Quatre-vingt douzième étape

En ce 27 janvier 2017, notre vignette, autoroutière et suisse, n’avait plus que quatre jours à vivre. Vite ! À Chorus avant de savoir quelle sera la prochaine couleur du bidule à coller. Écouter quoi ? Jochen Rueckert à la batterie avec Mark Turner au saxophone, Lage Lund à la guitare et Orlando Le Fleming à la contrebasse. Incontestablement, sur le papier, cela méritait le détour (ahead).

Jochen Rueckert

La première chose que nous constatâmes en voyant arriver sur scène les quatre compères est, vraiment, que nous étions loin de la fashion week ( ?). La dernière chose que nous consignâmes dans notre petit carnet est que, hormis l’impeccable Mark Turner, ces gens-là ne prirent pas la peine de saluer leur chaleureux public. Comme quoi l’élégance n’occupe pas toujours la place qui lui revient, chez certains plus que d’autres. La relativité, à coup sûr. Entre ces deux éléments aussi paysagers que météorologiques, il se passa nombre de phénomènes musicaux qui ne laissèrent pas de nous intéresser. D’abord ce jazz contemporain, que l’on dit new yorkais et qui n’a pas toujours les faveurs du public, mit du temps à trouver son rythme (un comble ?). Était-ce dû à la nouveauté du répertoire ? Possible. Quoi qu’il en soit, ce n’est que vers la fin du premier set qu’il prit son envol et titilla promptement nos conduits auditifs. Malgré cela, force est de reconnaître que le guitariste norvégien, dont le regard quand il joue interroge en permanence des cieux hypothétiques enfouis dans les tréfonds de son esprit, démontra à quel point la finesse du discours est une qualité et l’écoute son indispensable corollaire, notamment quand Mark Turner tient son rang sur le devant de la scène. Toujours aussi précis et fluide, toujours aussi inspiré, ce dernier fut l’élément déclencheur qui donna ce soir-là à la musique la possibilité d’une âme. On peut évoquer là, sans malaise, la notion d’élégance, cet art du délié dans la phrase que l’on osera assimiler à un mouvement de hanche subtil dans un pas de danse millimétré, comme l’éclat intérieur soudain révélé par le souffle qui paraît constamment agiter l’esprit du ténor californien car, quelle que soit la couleur de son jeu, la note qui sort est à sa place, chargée de sens et d’intime.

Derrière ce duo adroit et clairvoyant, Orlando Le Fleming fit preuve d’une haute tenue et délivra des sonorités charnues dans un jeu aisément lisible sans pour autant approcher la fadeur. L’anglais eut même le bon goût de ne pas abuser des soli, tant dans la durée que dans la fréquence, et il maintint en toute circonstance une écoute qui cimenta l’ensemble en l’harmonisant, d’autant que les compositions de Jochen Rueckert nous parures de temps à autre manquer de sel, sinon de personnalité. Ce dernier, dans son rôle de leader, tint son rang avec sagesse durant le premier set avant d’envahir l’espace dans le second. Nous le savions déjà, l’allemand est un batteur entier, mais nous le vérifiâmes à nouveau : sa technique superfétatoire et son entrain ne masquent pas son rang au milieu des excellents percussionnistes qui abondent sur la scène jazz sans durablement marquer les esprits. La faute au je-ne-sais-quoi et au-presque-rien (sacré Vladimir !) qui font la différence. Nous notâmes cependant que sa teutonne rigueur permit aux autres membres du groupe une navigation musicale exempte de danger (et de surprises), ce qui demeure confortable en toute occasion pour le commun des musiciens, n’est-ce pas, à défaut d’être enthousiasmant. Dire que c’était pourtant, ce 27 janvier, le jour de naissance de Wolfgang Amadeus (1756), de Lewis Carroll (1832), de Jérôme Kern (1885) et le jour hélas où le furieux Friedrich Gulda quitta définitivement la scène…


Dans nos oreillles

Ana Vidovic - Moreno-Torroba : Guitar Music, Vol. 1


Devant nos yeux

André Pieyre De Mandiargues - La marge