Cent trente cinquième étape

Roberto Tarenzi

Et pourquoi pas un samedi soir à Mâcon au Crescent, une fois de plus, deux semaines après le dimanche ? Il y avait là le pianiste italien (non encore inscrit dans nos tablettes) Roberto Tarenzi. Quand on ne connait pas, on y va pour voir et savoir, non ? Et puis aller à la rencontre d’un inconnu induit nécessairement une prise de risque plus ou moins grande. Toute l’essence du jazz à la sauce pérégrin, mais pas que. En l’occurrence, tout allait dépendre de la rythmique du trio. Bon, James Cammack à la contrebasse et Jorge Rossy à la batterie. Prise de risque ? Comme disait l’autre : mon cul ! (l’élégance nous sauvera toujours). Avec une paire de jazzeux pareille, il eut fallu que l’astiqueur de clavier fût manchot pour que nous nous emmerdassions. Tel ne fut pas le cas en ce samedi 27 janvier 2018, jour qui vit disparaître Jean Tardieu (1995) et (tiens ?) Friedrich Gulda (2000), tous deux improvisateurs géniaux, chacun dans son langage. Ils demeurent indispensables. Le 27 janvier fut également pour le compositeur Jérôme Kern l’occasion de naître (1885) ; vous pouvez donc dès à présent fredonner ou réécouter « The way you look tonight ». Ce ne sont pas les versions qui manquent. Mais revenons à nos moutons (ça fait longtemps qu’on n’a pas la poussière…) et au pianiste domicilié à Rome. Dotée d’une verve pianistique assurément plus jazz que jazz-transalpine, l’escogriffe milanais manipula les quatre-vingt-huit touches avec entrain et aplomb. A l’évidence aguerri quant aux racines du jazz, il n’en proposa pas moins une lecture savamment contemporaine de quelques standards bien choisis et bien exécutés, démontrant ainsi que l’innovation est toujours présente pour ceux dont l’esprit est ouvert aux quatre vents. Très à l’écoute de ses partenaires qui le lui rendaient bien, il fit sonner le clavier avec un talent percussif notable, emmenant avec lui le barcelonais de derrière les fûts et le tripoteur de grosses cordes natif de Cornwall (Orange county, New York) dans quelques transes bien senties et fort appréciées du public. Deux ou trois ballades débutées dans la douceur pour apaiser l’ensemble ne résistèrent pas non plus à la fougue qui l’anima tout au long des deux sets de cette soirée (extérieurement sèche et plutôt douce pour un mois de janvier, c’est important, non ?). Afin d’achever les réjouissances avec une luxuriance surérogatoire, à la fin du second set, Eric Prost joignit son saxophone ténor au trio le temps d’un morceau. Le temps aussi de renforcer une flamme qui fut tout au long de la soirée plus que vivace. Notons au passage que Cammack et Rossy, visiblement très heureux d’être là, tinrent la baraque en sidemen de luxe exigeants et inspirés. Bonne idée puisque c’est ce que nous espérions en ce 27 janvier qui vit également en 1880 Thomas Edison déposer un brevet pour la lampe électrique à incandescence et ce, à seule fin d’éclairer les clubs de jazz.


Dans nos oreilles

Anouar Brahem - Blue Maqams


Devant nos yeux

Robert Seethaler - Une vie entière