Quatre-vingt seizième étape

Louis Hayes
Louis Hayes

À Lausanne le 17 février, jour qui vit en en 1982, l’indépendant Monk refermer le piano. Nous, le pérégrin, étions là pour Louis Hayes qui fêtait par une tournée européenne ses quatre-vingt balais. Comment dire autrement pour un batteur ? Son quartet, emmené par « l’imposant » Jeremy Pelt à la trompette, l’élégantissime pianiste Danny Grissett et le conséquent Dezron Douglas à la contrebasse, n’ayant pas l’intention de révolutionner la sphère jazzistique, la joua parfaitement mainstream, ce pour quoi le public était venu nombreux. Lyrique, un peu, technique, beaucoup, Pelt mena la barque avec entrain. Grissett, lui, inventa les soli attendus avec la fougueuse retenue qui le caractérise et toujours à l’écoute de ses camarades. Dezron Douglas, de son côté, nous fit découvrir ses gros doigts au son plein et rugueux et sa capacité à flirter avec les lignes sans jamais s’égarer. Face au public, Louis Hayes géra la globalité du swing en patron efficace et discret. Avec lui, oubliez les fioritures et la surcharge. Ça frappe juste. Juste comme il faut. C’est une frappe traditionnelle qui possède intrinsèquement une force qui produit un réel effet, pas un succédané de bruit rythmique occupant l’espace par défaut. Si les autres musiciens l’écoutent avant de s’écouter, l’affaire est pliée, bien rangée dans le sac et le public est content. Mais ces musiciens-là savent s’écouter les uns les autres et le propos qu’ils génèrent a la qualité des discussions de haut vol entre gens de bonne compagnie jouant avec les mots à bâtons rompus pour mieux décrire le fond d’une pensée dont ils connaissent à la perfections les moindres contours. Si vous n’êtes pas du sérail, vous pouvez être joliment étonné et ressortir du club chaud comme la braise. Quant à nous, nous nous souvînmes, sans nostalgie aucune, avec même un vrai plaisir, du temps où nous découvrions avec avidité les Donald Byrd, Oliver Nelson, Dexter Gordon et autre Jazztet, pour ne citer que ceux-ci au bon vouloir de notre mémoire. Et puisque nous nous souvenons, vous n’avez pas oublié qu’en 2008 le Kosovo déclara son indépendance.


Quatre-vingt dix-septième étape

Burak Bedikyan
Burak Bedikyan

Le jour suivant, 18 février, nous assistâmes, sur la bienveillante insistance du patron du club, au concert du pianiste turc Burak Bedikyan et du saxophoniste américain Andy Middleton, accompagné par le contrebassiste autrichien Johannes Strasser et le batteur suisse Joris Dudli, un line-up propre à faire défaillir un trumpien de base (étant entendu que, par essence, le trumpien des hauteurs est un ballon de baudruche ou, intellectuellement, une chimère). Ce quartet bicéphale, organisé autour des compositions du saxophoniste et du pianiste, proposa une musique elle aussi à deux entrées. La première pièce du saxophoniste nous laissa croire que l’on allait revivre la soirée précédente. La suivante, écrite par le pianiste, nous transporta sur les rives d’un Bosphore multiculturel (pléonasme) ouvert à l’aventure. L’équilibre entre les deux pôles se fit sur l’énergie commune aux deux leaders, énergie bien calée sur une rythmique suffisamment classique pour solidifier l’ensemble et assez finaude pour empêcher que l’affaire ne ronronna trop. Si, dans l’ensemble, Andy Middleton apporta un classicisme contemporain de part son jeu, Burak Bedikyan, lui, fit preuve d’une présence plus originale, notamment en allant chercher du côté de la musique contemporaine des formes harmoniques élaborées qui, conjuguées à sa versatilité et à son tempérament, offrirent plus de surprises qu’il n’en fallait pour enthousiasmer le public. Là encore, comme avec Louis Hayes le soir précédent, le batteur fut économe de sa geste, précis et aérien tandis que Johannes Strasser à la contrebasse assurait avec une rondeur ample et riche une régularité métronomique aux accents modernistes ; cela nous rappela soudainement que la programmation est un art définitivement subtil qui permet à un club de conserver à travers les années son attractivité. Le Chorus aura bientôt trente ans (2018) et il possède encore cette capacité à surprendre qui fait la marque des grands clubs de jazz. C’était un 18 février et, en ce jour de 1519, Hernãn Cortés s’aventura au Mexique avec l’idée d’aller plus haut débutant ainsi la première immigration vers l’Amérique du nord et les premiers ennuis des peuples autochtones. Standing Rock !


Dans nos oreilles

Anne Quillier sextet - Dusty shelters


Devant nos Yeux

Gérard Chaliand - Feu nomade