revisite la Messe de Notre-Dame

Pré-printemps 2016 et nouvel environnement coloré à l’Atelier du Plateau : les murs s’empourprent d’un rouge lie de vin. Prélude à l’ivresse ?
Ils s’installent à deux dans l’angle habituel de cet ancien atelier. Les lumières se font discrètes, les murs s’effacent. Deux qui sonnent comme un quintet. Un son magnifié par les harmoniques et les accords qui vont bien. Comment est-ce possible ? On entend aussi la musique quand leurs lèvres ont quitté les embouchures et les doigts les clés de leurs sax.
Bon dieu, mais c’est bien sûr !!! Depuis la coursive accouplée au plafond, deux complices envoient à tout va. Une église, ça sonne comme dans une. Et, du coup, le karma de ce lieu se réalise : ancien atelier voué aux tuyaux, le voici réincarné en orgue géant.
Quentin BIARDEAU, sax ténor, nous informe qu’il s’agit de la Messe de Notre Dame de Guillaume de Machaut dont on vient d’entendre le premier mouvement, le Qui riait. Ses petits camarades ne nient pas, eux aussi aux sax ( baryton et alto ) : Gabriel LEMAIRE, Francis LECOINTE et Simon COURATIER.

Que se passait-il à cette époque, au tout début du 14è siècle ? L’ancêtre du Medef pratiquait la soumission du peuple taillable et corvéable à merci-ni CDD ni CDI-, les Roms arrivaient en Europe, les paysans de Flandre se révoltaient : un genre de quotidien perpétuel donc... ).
Ils enchaînent avec le Kris, t’es  ? (l’origine canadienne du truc n’est pas garantie ). Et continuent de défier l’acoustique du lieu. Cette fois, l’un des leurs s’est planqué dans le sas d’entrée et dialogue. Son sax alto sonne comme une clarinette, un cuivre boisé. Étrange et beau.
Puis, mais on ne nous dit pas tout, s’agit-il du Gloria, du Sanctus, de l’Agnus Dei, on ne sait mais on écoute. Ils sont deux sax baryton, le ténor et un alto. Le son filé qui ouvre la pièce a tout pour tromper nos gentils neurones, les saturer et les faire halluciner. Halluciner Jan Garbarek et son Officium, halluciner une fanfare de sacqueboutes, un tournoi, une belle, son chevalier.
Tout ça dans un silence suspendu aux cintres.
Ensuite trois barytons et le ténor mettent le pied dans la porte avec un ostinato façon « c’est alors que soudain...  » qui l’empêche de se refermer et youplaboum : ils se lâchent. Machaut doit se poiler : de la musique aussi free, il en avait rêvé, le Quatuor Machaut le fait. Sa messe est folle.
Entre les moments où l’on sent que Machaut est joué « dans le texte » et les moments où il est un support à l’improvisation, le voyage ne s’interrompt pas : majesté de la polyphonie, ouragan des forte, sinuosité répétitive des cellules récurrentes, flirt prononcé avec les composants du son, usage du silence (peut-on user le silence ?).

On les applaudit longuement. On a droit à l’Ite missa est ( Cassez-vous c’est fini ).
Un ostinato tout timide, un son, son écho, un frottement, un soupir. Le silence après la musique est encore de la musique.

Samedi 5 mars 2016
Atelier du Plateau
Impasse du Plateau
Paris 19è