Septième équipée

Deux jours après la Résonance de l’épisode précédent, n’ayant pas recherché l’analyste de mes rêves, je bouchonnais sur l’autoroute du soleil en direction de Vienne. J’ai écrit « en direction de » car c’est de l’autre côté du pont, à Saint Romain en Gal que je situais ma destination finale en ce jour de quart qui excita les fanions, les drapeaux, les klaxons et les enthousiastes qui les brandissaient, les agitaient, les poussaient et m’interpellaient. Ils m’empêchèrent ainsi d’écouter calmement ce vieux live d’un Johnny Rivers (John Henry Ramistella) des grands soirs, gavé de foin bio, plein d’entrain et d’approximations harmoniques en phase avec l’air de son temps (1964). Mais là n’était pas le but de cette fin d’après-midi qui me vit franchir la porte du musée gallo-romain à la rencontre d’Elina Duni, programmée en ces lieux pour un solo autour de son dernier disque « Partir  » (voir la chronique ici). Le concert, sis dans le (grand) hall du musée, réunit une audience confidentielle dans le cadre des Musaïques, événement gratuit parmi d’autres du festival Jazz à Vienne. Bien évidemment, le concert fut à la hauteur du talent de la native de Tirana. Quelle que fut la chanson interprétée, la richesse de l’humain la porta et l’exil, le thème central, fut abordé avec justesse sous tous les angles, laissant poindre à maintes reprises les drames intimes qu’il déclenche. Une sorte de tissu émotionnel aux teintes contrastées apparut lentement, comme un symbole hélas intangible se régénérant souvent au contact de l’intolérance, celle qui exprime des idéaux politiques et/ou religieux fondés sur une notion de pouvoir, celle qui s’exprime aussi dans des coutumes dépassées qui n’en finissent pas d’accabler des communautés humaines dont les membres peuvent légitimement se demander pourquoi ils sont nés. Tout cela dans une voix, mais pas seulement, car la joie sait contredire les états d’âmes les plus sombres malgré nous. Et Elina Duni sait porter la parole des silencieux sans se départir de l’espoir qui nous anime. Ce fut une belle parenthèse, de celles qui demeurent dans ma mémoire ; et je peux vous assurer qu’elle est très sélective.

Ceci écrit, je me demande aujourd’hui encore pourquoi une artiste de cette qualité était là, à 18 h 00, dans le hall d’un musée, aussi beau soit-il. Il faudrait que l’on m’explique comment fonctionne la programmation du festival (vous me direz, j’ai bien vu John Taylor à 16 h 00 sur la scène de Cybèle et Jon Faddis au même endroit à 12 h 30, le tout devant quelques dizaines de péquins). Si Madame Elina Duni est programmée dans un grand festival, cela doit certainement signifier quelque chose. Qu’elle est douée ? On le sait depuis belle lurette. Est-ce parce qu’elle est chez ECM et que c’est la classe absolue ? Non, vraiment ? Est-ce le thème de l’exil en ces temps de chasse aux migrants qui n’est pas assez consensuel ? Et par hasard (mais je peux me tromper), serait-il possible que sa musique ne soit pas assez commerciale pour emplir un grand lieu de concert et qu’on ne veuille prendre aucun risque ? Après tout, c’est un choix comme un autre. La culture ou le tiroir-caisse. Le festival de Vienne semble avoir choisi et moi, j’ai quelques idées de programmation à soumettre pour l’année prochaine aux Musaïques. Un duo, Sheila Jordan et Cameron Brown, ça vous dit ? Ah merde ! Ils viennent de l’autre côté de l’Atlantique. Agusti Fernandez en solo ? Euh… Un autre duo, Susanne Abbuehl et Matthieu Michel. Ils n’habitent pas si loin. Franck Avitabile en solo ? Barry Guy  ? C’est qui ? Euh… Selah Sue ! C’est une petite jeune. Il faut l’aider, non ? J’arrête là mes fadaises, la programmation est un art difficile et je ne devrais certainement pas m’immiscer là où on ne m’attend pas. Il existe de grands professionnels pour cela. Laissons-les promouvoir la culture.


Dans nos oreilles

Jean-Pierre Como - Infinite


Devant nos yeux

Orhan Pamuk - La vie nouvelle