L’imparfait des langues

Car là où résonne la musique jaillit la vie, plus que nulle part ailleurs.
(Ketil Björnstad dans « La société des jeunes pianistes »)

On attend toujours impatiemment le dernier opus discographique des musiciens qu’on apprécie - ou bien qu’on aime tout simplement - leur dernière trace du moment (même si entre la précédente et la dernière) on a pu entendre et voir un des nos préférés en direct dans divers contextes et occasions) ; en ce qui concerne notre Louis national, il aura fallu attendre presque trois années (Napoli’s Walls en fin 2002)…

Mais enfin, le voilà le nouveau Sclavis, avec de nouveaux et jeunes musiciens (ne confiait-il pas : plus on vieillit, plus on travaille avec des jeunes… je me nourris de beaucoup de choses qui passent) : le saxophoniste Marc Baron, à peine âgé de 23 ans ; le claviériste Paul Brousseau (intégré quelques semaines auparavant le groupe Big Napoli de Louis), le guitariste Maxime Delpierre (c’est précisément parce que j’étais dans une totale incertitude sur mes capacités à incorporer son style de jeu dans mon univers que j’ai eu envie d’essayer ; ila une approche très singulière de la guitare, avoue L.S.), ainsi que François Merville, partenaire fidèle.

Louis Sclavis "l’imparfait des langues"
ECM records - janvier 2007 - dist. Universal

Ce nouvel album a son histoire, bien singulière. Alors que toutes les compositions ont été élaborées en l’espace de dix jours suite à une commande de la création en 2005 d’un nouveau projet dans le cadre du festival de Monaco Le Printemps des Arts qui se déroule chaque année en avril à Monte-Carlo, le Prince Rainier décède le jour précédant le concert, d’où annulation pour cause de deuil… et son report l’année suivante à la même date.

Prêt à jouer dans l’immédiat, les musiciens enregistrent la musique prévue aux studios de la Buissonne à Pernes-les-Fontaines non loin, et ce en une seule journée, c’est-à-dire dans les conditions pratiquement identiques à celles d’un concert, le public en moins.

Est-ce cette immédiateté la cause de la spontanéité si évidente ? Constatation : la venue de ces jeunes partenaires apporte non seulement de nouvelles couleurs, de sonorités jusque là inédites dans les précédentes formations ; venus à la fois du rock, de la musique improvisée ou expérimentale, ils ont apporté et leur enthousiasme et leur envie de s’exprimer aux côtés d’un des leaders français les plus novateurs (il y en a vraiment peu, certains se contentant de leurs acquis, suivez mon oreille), à la connaissance étendue à la littérature (son admiration pour l’écrivain Eri de Luca), aux philosophies, aux arts dits plastiques… Bref, à maintenant plus de 50 ans L.S. renouvelle et se renouvelle sans cesse en inventant une nouvelle syntaxe, et, suivant la définition, les relations existantes entre notes, groupes de notes et leurs fonctions dans la phrase et le discours musical.

Avec ses nouveaux compagnons, le concepteur bouleverse ses habitudes en cherchant à inclure des éléments imprévisibles ponctuels dans certaines plages alors que dans d’autres (Dialogue with a dream, Archéologie, Palabre) la mélodie tient plus de place que les notions de sonorités ou de textures (les premiers et second Imparfait).

Il ne s’agit pas de vouloir faire jeune à tout prix ; on en arrive tout de même à se demander si le plus jeune d’entre tous les musiciens de ce groupe n’est pas celui qui a déjà plus de trois décennies de carrière… irréprochable.

> Jacques Chesnel


Traces d’un héritage...

Louis Sclavis nous surprend encore. Après avoir côtoyé le bouillant Médéric Collignon (Napoli’s Walls), ce nouvel album l’associe à un saxophoniste alto, le jeune et brillant Marc Baron [1]. A l’écoute de L’imparfait des langues, au delà des sonorités très actuelles de ce bel album, les alliages réussis entre la clarinette et le sax alto font ressurgir des souvenirs. On pense alors à cette époque déjà lointaine où le jeune Louis Sclavis, membre actif de l’A.R.F.I. [2] lyonnaise, côtoyait un autre saxophoniste, le regretté Maurice Merle dans la version originelle du Workshop de Lyon en particulier.

D’ailleurs (coïncidence ?), une partie des thèmes de ce disque ne sont pas sans évoquer les pistes musicales développées par l’ARFI (mélodies charpentées aux phrases simples, rythmique marquée) et Le verbe aurait bien pu être une composition de Maurice Merle.

Un disque attachant, en particulier par sa fraîcheur qui témoigne d’un héritage musical bien assumé par un musicien qui a du coeur et une furieuse envie de continuer à avancer. Bravo !

> Thierry Giard


> ECM 1954 - distribution Universal.

Louis Sclavis (clarinettes, saxophone soprano), Marc Baron (saxophone alto), Paul Brousseau (claviers, sampling, électronique, guitare), Maxime Delpierre (guitares), François Merville (batterie)

Compositions de Louis Sclavis sauf plages 1 et 3 de L.S. et Paul Brousseau & plage 9 de Maxime Delpierre.

Enregistrement avril 2005

1/ Premier imparfait « a ». 2/ L’idée du dialecte. 3/ Premier imparfait « b » 4/ Le verbe. 5/ Dialogue with a dream. 6/ Annonce. 7/ Archéologie.
8/ Deuxième imparfait. 9/ Convocation. 10/ Palabre. 11/ Le long du temps 12/ L’écrit du temps. 13/ Story of a phrase. 14/ L’imparfait des langues.


> Liens :

[1Marc Baron travaille également avec un autre compagnon de Sclavis, le violoncelliste Vincent Courtois. Ecouter "What do you mean by silence" de V. Courtois

[2Association à le Recherche d’un Folklore Imaginaire