Cent deuxième étape

La dernière salve musicale du trentième A Vaulx Jazz vit venir à nous des artistes s’exprimant dans des contrées musicales dont nous n’avions à vrai dire jamais été friands par le passé. Question de génération ? Toujours est-il que nous fûmes intéressés par la prestation de Napoléon Maddox et l’histoire véridique de ses tantes siamoises qui, au dix-neuvième siècle passèrent de l’esclavage à l’émancipation en acquérant une improbable célébrité du fait de cet accident du développement embryonnaire dont le mécanisme et les causes demeurent incertain.

Napoleon Maddox

Nous notâmes de prime abord la forte présence scénique du natif de Cincinnati, présence qui contribua grandement à la qualité de cette production. Maddox, concepteur de l’ensemble, était partout, déplaçant son décor, allant de l’un l’autre de ses musiciens, chanteur et déclamateur opiniâtre, harangueur pertinent au regard habité par cette étonnante histoire familiale. Les musiciens l’entourant (Ricardo Izquierdo  : saxophones / Brent Olds : basse / D’Anna Kennedy : batterie / Naïssam Jalal : flûte / DJ Menas : platines / Sorg  : beat maker, machines) portés par cette énergie eurent la partie facile, celle d’accompagner le maître de cérémonie. Allant du hip hop à la ballade, s’égayant régulièrement dans quelques sinueuses improvisations bienvenues, le spectacle se déploya avec fluidité en tableaux successifs et laissa tout un chacun prendre son plaisir à l’aune de son ressenti. L’alliance entre les machines et les instrumentistes s’opéra sans anicroche du fait d’un travail original en amont à l’évidence empreint de précision, rien ne nous lassa. Nous observâmes cependant un soupçon de naïveté dans l’exposition de cette fresque émotionnelle mais elle avait un côté attachant ( ?) qui ne nuisit pas à l’harmonie globale de ce moment musical fécond et sensitif. Enfin, nous ne passerons pas sous silence la performance plus que brillante de Naïssam Jalal sans laquelle le groupe aurait perceptiblement manqué de corps.


Anthony Joseph

Au Royaume-Uni, l’on estime qu’Anthony Joseph est la figure de proue de l’avant-garde afro-caribéenne. Également poète, essayiste, et conférencier, le musicien a acquis une stature d’envergure au fil des six albums qu’il a déjà composés. Ce samedi 25 mars 2017, avec son groupe (Andrew John : basse électrique / Eddie Hick  : batterie / Jason Yarde : saxophone alto / soprano / Christian Arcucci  : guitare / Roger Raspail : percussions), il démontra le bien fondé des jugements évoqués ci-dessus. Le problème avec le pérégrin que nous sommes est une forme rare d’allergie à ce type de rythme itératif. Si le soleil n’y manque pas, si l’engagement est évident, allez savoir pourquoi, cela ne nous effleure que du bout des notes. Nous fûmes donc assez rapidement un spectateur désengagé ( et un photographe presque inactif) tandis que le public occupait peu à peu le devant de la scène et participait pleinement, corps chaloupés et mines réjouies, à l’événement. Personne n’était à blâmer sinon notre sinistre incapacité à entrer dans cette effervescente sarabande. Seul à nos yeux (et plus encore à nos oreilles) demeurèrent prégnants et, soyons clairs, carrément époustouflants les soli libertaires pris par Jason Yarde au saxophone. C’est lui qui nous permit de résister à la sensation désagréablement perceptible du lent ennui qui nous infesta, graduellement mais sûrement, tout au long du temps que nous passâmes sur le front de scène. Mais malgré son éloquence et son inventivité, il arriva que nous rejoignîmes les coulisses avant la fin du concert, histoire de reposer nos tympans et de voir si l’animation qui manqua cruellement dans cet espace habituellement festif, les jours où nous fûmes présents, serait plus manifeste en cette dernière soirée de festival. Bon, ce ne fut pas vraiment le cas (euphémisme) et nombre d’entre nous, les habitués tendance « canal historique » se posèrent la grosse question avec un gros Q : la trente-et-unième édition d’A Vaulx Jazz aura-t-elle lieu et quand ?

Sachant que les élus jusqu’à ce jour ont mis un point d’honneur à ne pas répondre aux sollicitations du comité de soutien militant pour la préservation du rythme annuel du festival, l’on imagine hélas qu’ils n’en feront qu’à leurs têtes, leurs petites têtes, avec aussi leur courte vue. Il est subséquemment loisible de croire que ce beau trentenaire banlieusard au glorieux passé, fruit d’un travail acharné mené par des équipes aussi passionnées que compétentes, a son avenir derrière lui, notamment à cause de l’inénarrable prétention d’une équipe municipale sans idée ni idéal. La culture n’en sortira pas grandie, si tant est qu’elle s’en sorte. Alors fixons l’horizon et attendons. Après tout, l’espoir demeure humainement terrestre, surtout en ce 25 mars (journée mondiale de la procrastination) qui, par le passé, vit naître Toscanini (1867), Bartók (1881), j’en passe et des moins bons.


Dans nos oreilles

Ingrid & Christine Jensen - Infinitude


Devant nos yeux

Pierre Bergounioux - La ligne