Du 25 au 28 avril, le grand meeting annuel du jazz mondial s’est déroulé à Brême. Pays invité cette année, Israel.
25 avril 2013
En voyage, il ne faut rien négliger. Et de fait, j’ai pensé à tout sauf au clavier Qwertzuiopü. Je sue donc sang et eau pour accoucher dans la douleur d’une phrase décemment lisible pour le lecteur habitué à son confort. Mais après une demi-heure d’effort, je commence à apprécier l’exotisme germano-clavien.
Ensuite, vous savez comme nous sommes. L’année passée, Jazzahead nous avait laissé quelque peu dubitatif. Nous avions admiré l’excellence de l’accueil réservé aux journalistes et le sérieux allemand de l’organisation. Nous avons conséquemment décidé de reconduire notre présence en 2013 afin de creuser un peu, de soulever la nappe, histoire de voir si des zones ombragées auxquelles on ne porte pas forcément attention ne ternissaient pas les premières impressions.
Après l’Espagne en 2012, le pays invité cette année était Israel.
Pourquoi pas, nous avons écouté de fort jolies choses. nous avons été cependant un peu irrités par le marketing agressif de l’événement dans l’événement et par une tension légèrement palpable des services de sécurité.
Pour le reste, force est de dire que retrouver les jazz(s) de toute la planète ou presque en un seul lieu sur trois jours, c’est épatant. Épatant et frustrant car le temps manque pour rencontrer et échanger avec tout le monde.
Le bémol vient d’un étrange sentiment de malaise provoqué par l’hyper-professionnalisation d’un système au sein duquel les musiciens sont les demandeurs (les quémandeurs, osons les mendiants...) quand les autres acteurs du dit système sont positionnés en décideurs. Omnipotents, non, mais décideurs sûrs de leur pouvoir tout de même. La complicité n’est pas vraiment au rendez-vous. Chacun place ses pions au mieux, personne n’est dupe et tout un chacun s’apprécie et se congratule. C’est beau, mais cela sonne faux. Et nous ne pouvons nous empêcher de penser que le jazz sera toujours mal barré tant que tous les acteurs de la filière ne choisiront pas de faire front commun. Des musiciens, il y en a à la pelle. Des festivals autant que de feuilles mortes en novembre ; mais ces derniers font l’événement et ne profitent qu’à un petit nombre. Et même s’il y a parmi eux des festivals militants qui proposent des programmations riches et osées, cela ne suffit pas. Ce que les acteurs du jazz doivent défendre ensemble, c’est la survie des lieux de jazz avec une programmation régulière et la création, et même la multiplication, de ces lieux afin que le plus possible de musiciens aient la possibilité de s’exprimer et de convaincre un public encore à fidéliser. Le tout loin des Victoires de la Musique et autres fumisteries qui ne sont là que pour soutenir l’industrie.
Et Jazzahead aujourd’hui semble rejoindre le maelstrom des événements incontournables qui n’apportent rien de concret au jazz dans son ensemble mais qui alimentent l’économie locale (nous n’avons rien contre la bonne ville de Brême qui ne manque pas d’atouts).
Nous voulons du vrai, du véritable, de l’humain. Pas du vulgaire, pas du médiocre, pas de l’insipide préformaté. Il y a du pain sur la planche,croyez-moi. Allez ! Qui osera affûter les couteaux ?
> 25 avril 2013 - Israeli Night
Yotam
Yotam Silberstein (g), Gilad Abro (b), Amir Bresler (dr),
Un trio "mainstream" avec un brillant guitariste et, d’une manière générale, de fortes individualités. Un jazz à mi-chemin entre le classicisme post bop et l’énergie actuelle de la pop avec une circulation des idées et des lignes mélodiques assez originale .
Plutôt sympathique à écouter.
Nous avons appris au passage qu’avant que McDo n’envahisse le pays, le marchand local de hamburger s’appelait McDavid ! (Sic). Il nous a également semblé intéressant durant ce concert de voir à quel point ces jeunes musiciens avaient envie qu’on les écoute, qu’on les découvre. Et ils ont su saisir l’opportunité avec brio et talent.
Malox
Eyal Talmudi (sax), Roy Chen (dr)
Dans la foulée, nous nous sommes aventurés dans d’autres contrées avec l’énergique duo Malox qui revendique, entre autre, la filiation d’Hamiet Bluiett. Là où un Francesco Bearzatti est rock, ces deux jeunes israéliens sont plutôt d’obédience punk, tendance ethnique marquée. De l’énergie à revendre avec une batterie lourde et épaisse tenue par un jeune batteur assez original dans sa façon d’aborder les fûts.
Le saxophoniste, handicapé par une panne de son rack d’effet (et l’incompétence des techniciens à la résoudre) n’en a pas moins chauffé le public, ce qui à Brême n’est pas une mince affaire. Le final dans la salle, au milieu du public, avec un tom grave et une cornemuse a permis de conclure un set festif pour hyperactifs sans ordonnance. De là à dire que ce fut mémorable, il y a un pas que nous ne franchirons pas car la répétitivité musicale du saxophoniste laisse entrevoir quelques lacunes et peut-être même un manque d’imagination que l’âge aidera sans doute à résorber.
Ilana Eliya
Barel (sabah) Armond (oud, saz), Golan Tibi (nai, fl), Zaken Effi (darbuka), Fried Oren (perc)
Ethnique. Pour le coup, nous y sommes. Ilana Eliya l’assume et centre son chant sur le répertoire des juifs du Kurdistan.
Qu’elle chante en hébreu, en kurde ou en arabe, le public ne peut être insensible à cette voix emprunte d’un vécu véhiculant de fortes émotions. Brillamment accompagnée par des musiciens traditionnels au sommet de leur art, Ilana Eliya interpelle autant par sa simplicité que par la vérité qui habite son art vocal. Là encore, on ne peut s’empêcher de constater que les cloisonnements nationaux sur notre planète soi-disant mondialisée sont une réalité quotidienne pour beaucoup d’artistes qui mériteraient de plus larges audiences tant leur art transcende les genres.
Une belle découverte en tout cas. Nous vous engageons vivement à l’écouter.
Vendredi 26 avril 2013
Chet Doxas quartet
Chet Doxas (sax), Matt Stevens (g), Zack Lober (b), Eric Doob (dr)
Chet Doxas n’est pas un inconnu. Il s’est déjà produit, ou a enregistré, avec John Abercrombie ou encore Dave Douglas, Maria Schneider, Joe Lovano, Jason Moran, ce qui le classe d’emblée sur le haut du panier. Et sa réputation n’est pas usurpée, croyez-nous. Avec ses collègues canadiens, la machine est parfaitement huilée. Energique autant qu’inventif, le ténor ne manque pas sa cible au sein d’un jazz contemporain qui bouscule un peu les codes. Original à sa façon, laissant de l’espace à ses acolytes, Chet Doxas devrait assez rapidement rejoindre le cercle des musiciens avec qui il est toujours bon de jouer, ce qui est une forme de reconnaissance dans le milieu que personne ne peut ignorer. Certes, sur un set de quarante-cinq minutes, l’auditeur est un peu frustré mais il s’accommode de l’idée qu’on va le revoir bientôt et, à notre avis, de plus en plus. Et on ne va pas s’en plaindre.
Samedi 27 avril 2013
Sienna Dahlen
Sienna Dahlen (voc, guit, keyb), Federico Casagrande (guit), Simon Tailleu (b), Karl Jannuska (dr)
En ouverture de la soirée “Canadian blast” de la “Skoda Jazznight” de Jazzahead (vous suivez ? ) Sienna Dahlen a fait ce qu’elle sait parfaitement faire : de la musique qui ne laisse personne insensible et encore moins indifférent. D’ailleurs le public ne s’y est pas trompé en demandant un rappel qui mit à mal le cadre des quarante-cinq minutes imposées. Mais bon, on ne va pas reprocher aux artistes d’êtres bons et au public d’être heureux.
Par contre, on peut reprocher aux organisateurs locaux de n’avoir pas été à la hauteur. Est-ce la faute de Jazzahead ou celle du club qui accueillait la soirée ? Nous n’en savons rien. Ce que l’on a pu observer, à coup sûr, c’est que les techniciens avaient parcouru les fiches techniques d’un œil distrait, si tant est qu’il l’ait fait. Un micro à peine correct là où il en fallait trois, obligeant la chanteuse (prévoyante) à sortir son Neumann personnel et à jongler avec le Shure précité pour aller du clavier à la guitare... Et pas de stand pour les dites guitares ! Là, faut avouer qu’on touche le fond et surtout, qu’on ne respecte pas les artistes. Mais ce que nous avons observé ce soir-là dans un club a été constaté ailleurs par d’autres durant le festival. Attention donc, l’amateurisme progresse encore et toujours, ou le jemenfoutisme plutôt. On en vient à se demander, une fois de plus, si l’’essentiel dans ce type d’événement n’est pas de faire de l’argent. A cette aune, Jazzahead se porte bien. Mais nous ne sommes pas certains qu’il remplisse encore son but originel qui devrait être, du moins le croyons-nous, la promotion du jazz et de ses acteurs, artistes compris.
Bon, nous n’avons pas passé une mauvaise soirée. Laila Biali, Elizabeth Shepherd et l’Orchestre des pas perdus était également de la partie, ce qui nous a donné, avec Chet Doxas, un aperçu de la vitalité et de la qualité d’un jazz canadien anglophone qui s’autorise, sans complexe, bien des chemins de traverse.
Enfin, et pour clore ce compte-rendu mi-figue mi-raisin, nous dirons que nous avons été fort heureux de rencontrer des amis sur place et de s’en faire de nouveaux. Je parle là de gens ayant des valeurs qui honorent le genre humain. On a donc beaucoup discuté, on a aussi bien ri, on a vécu de beaux moments et, comme nous n’avions rien prévu, on a beaucoup improvisé. Et oui, on y revient toujours...
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