"Sauvons-le avant qu’il ne soit trop tard..."

Il est beau !
Il est beau !

Le disque se meurt !.
Sauvons-le avant qu’il ne soit trop tard, que tout un pan de notre culture musicale ne finisse dans le fossé de nos illusions perdues. Nous connaissons l’antienne. Le 78 tours est mort, le 45 n’a pas survécu, le 33 tel le Phénix... en attendant de disparaître à nouveau dans les abysses d’un jadis néantiel, le CD va inexorablement se dématérialiser et la musique habiter sur des nuages "cloudesques" bientôt multinationaux. Ce qui est gratuit aujourd’hui ne le sera plus demain. On tuera Grooveshark et les autres. Bon, soyons clairs, un ou plusieurs sites fermeront et rouvriront sous une autre forme aux frontières d’une légalité depuis longtemps chancelante. Pendant ce temps-là, de pauvres consommateurs à l‘esprit rétrograde, nourris de principes obsolètes, devront "réellement" payer des créations artistiques "virtuelles" qui seront piégées dès la conception pour n’être lisible qu’un certain nombre de fois ou sur une certaine durée seulement et sur un certain type de support. On va quand même pas nous interdire de baiser nos clients, si ?
Et même que, si l’on n’y prend pas garde, ça aura des relents d’âne ou de cheval. Va savoir !
Mais, mais, mais, pour financer la création, que dis-je, l’exception culturelle, il y aura bien un état qui inventera la chanson consignée. Tu ne le veux plus le tube de l’été 2018 ? On le rachète X centimes de monnaie qui seront reversés au fonds social d’aide à la création artistique car, sachez-le, il y aura trop d’artistes isolés, symboles d’une démocratie imaginative et solidaire, dormant dans la rue, désocialisés, à tel point qu’ils écriront encore des chansons qu’ils voudront enregistrer. Il y en a même qui feront du jazz et des musiques improvisées ! Dingue ! C’est dingue !

Et alors ? Demain, qui sait, on achètera auprès de l’artiste un concert personnalisé en visioconférence, tarif étudiant, + de 65 ans, chômeurs, etc. Avec un supplément à la commande, on aura le droit d’enregistrer le tout, d’avoir en sus une belle image personnalisée, un mot amical, un bisou dans le cou. Et si on paye le bonus, on obtiendra un code d’accès pour un show-case "en vrai" dans un bar en ville, un must assurément réservé aux meilleurs clients, pardon, fans. Mais peut-être que l’on pourra aussi être partenaire de l’artiste et que l’on touchera des royalties si l’on revend son travail à d’autres qui le revendront à d’autres qui le revendront à….
Peut-être sera-ce un nouveau mode de diffusion, n’est-ce-pas ? Peut-être sera-ce une économie parallèle inavouable nécessaire aux artistes pour compléter leurs revenus... Mais même là, tôt ou tard, les requins se révéleront, s’empareront du marché (noir) et s’enrichiront comme d’autres le font aujourd’hui et comme d’autres encore l’ont fait par le passé. Il faudra alors faire preuve d’imagination pour créer un autre système, véritablement indépendant celui-là, oh oui ! qui protégera chaque artiste et sa création avec éthique et savoir-faire. D’ailleurs, Machin là-bas, dans ce créneau, c’est le meilleur. C’est moi qui vous le dis et je sais de quoi je parle. J’ai en partie financé son installation et je sais reconnaître ceux qui, grâce à leurs réelles compétences, font du bon travail et auront bientôt pignon sur rue sans pour autant renier leurs engagements en faveur d’une création authentiquement libre... financièrement parlant ou presque.

Doit-on parier qu’il faudra bientôt créer un autre modèle encore ? Le dernier en date, au vu des avancées technologiques est véritablement désuet… Ouvrez les yeux enfin ! L’avenir, c’est le rouleau de cire revival nom de Dieu ! Les gens ont un besoin maladif de possession. Le matérialisme, c’est du sérieux, ça a fait ses preuves. On joue sur du velours là. Il faut donner au consommateur du bel objet, de celui qu’on collectionne et dont l’inestimable valeur croîtra avec le temps. Ah merde, avec le temps va tout s’en va… Mon pauvre monsieur… Vous êtes en train de confondre le concept de greffe prénatale de playlist définie sur critères généalogiques (avec inclusion de variables aléatoirement variables pour la nouveauté), l’avenir de demain quoi (après, c’est trop loin), avec une vulgaire niche commerciale qui voudrait qu’on la prenne pour le dernier bastion d’une élite intellectuelle que le carbone 14 n’arrive même plus à dater.

C’était quoi déjà le sujet ? Ah oui, il faut sauver la filière. Organisons-nous camarades ! Et mon cul, c’est du poulet ? Ceux qui tiennent la dite filière veulent seulement sauver leurs bénéfices. Le cocu, je reste poli, c’est encore et ce sera toujours l’artiste, ce couillon qui croit à des trucs humains carrément délirants, genre le respect, l’originalité, l’amour de l’art et de ma voisine, la beauté et autres fadaises. Ah bordel, j’ai encore oublié la Révolution… Faut qu’il fasse gaffe l’artiste, vous dis-je. On tue pour moins que ça de nos jours.

oOo

En fait, il ne faut pas sauver la filière. Le lancer de disque n’est plus une discipline olympique depuis longtemps. Il faut accélérer sa fin. Lui tordre le cou. En attendant, celui qui bêtement vit pour sa musique n’aura plus que la route. Ca tombe bien, il n’aurait jamais dû la quitter. Kerouac est mort mais la route est toujours là. Il y a même le mec et la fille, tête baissée sur le (micro) sillon fraîchement retourné, qui écoutent religieusement le chant qui passe (Millet, c’est aussi des sacs à dos...). Plus loin, d’un endroit l’autre, il faudra que les lieux émergent et accueillent ceux qui font circuler l’art. Pas de gros lieux institutionnels dorés sur tranches d’impôts, non. Des lieux sans avenir. Des lieux qui meurent et renaissent au gré des fermetures administratives. Des lieux d’exception où l’art est la règle, donc où l’art enfreint les règles. Ce qu’il est censé faire depuis toujours si je ne m’abuse.
D’accord les médias n’en parleront pas. Peut-être est-ce honteux, mais de toute façon, ils n’en n’ont jamais vraiment parlé. Ce n’est pas qu’ils ne sont pas curieux et intéressés. Seulement ils s’en foutent. D’autres chats à fouetter, d’autres jolis minois à promouvoir, du politiquement impoli, du scandale à la pelle, du fait divers, du fait pervers, le dernier coming out de la star qui avoue sa passion immodérée pour la crème anglaise, etc.
Alors la création musicale, notamment jazz et musiques improvisées, hein ? Ca a déjà fait bander quelqu’un ? A qui on va vendre ce truc ? Même pas un insomniaque névrosé. Y a des labos pour ça.

oOo

Au fait, et tous ces musiciens sur la route ? Quand ils feront une pause, ils enregistreront des CD entre amis sur des labels tout petits-petits-petits qu’ils auront créés, qu’ils diffuseront au gré des concerts et des liens noués avec le public. Ils n’en vendront pas des tombereaux, ça c’est sûr, encore que... Mais ce ne sera jamais le but du jeu. Ce disque-là, ce sera juste un témoignage et un supplément d’âme, une signe que l’on échange entre amis, un souvenir tangible du partage et un peu de beurre dans les épinards. Rien d’original me direz-vous. Et oui, cela a déjà commencé. Mais cela doit se répandre plus encore.

Et que les médias soient là ou non importe peu.
À l’ère du global, il faut revenir à la micro économie, de préférence participative. Et la diffusion se fera de façon presque invisible mais elle se fera.
À une certaine époque on appelait ça l’underground. C’est le principe du ver de terre. On ne le voit pas mais il est partout, ils prolifère. Tu ne le vois pas mais il est là. Si ça se trouve, il regarde même la télé en se marrant ! Et qu’un pêcheur ou deux prélèvent leur quote-part pour amuser les gardons n’a aucune incidence. C’est pas parce qu’on aime la liberté qu’on doit oublier les autres, hein ? Seulement bon, va falloir que les gens se parlent. Va aussi falloir que les musiciens parlent, se parlent, relèvent un peu le nez, histoire d’oublier leur nombril, afin de voir que l’inspiration est partout et non pas uniquement nichée dans leur égo. Va falloir prendre des risques artistiques, oser l’échec et accueillir la surprise comme il se doit : avec entrain et reconnaissance. C’est pas le tout de dire que l’on navigue sous l’ombre tutélaire de Monk ou d’Ayler, de Coltrane ou Bessie Smith, d’Ornette ou Bill. Les squelettes, c’est joli, c’est blanc, ça sourit tout le temps. Mais on a aussi le droit d’être ému et inspiré par un(e) contemporain(e), un être humain avec qui on boit un coup / mange un bout en discutant météo, anthropo-linguisme, charentaises et Art brut. On est pas tous des génies que je sache. Vous imaginez le bordel, si oui ? A quelle compote de saints faudrait-il se vouer ? Et puis quoi, vivre tue. Alors en attendant, on peut peut-être faire un effort.

Tiens, j’en parlerai ce soir avec mon robot. C’est lui qui met la musique à la maison.


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