Quatre-vingt sixième étape

Samuel Blaser

Un 29 octobre 1390, Jeanne de Brigue, dite La Cordelière, fut la première personne jugée pour sorcellerie par le Parlement de Paris avant de finir sur le bûcher. Le 29 octobre 2016, Samuel Blaser, Marc Ducret et Peter Bruun firent acte de sorcellerie musicale sur la scène du Chorus [1]. Nous brûlions de vous le dire… Sous l’impulsion du tromboniste suisse, le trio européen donna aux contrastes toutes leurs raisons d’être. Libres et insoumis, sinon aux canons de l’improvisation, les trois musiciens triangulèrent leurs positions et proposèrent un itinéraire ressemblant à s’y méprendre à une route touristique hors du commun sur laquelle, béats, les promeneurs s’ébaubissent d’un point de vue l’autre, surpris et enivrés de tant de beauté. La finesse blaserienne alliée à la percussivité élastique du batteur danois, les deux habitées par les fulgurances du guitariste offrirent un panorama complet de ce que peut l’esprit musical quand il est inventif et exigeant, qu’il donne aux limites les contours de l’illimité. De l’audace, et une connaissance approfondie des fondamentaux, une évidence symbiotique entre les artistes et le tour était joué, la route tracée. À la fin du second set, alors que les précités quittaient la scène, laissant planer des effluves aussi baroques que contemporaines, le public s’exclama : «  faites demi-tour dès que possible !  » Deux fois.

Quatre-vingt septième étape

Eva Klesse

Le 5 novembre, au Périscope, en partenariat avec le Goethe Institut, Evgeny Ring (saxophone), Philip Frischkorn (piano) et Robert Lucaciu (contrebasse) étaient menés à la baguette par Eva Klesse (batterie). Que des inconnus sur scène ! À quitte ou double le jour où, en 1956, Art Tatum lâcha définitivement les quatre-vingt huit touches ; soixante ans cette année donc et si loin, si proche, et plus vraiment au goût du jour si l’on en croit l’absence d’actualité déclenchée par cet anniversaire. Mais revenons à nos allemands et auscultons d’abord un phénomène étrange. Au Périscope comme dans tous les clubs de jazz, les habitués ne manquent pas. Quelle ne fut pas notre surprise de constater que, ce 5 novembre-là, ils avaient déserté les lieux, remplacés par un autre public à l’évidence proche du Goethe Institut. Certes le quartet d’Eva Klesse propose un jazz de facture presque classique et est notablement inconnu dans nos contrées, mais n’est-ce pas une raison suffisante pour le découvrir ? Le goût de la nouveauté ne serait-il plus l’apanage du public jazz ? En cette époque inquiète où le sectarisme sévit partout, ce n’est pas nouveau, mais dans un club de jazz, sérieusement ?

Ceci étant écrit, vous dire que nous passâmes une bonne soirée nous paraît judicieux. Eva Klesse fut, derrière sa batterie, plus que convaincante, notamment grâce à un art consommé de la nuance. Ses acolytes le furent tout autant en démontrant par le menu leur connaissance approfondie du jazz. Tous composant pour le quartet, la cohésion s’entendit dès les premières notes d’une musique assumant la mélodie et un académisme manifeste quelquefois contourné avec l’énergie de la jeunesse, une jeunesse tout de même un peu trop sage et prévisible à notre goût. Laissons-leur cependant le temps de mûrir et attendons de voir ce que sera leur avenir ; quoi qu’il en soit, notre samedi soir fut plaisamment occupé et c’est ainsi qu’on les aime les samedis. Et les autres jours aussi.


Dans nos oreilles

Quinsin Nachoff - Flux...


Devant nos yeux

Georges Perros - Papiers collés


[1à Lausanne, en Suisse donc ! ndlr