A la poursuite du diamant brut, le pérégrin a croisé la route d’Oliver Lake, grand défenseur de la liberté artistique.
Quarante-quatrième étape
Rater un concert (Guilhem Flouzat 4tet, feat. Ben Wendel) par la faute d’un petit virus automnal, ça énerve. Mais on s’en remet. C’était le 6 octobre, jour où en 1927 les frères Warner présentèrent « Le chanteur de Jazz », premier film parlant. Rater un concert de Stefano Bollani parce que sa prod’ interdit les photographes, ça énerve aussi. Mais là c’est nous qui choisissons au final de les ignorer. Et on s’en remet très bien. Parce que Bollani, franchement, dans cinquante ans, qui s’en souviendra ? Ça, c’était le 10 octobre dernier, jour où en 1917 naquit un gars du nom de Thelonious Monk. Celui-là, ce n’est pas la même catégorie. On n’est pas près de l’oublier. Et son manager ne faisait chier personne. Le 10 octobre, c’est également la Journée mondiale contre la peine de mort. Bien sûr qu’on est pour ceux qui sont contre puisqu’on est contre ceux qui sont pour. À part ça, faut tout de même avouer que ça nous fera de la peine de mourir. Ça tombe bien, ce n’est pas d’actualité. La preuve, comme on était encore vivant le 16 octobre, jour de naissance de Dino Buzzati (1906), on est allé écouter le saxophoniste Oliver Lake, père de Gene, à Lausanne. Comme disait l’autre, on a bien fait d’y aller. Musicien, poète, peintre, Oliver Lake, à ce jour, possède un curriculum long comme une nuit d’hiver en Finlande. Il est en outre le récipiendaire de trop de distinctions pour qu’on les énumère. Bref, il faisait il y a peu partie des artistes que l’on regrettait de ne pas avoir encore vu sur scène. Alors Déçu ? Non pas du tout. Invité à tourner avec le trio du pianiste Michael Jefry Stevens, il fut de fait sur scène le point d’ancrage naturel autour duquel se créa la forme improvisée. Immobile, presque hiératique, il développa son discours sans afféterie mais avec une force sereine qui touche à l’essence du son. Ce fut l’expression d’un lyrisme brut qui tutoyait le suprême oubli de soi ; la musique par-delà le musicien. Si le pianiste américain nous sembla légèrement en retrait et comme privé de vision, si Emil Gross (vu auparavant avec l’excellent Alexander von Schlippenbach) à la batterie ne nous fit pas une inoubliable impression, Oliver Lake fut cependant bien épaulé dans sa quête par un contrebassiste à la poursuite de l’extase, Joe Fonda. Grand comme Joe Dalton, avec une tête zawinulesque et des doigts empruntés à Wilbur Little, ce dernier n’eut de cesse de pousser dans les cordes son instrument. Joe Fonda n’est pas un virtuose, non, mais nous vîmes un musicien engagé dans la même veine qu’Oliver Lake, une veine âpre et saillante de laquelle ils retirèrent, sans concession, quelques gemmes musicales façonnées de mains de maître, en toute liberté.
Post Scriptum : poursuivi par la justice italienne pour appel au sabotage de la ligne TGV Lyon-Turin, l’écrivain Erri De Luca a été acquitté aujourd’hui par le tribunal de Turin. Une sage décision qui laisse à l’auteur le choix des mots. Imaginez qu’un musicien ne puisse plus librement choisir ses notes…
Dans nos oreilles
Mazzy Star – So tonight that I might see
Sous nos yeux
Rose Ausländer – Je compte les étoiles de mes mots
Chorus Jazz Club
Av. de Mon-Repos 3
1005 Lausanne
Suisse