Soixante-neuvième étape

Jozef Dumoulin

À l’automne 2014, à Genève, nous avions plus qu’aimé l’univers musical du trio de Jozef Dumoulin, accompagné d’Ellery Eskelin et Dan Weiss (lire ici), un trio intriguant, à la marge, profond et empreint d’originalité. Le retrouver sur la scène du Périscope était donc un plaisir assuré. Nous fûmes dès notre arrivée surpris de trouver un piano en lieu et place de l’habituel Fender Rhodes et de ses effets. Renseignement pris, Jozef Dumoulin avait été délesté de sa valise d’effets dans le train. Cela donna donc lieu à une première : le Red Hill Orchestra acoustique. Aucun signe d’angoisse chez ces musiciens qui virent là une occasion rêvée de réinterpréter leur répertoire dans un autre espace et, de fait, ce fut une totale réussite. L’on retrouva l’énergie particulière de ce trio qui canalise parfaitement ses humeurs mélodiques et ses improbables cheminements. Entre éclats rythmiques et constance des profondeurs, ces trois musiciens opèrent une sorte de voyage interstellaire où la recherche du but est suspendue, soumise aux lois de l’improvisation. Le commun des mortels, quand il se déplace, va d’un but à l’autre. Le Red Hill Orchestra, lui, progresse entre les destinations sans jamais les atteindre vraiment. Peut-être préfère-t-il les aborder par la rêverie. Toujours est-il qu’il s’accorde à parcourir des sentes inévitablement discrètes, comme ombragées, on the edge comme ils disent là-bas. Et l’éclairage est subséquemment inusité. Les notes et leur écho n’en sont que plus belles, les silences édifiants. De cette étonnante parenthèse musicale ressort également l’évidente connivence entre les trois artistes qui naviguent au gré de leurs regards complices. Mais il va de soi qu’une musique aussi finement élaborée ne peut l’être que par des musiciens d’exception en complète empathie les uns avec les autres. Là encore, force nous est de constater que les formations régulières atteignent plus souvent un niveau supérieur de musicalité que les groupes formés autour d’un unique projet. C’était le 8 mai et, oui, il est arrivé un truc ce jour-là, pour être précis en 1945 : la naissance de Keith Jarrett.


Soixante-dixième étape

Lors de l’avant-dernière soirée des Athénéennes dont la sixième édition s’est achevée samedi 14 mai, nous avons pleinement goûté le plaisir de la découverte, celle d’un festival hors norme capable de marier dans une même soirée le classique, le contemporain et le jazz. Il fallait l’oser. Audrey Vigoureux, Marc Perrenoud et Valentin Peiry l’ont fait. Les concerts ont lieu dans une salle atypique qui fut chapelle puis bibliothèque. Celui auquel nous assistâmes débuta par des «  Science Fiction lieder  » avant de se poursuivre avec le trio du contrebassiste Michael Bates, soit Jeremy Clemons à la batterie, Michael Blake au saxophone, augmenté pour l’occasion du saxophoniste zurichois Christoph Irniger.

Celine Wasmer

En première partie de soirée, le quatuor (Emmanuel Christien – piano, François Girard Garcia – piano, Noémie Bialobroda – alto, Hilde Skomedal – violoncelle) et la soprano (Celine Wasmer) donnèrent à ouïr trois œuvres composées par Kevin Juillerat, Øyvind Mæland et Gareth Moorcraft, œuvres dont la thématique futuriste interrogeait l’humain dans son rapport intime au technologique, voire dans la soumission de l’un à l’autre… et réciproquement. N’ayant aucune expertise en terme de musique contemporaine, nous nous contenterons ici d’évoquer notre ressenti. Et, ma foi, ce ne fut pas désagréable. Somme toute mélodique, soutenu par des textes variés où l’extravagant côtoyait l’impertinent, l’ensemble bénéficia de l’excellence des interprètes, et notamment de la présence scénique de Celine Wasmer, très adroite dans le second degré, pour nourrir le clair obscur de ces étranges objets musicaux plus liés qu’un néophyte (nous) peut l’imaginer à l’extrêmement sensible et à ses corollaires. Humain, trop humain, comme disait Friedrich.

Michael Bates

La seconde partie ne nous apporta rien de nouveau si ce n’est le plaisir de retrouver Michael Bates dont nous savons depuis longtemps à quel point il soigne ses projets. Toujours précis et passionné, professionnel, toujours bien accompagné, il ne manque jamais sa cible. Son trio possède un son qui lui est propre. Rugueux façon roots. Le drumming versatile de Jeremy Clemons assurant une assise exceptionnelle, lui et Michael Blake au ténor purent donc hier soir s’exprimer sans réserve, d’autant que l’autre ténor, Christoph Irniger, les assista avec une fine clairvoyance. Marc Perrenoud se joignit à eux au Fender Rhodes sur quelques morceaux, donnant ainsi une touche définitivement seventies propre à ravir les plus récalcitrants. Très en verve, Bates et consorts emportèrent l’adhésion du public à l’américaine : ils firent le show. Nous ne fûmes pas à plaindre donc, bien que nous ressentîmes à quelques moments l’entertainment assumé comme un tant soi peu nuisible à la qualité originelle du projet musical. Mais cela n’ôta rien à notre contentement global, étant entendu qu’il assez rare de croiser au gré de nos pérambulations des festivals originaux qui érigent l’excellence et la convivialité en pierres angulaires. Alors maintenant que nous savons où nous garer, il ne serait pas impossible que l’on y retourne.

Tout ceci se passait à Genève le vendredi 13 mai 2016, vendredi 13 qui vit en 1988, à Amsterdam, Chet Baker passer par la fenêtre de son hôtel. «  Fly me to the moon….  » Nous savons tous qu’il rata l’atterrissage et ça, c’est vraiment pas malin, il aurait pu gagner l’Eurovision…


Dans nos oreilles

Airelle Besson – Radio One


Sous nos yeux

Dominique Sampiero – La vie est chaude