. Les distributeurs sont peu nombreux, un peu comme dans la grande distribution française où ils se comptent sur les doigts des deux mains.

Petit aperçu des labels français


On en dénombre quelques uns en France : Harmonia Mundi, L’Autre distribution, Orkhêstra, MVS-Anticraft, Naïve, Codaex, Improjazz, Musea, Socadisc... Une fois qu’on en a fait le tour sans succès, il faut se débrouiller par ses propres moyens. Certains labels ont d’ailleurs cessé leur activité après avoir perdu leur distributeur suite à un dépôt de bilan comme l’a connu Night & Day... Heureusement, les musiciens vivent essentiellement de la scène et donc, la recherche d’une distribution traditionnelle ne constitue pas forcément une priorité.
L’autodistribution des disques se pratique fréquemment, en plus de l’autoproduction. On a observé ces dernières années une croissance des montages de structures d’administration et de production pour palier la grande mutation qu’ont connu les canaux de distribution.

Une fois que le disque est enregistré, édité et distribué, se pose la question de la lisibilité par les médias. Certains musiciens voulant bien faire les choses et aller jusqu’au bout de leurs démarches se trouvent confrontés aux importants frais de communication qu’il est bon d’investir en publicités (qui constituent une source de financement pour la presse papier) et attachés de presse, pour bénéficier des carnets d’adresses des contacts qui voudront bien porter une oreille attentive et éventuellement apprécier le disque, pour le chroniquer dans une revue, un journal ou sur internet et donner à un projet une portée plus significative aux yeux du grand public et des programmateurs. D’autres préféreront s’occuper eux-mêmes de la communication en investissant dans des enveloppes timbrées et des coups de téléphone...

  Un parcours du combattant

De ce fait, produire un disque de nos jours relève d’un parcours du combattant, d’un certain défi que s’accordent des passionnés, militants, par la force des choses, souvent des musiciens mais pas toujours, soucieux de devoir être visibles des programmateurs qui reçoivent d’innombrables propositions, et de pouvoir faire connaître leur musique à un public encore trop restreint. Il arrive à certains labels de travailler avec des agences de communication ou de marketing pour soigner leur image, leur identité graphique et disposer d’un site internet... Certains musiciens nous diront : « On a guère le choix, pour tourner, il faut un disque ». D’autres ajouteront parfois : « avec des critiques favorables, des distinctions » pour que des programmateurs se disent peut-être : « on a fait l’éloge de cette formation sur disque donc le concert doit certainement être bien, je peux prendre le risque de la programmer et j’aurai sans doute plus de chance d’attirer des auditeurs », faute d’un minimum de rentabilité de plus en plus nécessaire dans le monde actuel du spectacle vivant...
On pourrait rêver de fonds d’investissements importants consacrés à la production discographique française, comme il en existe pour favoriser l’implantation d’entreprises sur certains territoires, pour permettre la relance économique que l’on attend tous... Mais il en est autrement. Alors, les musiciens y mettent leurs propres deniers et c’est le « système D » qui prime si l’on veut mettre sa musique en boîte, parce que le format numérique est loin d’avoir définitivement remplacé l’objet physique, comme beaucoup pouvaient le penser il y a quelques années.

Petit aperçu des labels français

A ceux qui ignorent l’utilité du disque, il est bon de leur rappeler qu’il est le seul outil du 20ème siècle qui peut lier trois formes d’art dans un même objet industriel : la littérature, les arts plastiques et la musique, bien que chacune n’occupe qu’une part infime pour l’artiste. Jamais un musicien ne dira que tout son art se retrouve sur disque puisqu’il le vit sur scène, en jouant en direct.
Produire un disque, c’est aussi mettre en relation des personnes aux métiers bien différents autour d’un objet commun : musiciens, producteurs, conseillers artistiques, ingénieurs du son, graphistes, photographes, peintres, parfois auteurs et attachés de presse... Ce n’est pas une tâche facile, à la portée de tous car cela nécessite du temps, de l’argent, un réseau de connaissances... Néanmoins, le disque persiste souvent par un système d’économies parallèles. On connaît un musicien qui connaît un lieu sympa pour enregistrer avec le matériel emprunté à un autre copain, lui même disposant de compétences dans le domaine du mixage... On demandera des photos à un photographe croisé à la fin d’un concert et un texte de présentation à un chroniqueur ou un journaliste qui a apprécié l’enregistrement...

  Où et comment acheter ?

Et les auditeurs dans tout ça ? Beaucoup assistent aux concerts sans acheter de disques même quand la musique leur plaît. Celle-ci n’est alors qu’un plaisir éphémère... Pour le public plus conservateur qui souhaite revivre l’événement, il doit adapter son mode de consommation en espérant trouver la musique sous format physique à la fin des concerts, lorsque les musiciens ou agents peuvent emporter quelques exemplaires dans leurs sacs... et qu’ils ne les ont pas oubliés...
Il n’y a guère d’autres moyens lorsque les disques sont introuvables chez le peu de disquaires qui restent et les magasins en lignes, hormis internet qui favorise la mise en contact avec les musiciens par l’intermédiaire de leurs sites ou des réseaux sociaux.

Petit aperçu des labels français


À ce titre, Didier Levallet précise que « la vente par correspondance et le téléchargement légal représentent l’avenir pour des musiques à diffusion réduite ». D’autres, comme Didier Petit, présenteront un point de vue différent de ce dernier propos : « Je ne crois pas à la dématérialisation généralisée du support. Il existe une tendance à vouloir tout dématérialiser quand on est jeune, mais celle-ci s’atténue avec les années : on a besoin d’objets qui nous rappellent que la matière existe. Le téléchargement est un moyen comme un autre de diffuser la musique. chez In Situ, nous restons très attachés à la notion d’objet pour des raisons historiques. La musique que nous produisons n’est pas téléchargeable, ce serait une absurdité économique et esthétique pour ce qui nous concerne. C’est un choix que nous avons fait ; d’autres labels indépendants ne feront peut-être pas le même. ».
Christophe Marguet me confiait un jour que malgré la fragilité du disque et l’importance qu’un enregistrement soit réussi, il n’était cependant pas permis de se réfugier derrière la facilité des concerts décrochés parfois avec beaucoup de peine : « Aujourd’hui, faire un disque est devenu très compliqué et incertain pour tout le monde. On souffre un peu moins concernant la scène mais la fébrilité règne. Cela nous oblige à être plus investis lorsqu’on joue. Il y a une sorte de réveil : les musiciens se doivent de faire des beaux concerts pour que le public soit satisfait. Il y a beaucoup de concurrence, les conditions de travail sont plus difficiles. Le système s’américanise. Dès qu’on est en position de faiblesse, on n’a plus le droit d’exister. Ça donne un gâchis énorme car certains ne peuvent plus s’exprimer sur scène. D’un autre côté, on est contraints de se battre pour devenir plus forts. On n’a plus le droit de rater un concert. »

Si beaucoup de musiciens sont inquiets quant à l’avenir du disque, d’autres restent optimistes et relativisent, comme Didier Petit : « On a dit très souvent que le livre disparaîtrait, or il est toujours là. On a dit la même chose du disque, qui continue d’exister. Je ne sais pas quelle forme il prendra. Il y a des tendances conjoncturelles liées à des effets de mode où tout le monde pense avoir une solution à un moment donné. Je pense que le disque a encore beaucoup de choses à faire et que la crise actuelle qu’il connaît lui permettra de retrouver à un moment une nouvelle dynamique de valeur, car il s’était énormément banalisé. Il reste un moyen et un objet intéressant à utiliser. »
On a vu, avec l’arrivée du CD, la disparition du vinyle. Celui-ci commence à reprendre de la valeur et certains labels s’offrent le luxe d’éditer des albums sous ce format, vendus plus chers que les disques compacts. On constate donc que les effets de mode évoluent. Selon Christophe Marguet : « Je ne sais pas quel avenir a la scène, mais ce qui est sûr, c’est que le marché du disque est à un niveau très bas, même si on continue d’y croire d’une manière presque aveugle. Faire un disque, c’est raconter une histoire, et on a encore besoin de ça, de la même façon que l’artisan a besoin de créer ou l’auteur d’écrire ».

  Le disque a encore un avenir ?

À la lecture de cette dernière phrase, on peut penser que le disque a encore un avenir mais nous ne savons pas forcément la forme qui prédominera. Peut-être la même qu’aujourd’hui, qui sait ? Ou une toute autre forme. Un jour, Alain Blesing me disait qu’il ne croyait plus à la forme du disque en soi, mais plus à celle d’une clé USB dans laquelle il pourrait y avoir des dossiers de presse, des photos, des liens internet, comme on a pu le voir chez certains groupes de rock, supprimant ainsi les frais de presse, d’impressions de pochettes. Didier Petit me confiait également : « Je constate qu’avec le temps, il y a eu une inversion de la tendance voulue par l’industrie du disque. Alors que les premiers albums ont été enregistrés pour garder la trace d’un concert, donc d’un instant unique, je me suis aperçu qu’ils ont finalement réussi à imposer leur format et que les gens vont au concert pour revivre en live l’émotion du disque ».

Que ce soit du côtés des producteurs ou des consommateurs, la filière s’adapte aux difficultés qu’elle rencontre et de nombreux disques peuvent ainsi voir le jour, certainement pas assez par rapport à toutes les formations qui existent et qui enregistrent. Lorsqu’on est passé des 33-tours au CD, beaucoup de labels ont disparu. D’autres sont nés. À chaque changement sa nécessaire adaptation. Nous verrons dans une deuxième partie comment les labels français évoluent au cœur d’un marché en crise.

Prochainement, en 2ème partie : « Des difficultés qui n’empêchent pas l’existence de nombreux labels. »